Volodymyr Zelensky va-t-il enfin pouvoir infliger à Vladimir Poutine la défaite qui retournerait pour de bon la situation militaire en Ukraine? C’est désormais la question centrale de ces prochaines semaines, alors qu'une aide militaire massive des Etats-Unis est désormais assurée d’être débloquée. Après le vote de la Chambre des représentants à Washington, celui du Sénat est attendu, puis Joe Biden signera – sans doute le 23 avril – le chèque de 95 milliards de dollars pour les alliés des États-Unis, dont 61 milliards pour l’Ukraine. Reste la loi du champ de bataille. Sur la ligne de front de plus de mille kilomètres, que peut-on attendre?
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61 milliards, un chèque très politique
C’est d’abord une victoire politique et diplomatique majeure que l’Ukraine vient de remporter. Depuis des semaines, Volodymyr Zelensky tirait le signal d’alarme sur le manque de plus en plus problématique d’obus et de munitions, alors que la Russie multiplie les frappes aériennes massives avec ses bombes planantes très meurtrières et dévastatrices. La grande ville ukrainienne de Kharkiv, à l’est du pays, subit presque chaque nuit des frappes de drones et de missiles qui laissent craindre un assaut plus généralisé. Or face à cela, la population et le gouvernement ukrainien n’ont pas le choix. Ils doivent tenir. Et pour tenir, il faut de la confiance et de l’espoir à tous les niveaux, d’autant que la nouvelle loi sur la conscription a abaissé le seuil d’enrôlement des jeunes hommes à 25 ans au lieu de 27, sans date butoir pour la démobilisation. Ce chèque américain de 61 milliards de dollars est donc très politique.
61 milliards, l’avertissement à Poutine
C’est fait. Cela a été long, périlleux, mais c’est acté: les Etats-Unis viennent de confirmer que leur promesse de soutien à l’Ukraine «aussi longtemps qu’il le faudra» n’est pas fausse. Vladimir Poutine va-t-il être encouragé, dans ces conditions, à accroître sa pression militaire sur le front ces prochaines semaines, par exemple dans les régions d’Avdiivka, de Tchassiv Yar ou vers Kharkiv? C’est possible. Le risque existe de voir l’armée russe redoubler d’efforts avant que les armes promises à l’Ukraine n’arrivent à destination.
Mais l’avertissement à Moscou est sérieux. Il ne faut pas oublier qu’un sommet crucial de l’OTAN, l’Alliance atlantique, aura lieu les 12 et 13 juillet à Washington. L’Union européenne, qui a jusque-là fourni 28 milliards d’euros d’assistance militaire à Kiev, dont 6,1 milliards d’équipements, n’a plus d’excuses pour patienter. Premier concerné: le Chancelier allemand Scholz pressé de livrer ses missiles Taurus à longue portée qui pourrait atteindra la Crimée et le fameux pont de Kertch. A noter: le plan américain inclut aussi des mesures juridiques qui permettront de confisquer les avoirs russes saisis aux Etats-Unis. Au-delà, donc, du gel actuel de ces avoirs.
61 milliards, une manne militaire
Le plan d’aide américain pour l’Ukraine tout juste approuvé porte très exactement sur 60,84 milliards de dollars. Sur ce montant, qui inclut neuf milliards d’aides économiques directse à ce pays en guerre, 13,8 milliards seront consacrés à l’achat d’armes de pointe (à des industriels américains bien sûr), 23,2 milliards serviront à reconstituer les stocks de l’armée américaine, 11,3 milliards financeront les opérations de l’armée américaine dans la région (Pologne, Roumanie, Pays Baltes…). Ces sommes viennent s’ajouter aux 45 milliards de dollars d’aide militaire déjà donnés par les États-Unis à l’Ukraine depuis le début du conflit, le 24 février 2022.
La priorité, pour l’Ukraine, est de se réapprovisionner en obus d’artillerie, en missiles de défense aérienne, et en roquettes de frappe en profondeur. C’est pour cette raison que la République tchèque a mis en place, en mars, un plan de 1,5 milliard de dollars financé par 18 pays de l’OTAN et de l’UE pour acheter 800'000 obus – de calibre 155 mm et 122 mm – à l’extérieur du continent européen.
61 milliards, un nouveau rapport de force
La phase la plus redoutable, pour l’armée ukrainienne, est celle qui court jusqu’au mois de juillet, date probable de l’arrivée des premiers avions F16 américains donnés par les Pays-Bas et le Danemark. Il faudra aussi compter plusieurs semaines pour acheminer en grande quantité les nouvelles armes acquises par Kiev. Sauf que d’ici là, un pas devrait être rapidement franchi: celui du renforcement des défenses antiaériennes des grandes villes ukrainiennes. Volodymyr Zelensky affirme avoir besoin de 25 systèmes de défense Patriot, composés chacun de huit batteries.
Maintenant que les États-Unis ont voté le budget pour en acquérir de nouveaux, plus performants, l’armée américaine va pouvoir transférer en urgence certains de ces systèmes actifs dans ses bases de l’OTAN, en Allemagne ou en Italie par exemple. Le rapport de force ne va pas changer de suite. Il reste aujourd’hui à l’avantage de l’armée russe. Mais d’ici la fin 2024, cela aura changé.
61 milliards, des chiffres et pas des hommes
Ne l’oublions jamais: même technologique, avec des drones, des attaques cyber et des missiles, une guerre est avant tout un sacrifice humain. C’est là où la Russie reste en position favorable. Sa capacité à endurer des pertes humaines sur le front reste bien plus grande que celle de l’Ukraine, où la société civile n’est pas verrouillée comme elle l’est au pays de Vladimir Poutine. Qui veut mourir pour le Donbass?
La vérité est que de moins en moins d’Ukrainiens jugent possible une reconquête des 20% de son territoire annexés par Moscou. Les experts occidentaux l’admettent aussi. Ces 61 milliards de dollars d’aide pourraient donc convaincre les deux capitales d’envisager enfin une paix, dans un pays qui restera divisé. La conférence organisée par la Suisse les 15 et 16 juin au Bürgenstock, à l’issue du sommet du G7 en Italie, pourrait ouvrir cette voie, même si pour l’heure la Russie affirme qu’elle n’y participera pas.