«Comment prononcez-vous le mot télé?» La question posée aux Romands par le linguiste Mathieu Avanzi sur son compte X/Twitter m’a intriguée. Comme il en a l’habitude sur la plateforme, c’est avec une carte qu’il a répondu à son interrogation initiale.
Directeur du centre de dialectologie et d’étude du français régional à l’Université de Neuchâtel (UNINE), le français est un observateur curieux des accents de Suisse francophone. Il participe d'ailleurs au projet de récolte de messages vocaux de son employeur.
Les scientifiques de son groupe de recherche interrogent la population pour connaître la manière dont ils parlent et prononcent certains mots. «À partir des réponses reçues, on peut faire des petites cartographies, explique l’académicien. Elles nous permettent de voir plus précisément les frontières linguistiques.»
Le Valais fait de la résistance
Pour l’abréviation de «télévision», les résultats sont plutôt clairs. La grande majorité des Neuchâtelois et des Fribourgeois, mais aussi des Vaudois, prononcent «tèlè» lorsqu’ils parlent de l’écran qui trône au milieu du salon.
Les Genevois et une partie des Jurassiens sont plus mesurés, sans doute influencés par leur proximité avec la France. Mais le Valais «fait de la résistance», selon le professeur. Tous les habitants du canton alpin ou presque prononcent le mot comme il s’écrit, c’est-à-dire avec des accents aigus et non des accents graves. Une «différence microscopique d’ouverture de la bouche», mais qui s’entend beaucoup.
«Les frontières cantonales ressortent clairement»
Ont-ils raison ou tort? Là n’est pas la question. «Le plus important, c’est l’usage», disait mon prof de linguistique à l’Université de Lausanne. «Ce qui est super intéressant, c’est que les frontières cantonales ressortent clairement», rebondit mon interlocuteur. La limite entre Valaisans et Vaudois est par exemple très bien définie.
Lorsque Mathieu Avanzi a demandé à un collègue d’Evolène s’il était sûr de ne pas dire «tèlè», ce dernier lui a répondu: «Non mais, ça va pas la tête!» Pour ma part, je suis allé vérifier dans la rédaction de Blick: les statistiques collent et les petits conflits identitaires entre représentants des différentes régions apparaissent.
Difficile d’identifier des raisons
Quant à la raison de ces différences de prononciation? «C’est hyper complexe, répond le linguiste. C’est surtout lié à l’enseignement du français et à l’époque à laquelle la langue s’est implantée dans telle ou telle région. Fribourg et le Valais ont adopté le français relativement tard par rapport à Neuchâtel ou Genève par exemple.»
Parfois, les raisons seraient plutôt sociopolitiques: «Dans le Jura, on copie beaucoup ce qui se fait dans le 'centre d’influence' qu’est Neuchâtel. On peut encore trouver des liens entre Valaisans et Fribourgeois, car tous deux vont historiquement à l’école catholique.»
«Éléphant» ou «èlèphant», «foute» ou «fôte» et encore «signofil» ou «signefil»: le scientifique estime que la répartition de «télé» ou «tèlè» est relativement similaire à d’autres mots. «Les Romands ont tendance à ajouter des accents toniques et à donner du timbre à des voyelles au milieu des mots, à des endroits où les Français ne le font pas.»
C’est la journée mondiale de la \te.le\
Et comme le hasard fait bien les choses, la date du jour n’est pas anodine: apparemment, le 21 novembre, c’est la journée mondiale de la télévision. Mais le scientifique du langage n’était pas au courant au moment de poster sur le réseau social. Le Français préparait une conférence sur la question.
Quoi qu’il en soit, bonne fête à nos consœurs et confrères de la RTS, de Léman Bleu, de La Télé ou encore de Canal 9 ou Alpha. Tous participent à la richesse linguistique de la Suisse romande, en faisant perpétuer les spécificités orales régionales de mes compagnons francophones.