«Hallo Susi, Guten Morgen…»… Entre nous, c’est tout ce dont vous vous souvenez de vos cours d’allemand, non? Et puis tant pis si la vérité blesse. Qu’on se le dise, nous autres Romands ne faisons que très peu d’efforts en ce qui concerne l’apprentissage de l’allemand. Ce alors même qu’on y est confrontés dès les premières années d’écoles. Mais pourquoi? Pourquoi ne sait-on pas placer deux mots ou simplement demander notre chemin malgré dix années de leçons dans les dents? Pourquoi préfère-t-on l’anglais lorsqu’on s’adresse à nos compatriotes Suisses allemands? Pourquoi l’allemand a-t-il encore et toujours cette réputation de langue «pas jolie»?
Une langue moche et compliquée?
Pour Bente Lowin Kropf, enseignante d’allemand à Université de Lausanne (UNIL), l’un des principaux facteurs qui explique cette réticence vis-à-vis de la langue de Goethe, c’est sa représentation dans l’imaginaire collectif. «Généralement on associe les langues latines comme l’italien ou l’espagnol à la chaleur, la beauté des paysages, les vacances, tandis que l’allemand, lui, semble rigide, froid, dur.» Une perception souvent associée à l’Allemagne de la Seconde guerre mondiale.
Et si ce genre de préjugés a longtemps été ancré dans la tête de beaucoup, il s’est matérialisé sur Internet: «On a tous déjà vu des vidéos YouTube où on prononce un mot comme 'Schmetterling' (papillon) dans chaque langue et dès que vient le tour de l’allemand, la personne crache le terme, comme pour accentuer cette image sévère. Pourtant, 'Schmetterling' est un mot assez doux en réalité».
Heureusement, tout le monde ne déteste pas l’allemand. Il existe même des groupes qui tentent de rendre la langue un peu plus sexy aux yeux des plus réticents. Basée à La Tour-de-Peilz (VD), l’association Germanofolies, qui compte une dizaine de membres, est entièrement consacrée à la promotion de la langue et de la culture allemandes auprès des jeunes. Début octobre, la troupe de théâtre DIS44 composée de gymnasiens du Bugnon à Lausanne (VD) a mis sur pied une comédie musicale plutôt originale: ils ont fait danser leur public sur du Britney Spears interprété en… allemand!
Mais au-delà d’aimer la langue de Schiller ou non, on est plutôt d’accord pour dire que l’allemand reste compliqué, non? «Certes, l’allemand peut faire peur au début. Il y a quatre cas (le nominatif, l’accusatif, le datif et le génitif) et la manière dont on structure les phrases peut être différente puisque dans la phrase subordonnée, par exemple le verbe conjugué va à la fin. En fait, il faut penser différemment et une fois qu’on a compris, ça devient plus facile», explique Bente Lowin Kropf à Blick. Et puis, quand on y pense, si la syntaxe allemande peut paraître exigeante, la conjugaison, elle, est plus simple: «Contrairement au français avec ces trois groupes de verbes, nous n’avons qu’un groupe. Et nous n'utilisons souvent que deux temps: le présent et le passé composé», note l’enseignante.
L’anglais plus cool que l’allemand
Même constat du côté de François Grin, directeur de l’Observatoire économie langues formation (élf). «La morphologie et la syntaxe allemandes constituent une difficulté et il y a une moins grande liberté d’improvisation en allemand qu’en anglais.» Toutefois, celles et ceux qui arguent que l’anglais serait plus simple que l’allemand ont en fait tout faux: «Dès qu’on dépasse certaines bases, l’anglais n’est pas forcément facile. Je pense notamment à l’orthographe, très difficile, et à la prononciation, extrêmement exigeante», nous signale l’expert.
En fait, lorsqu’on parle de facilité à apprendre une langue, «tout est une question de distance entre sa première langue et la langue enseignée», explique François Grin. Dès lors, il sera plus simple pour un italophone d’apprendre une langue latine, comme l’espagnol ou le français, plutôt qu’une langue germanique et vice-versa.
«S’il est plus facile d’apprendre une langue qui ressemble à ce que l’on connaît déjà, il convient de préciser que l’anglais exerce une force centripète: elle est plus populaire et accessible puisqu’elle se trouve absolument partout», note l’expert. Des séries que l’on regarde aux chansons que l’on écoute en passant par les influenceurs que l’on suit sur les réseaux, nous sommes exposés à l’anglais partout, tout le temps.
Une envie d’apprendre bien présente
Cela implique-t-il donc un amour général pour l’anglais? La réponse est plus complexe que cela. Le projet Gecko, mené en 2006 dans les Cycles d'orientation genevois par François Grin et des spécialistes du Service de la recherche en éducation (SRED), montre que si la majorité des élèves apprécient l’anglais, nombreux sont ceux qui pensent que ce n’est pas suffisant et que l’apprentissage d’autres langues est tout aussi important.
