On parle d'une enveloppe exceptionnelle: la Commission de la politique de sécurité du Conseil des Etats a accepté environ 15 milliards de francs pour l'armée suisse et pour l'aide en Ukraine. Ces milliards devraient passer outre le frein à l'endettement en tant que dépenses extraordinaires.
Sur ce montant, 10,1 milliards de francs seront alloués à l'armée nationale, afin que son budget soit augmenté plus rapidement et atteigne 1% du produit intérieur brut (PIB) non pas d'ici 2035, mais d'ici 2030. Les 5 milliards restants seront dédiés à la reconstruction de l'Ukraine, sans que le montant de l'aide au développement dans d'autres pays ne soit ponctionné.
Sur les dépenses de l'Armée suisse
Création d'une loi «sur une contribution extraordinaire»
Cet accord de plusieurs milliards a été négocié en coulisses par le Centre gauche, comme le révélait Blick cette semaine. La conseillère aux Etats du Centre Marianne Binder (AG) l'a finalement porté devant la Commission de la politique de sécurité du Conseil des Etats.
D'un point de vue purement arithmétique, le camp du centre-gauche avait une solide majorité assurée dans la commission, avec 8 représentants sur 13. Et c'est précisément par 8 voix contre 5 que la motion correspondante a été adoptée. Cette dernière demande la création d'une loi fédérale «sur une contribution extraordinaire pour la sécurité de la Suisse et la paix en Europe face à la guerre contre l'Ukraine». Un fonds limité dans le temps doit être créé pour ce marché de plusieurs milliards.
«Le réarmement et la modernisation des moyens de l'armée doivent être accélérés»
La guerre opposant la Russie contre l'Ukraine a remis en question l'ordre européen de paix et de sécurité, constate la commission. Pour elle, il est donc clair que «le réarmement et la modernisation des moyens de l'armée doivent être accélérés». En outre, l'Ukraine a un besoin urgent de soutien pour l'aide humanitaire et la reconstruction.
Tant la reconstruction de l'Ukraine que le rétablissement de la capacité de défense de la Suisse sont «liés à des dépenses considérables et imprévues», constate la commission dans son intervention. C'est pourquoi une comptabilisation extraordinaire est également possible sans passer par le frein à l'endettement.
«Renforcer la sécurité du pays et de ses habitants»
De telles exceptions au frein à l'endettement sont possibles dans une situation exceptionnelle, argumente la conseillère aux États du Centre Andrea Gmür (LU). «Et qu'est-ce qu'une situation exceptionnelle, si ce n'est une guerre en Europe?», a argumenté l'intéressée. En tant que présidente de la commission, elle précise: «Il nous tient à cœur de renforcer la sécurité du pays et de ses habitants.» Selon la Lucernoise, la situation en matière de politique de sécurité s'est encore détériorée. Outre la guerre en Ukraine et la situation désastreuse dans la bande de Gaza, «où l'on ne constate absolument aucune amélioration», elle évoque également la récente attaque de l'Iran contre Israël.
Augmentant le budget de l'armée est une pilule difficile à avaler pour la gauche. Mais il relève du devoir de la politique de trouver des compromis en temps de guerre et de crise, déclare la conseillère aux Etats socialiste Franziska Roth (SO). Et la commission y est parvenue. «Nous avons un compromis de bon sens, entre une Suisse qui pense jusqu'au Rhin et une Suisse solidaire qui est consciente que notre sécurité dépend aussi de l'avenir de l'Ukraine.»
Sur la guerre en Ukraine
Le PLR et l'UDC s'opposent à ce deal
Le PLR et l'UDC restent en revanche opposés à ce marchandage. «Le frein à l'endettement est mis à mal, ce qui est juridiquement intenable», critique le conseiller aux États PLR Josef Dittli (UR). L'aide au développement a été augmentée ces dernières années, et il s'agit maintenant de faire des économies, estime le politicien de droite.
Si l'accord devait passer devant le Parlement et même jusque devant le peuple – il est soumis au référendum –, un non risquerait de provoquer des réactions négatives, met en garde Josef Dittli. Le besoin de rattrapage de l'armée doit donc être abordé en priorité. «Mais nous devons y parvenir par la voie ordinaire», explique le PLR. «Avec un budget fédéral de plus de 80 milliards de francs, il y a suffisamment de quoi trouver encore quelques millions pour l'armée.»
En revanche, deux autres décisions en faveur de l'armée vont dans le sens des deux partis. C'est grâce au conseiller aux États UDC Werner Salzmann (BE) que celles-ci ont réussi à passer. Le programme d'armement 2024 doit être complété par 660 millions de francs pour l'achat de moyens de défense aérienne terrestre de moyenne portée. En outre, l'enveloppe financière de l'armée pour la période 2025-2028 doit être augmentée de 4 milliards de francs pour atteindre 29,8 milliards de francs.
La hausse du budget hérisse le poil du GSsA
Le Groupement pour une Suisse sans armée (GSsA) est horrifié par cette décision de la commission de politique de sécurité du Conseil des Etats. Il critique vendredi l'alliance centre-gauche qui préfère faire des compromis plutôt qu'œuvrer pour la paix. La commission s'est prononcée jeudi en faveur d'une augmentation massive des finances de l'armée. Mais l'utilisation "intelligente" de cet argent n'est toujours pas claire, rappelle le Groupement pour une Suisse sans armée (GSsA).
Celui-ci prend également à partie les partis bourgeois: «Il n'y a pas d'argent pour la protection du climat ou pour une 13e rente AVS, mais donner 10,1 milliards à l'armée n'est pas un problème», souligne le secrétaire du GSsA Jonas Heeb, cité dans le communiqué. Malgré les derniers problèmes autour des finances de l'armée, une augmentation du budget est avalisée sans autre.
Le fait que le paquet soit vendu comme un «compromis de guerre et de paix» est cynique. «Le Parlement ferait mieux de s'efforcer sérieusement et solidairement de trouver une perspective de paix pour l'Ukraine, au lieu d'alimenter sans planification son propre réarmement avec des milliards supplémentaires par le biais de compromis boiteux. La paix et notre sécurité seraient ainsi mieux servies et l'argent mieux utilisé», déclare la secrétaire du GSsA Roxane Steiger.
(Avec l'ATS)