La ministre de la Défense Viola Amherd avait d'emblée nié l'ampleur du problème. Début février, le Département de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS) avait fait savoir que l'état des finances n'était pas si problématique. La commission des finances du Conseil national est également arrivée à la conclusion qu'il n'y avait pas de problème financier, mais un problème de communication.
L'affaire prend maintenant un autre tournant: la chaîne de radiotélévision SRF vient en effet de dévoiler un document interne rédigé par le chef des finances de l'armée Gerhard Jakob. Et force est de constater que tout n'est pas si rose. Dans cette «note au dossier» de trois pages datée de décembre et adressée au chef de l'armée Thomas Süssli, le responsable des finances va droit au début, et ce, dès la première phrase: «Il est notoire que l'armée connaîtra d'importants problèmes de financement au cours des prochaines années.»
Avertissement clair du chef des finances de l'armée
Le problème: le Département de la défense (DDPS) a réalisé des projets d'armement nettement plus coûteux que prévu pour les années 2020 à 2024. Il est question de «plus 2,5 milliards de francs». En outre, les charges d'exploitation ont augmenté plus fortement que ce qui était prévu dans le budget. Parallèlement, le DDPS a puisé de l'argent dans les fonds de l'armée et les a utilisés à d'autres fins. «Le cumul de ces différentes causes» explique les problèmes financiers actuels, résume le chef des finances de l'armée.
Sollicité par la SRF, le DDPS explique qu'il a déplacé environ 90 millions de francs du Groupement de la Défense et de l'Office fédéral de l'armement vers d'autres unités administratives, principalement pour financer la présence de personnel dans le domaine de la cyberdéfense et dans le Service de renseignement de la Confédération (SRC).
En fin de compte, il manquerait à l'armée entre 600 et 700 millions de francs rien que cette année pour financer des projets d'armement, constate le chef des finances. Et il tire la sonnette d'alarme: si le Parlement n'alloue pas les montants nécessaires dans les années à venir, la situation financière «s'aggravera encore».
Conséquence: les engagements déjà pris ne pourront plus être payés «et les projets devront être achevés ou interrompus prématurément». Le chef des finances précise sans ambiguïté que la pénurie financière de l'année en cours ne se résorbera pas d'elle-même, «mais qu'elle s'accentuera encore dans les années suivantes si des mesures correctives ne sont pas prises à temps, et qu'elle s'étendra jusque vers la fin des années 20».
Le programme d'armement 2024 est-il en train de vaciller?
Les premières mesures ont certes déjà été prises et les projets d'armement prévus pour un montant d'un peu plus de 750 millions de francs ont été mis «en attente» et reportés à plus tard. Mais cela entraînera «inévitablement» une augmentation des dépenses dans les années à venir. Selon les décisions budgétaires du Conseil fédéral, «il faudra même rediscuter du programme d'armement 2024 (retrait oui/non?)».
D'un point de vue purement financier, l'armée ne fait rien de mal en reportant dans le temps des crédits d'engagement déjà approuvés, commente la présidente du conseil de sécurité du Conseil national, Priska Seiler Graf (PS/ZH). Mais en même temps, elle relève que la vague d'investissements futurs que l'armée repousse devient toujours plus importante. Pour elle, il était clair que les 8 milliards de francs investis dans de nouveaux avions de combat et dans la défense aérienne allaient avoir des conséquences sur le budget. «On le savait et on vient de proposer un nouveau programme d'armement, déclare Priska Seiler Graf . La vague se transforme en tsunami...»
Le DDPS a confirmé à la radio SRF que tous les propos de Gerhard Jakob dans la «note» étaient exacts. Le département assure toutefois que tous les projets d'armement devraient se poursuivre «normalement». Et d'insister sur le fait qu'il s'agit «en principe» d'un «processus normal».
La ministre de la Défense Viola Amherd semble toutefois peu encline à se soumettre à d'autres questions critiques. Après avoir pris connaissance du document interne vendredi midi, elle a annulé à la dernière minute sa participation à la manifestation organisée au Palais fédéral à l'occasion de la Journée internationale des luttes des droits des femmes.