Dans l’ouvrage «Suisse – Société multiculturelle: ce qu’en font les jeunes aujourd’hui» basé sur une enquête auprès de plus de 40.000 recrues et paru en 2015, François Grin relève que si la jeunesse se montre désireuse d’apprendre plusieurs langues, les compétences restent plutôt approximatives. En effet, celles-ci s’avèrent être inférieures aux objectifs fixés par l’école, notamment en ce qui concerne l’allemand. La raison: un enseignement considéré comme peu stimulant. «A mon sens, il faudrait rajeunir l’enseignement souvent perçu par certains élèves comme poussiéreux et pas très intéressant. Toutefois, il me semble important de ne pas tomber dans le cliché. Tout dépend de l’expérience personnelle de chacun. Moi, j’ai adoré l’allemand quand j’étais à l’école», confie le professeur.
Favoriser les échanges linguistiques
Pour François Grin, une des solutions pour rendre l’allemand plus attrayant serait de le rendre directement utile en développant nettement plus les filières d'enseignement bilingues français-allemand: apprendre l'allemand assez jeune, de manière classique, devient alors visiblement utile aux yeux des élèves parce qu'ils sauraient que quelques années après, ils auront la possibilité d'intégrer une filière bilingue dans laquelle on pourra (ou plutôt: on devra) utiliser son allemand. Faute d'enseignants en nombre suffisant, on ne peut pas proposer ces filières dès le plus jeune âge, mais on peut étoffer l'offre existante pour ne pas offrir des programmes bilingues que pour la matu, mais aussi dans le cadre de la formation professionnelle. Le bilinguisme est un atout pour tout le monde.
De son côté, Caroline Rudaz Ebener, responsable de la formation au Bachelor Primaire à la Haute école pédagogique du Valais (HEP-VS), pense qu'il faudrait favoriser les séjours linguistiques. «Je pense qu’une langue ne s’exerce pas juste par la mémorisation de plusieurs termes décontextualisés. Il faut faire vivre la langue par des échanges, en immersion. Il est vrai qu’en Valais, nous sommes plutôt bien lotis puisque nous sommes une région bilingue.»
Il s’avère que le Valais est le canton où le taux d’élèves effectuant au moins un échange linguistique durant son parcours scolaire est le plus élevé de tout le pays. Le canton songe d’ailleurs à doubler ce nombre pour arriver à 10% (à titre de comparaison, cette part s’élève aujourd’hui à 3% au niveau suisse). «Personnellement, ça fait trente ans que je prétends que l’immersion est le meilleur moyen pour parfaire ses connaissances en vivant dans une famille d’accueil et en y étudiant. Pour la génération actuelle, cette approche est de plus en plus entrée dans les mœurs», rapporte le Conseiller d’État en charge de la formation, Christophe Darbellay au journal 20 minutes.
Le Suisse allemand: une barrière en plus
Seulement, n’est-ce pas un peu vain d’apprendre le hochdeutsch (bon allemand) et de partir en échange pour ensuite finir dans une région alémanique où tout le monde parle le… Schwyzerdütsch (dialecte alémanique)? «Certes, suivre des cours d’allemand standard peut paraître artificiel puisqu’on parle surtout en dialecte en Suisse alémanique», explique Caroline Rudaz Ebener. Une expérience qui n’est pas partagée par nos compatriotes d’Outre-Sarine puisqu’une fois en Suisse romande, ils sont confrontés à la même langue qu’ils ont apprise sur les bancs d’écoles. On constate d’ailleurs que nos voisins alémaniques se débrouillent plutôt mieux lorsqu’il s’agit de communiquer en français. «J’ajouterais que les Suisses allemands sont déjà habitués à jongler entre deux langues: leur dialecte qu’ils parlent en privé et l’allemand qu’ils lisent ou parlent à l’école, par exemple. Ils ont donc certainement plus de facilités à intégrer une autre langue contrairement à nous, les Romands».
«Mais croyez-le ou non, souvent, les élèves du secondaire qui partent en Suisse alémanique s’y plaisent et prolongent leur expérience. Quant aux étudiants de la HEP-VS qui doivent obligatoirement vivre un échange dans l’autre partie du canton (ce qui n’est pas le cas pour les étudiants au Bachelor Primaire des autres HEP), c’est souvent le premier pas qui est difficile. Mais une fois que c’est fait, ils en tirent beaucoup de satisfaction», nous apprend Caroline Rudaz Ebener.
Riche de quatre régions culturelles et linguistiques différentes, on ne vous apprend rien en affirmant que la Suisse se caractérise notamment par ses qualités de pays multiculturel. Alors peut-être faudrait-il d’abord commencer à s’intéresser à nos proches voisins avant de vouloir s’aventurer à l’autre bout du monde…