François 1er n’est pas seulement connu en France pour avoir battu les Suisses à Marignan, le 13 septembre 1515. C’est à ce souverain de la Renaissance (1494-1547) que l’Hexagone doit d’avoir profité du génie de Léonard de Vinci, qu’il fit venir de Toscane. Et c’est à ce monarque épris de parties de chasse et de jolies femmes que la langue française doit d’avoir commencé, sous son règne, à supplanter le latin dans les actes judiciaires.
Son ordonnance d’août 1539, édictée au château de Villers-Cotterêts (Aisne), fut la première pierre de cet édifice linguistique qui, aujourd’hui, compte environ 300 millions de locuteurs francophones à travers le monde.
Qu’Emmanuel Macron, en président féru d’histoire et de culture, ait choisi de réhabiliter ledit château, au nord-est de Paris, pour en faire la cité internationale de la langue française inaugurée ce lundi 30 octobre, peut donc apparaître judicieux. Le symbole est fort. La rénovation de ce lieu longtemps délaissé, pour 200 millions d’euros, est à l’honneur d’un pays redevenu soucieux de son patrimoine. La mise à disposition de salles de conférences, de résidences d’artistes et d’écrivains et la prédisposition de cette «cité» comme future destination de choix pour enseignants et élèves de l’Hexagone et d’ailleurs ne doivent surtout pas être sous estimées.
L'exigence de parler français pour souder la communauté nationale est légitime. Les Romands le savent, dans cette Suisse multilingue de plus en plus tentée par l’anglais comme langue de communication des deux côtés de la Sarine: le français recèle bien plus que des mots. Il charrie un héritage intellectuel, politique et culturel. Derrière la langue, l’identité veille.
Un cimetière annoncé
Le problème est que la Cité internationale de la langue française, aussi réussie soit-elle, a tout du cimetière annoncé. Partout, le français recule lorsqu’il s’agit de négocier, de penser, et de décider. La diplomatie mondiale, dont il fut le vecteur pendant des siècles, ne le considère plus que comme un ornement. Les Nations Unies, dont le français est la langue de travail avec l’anglais, le boudent dès qu’elles le peuvent. Même l’Union européenne préfère travailler et penser «in English», alors que le Royaume-Uni a violemment claqué la porte des 27. L’internet et les réseaux sociaux sont autant de clous sur le couvercle du cercueil. L’on peut, certes, s’exprimer en français sur la «toile». Mais les tuyaux numériques sont conçus et formatés pour la version mondialisée de la langue de Shakespeare.
Merci, président Macron
A Villers-Cotterêts, la Cité internationale de la langue française fera sans doute le bonheur d’une poignée d’écrivains. Mais quid des médias francophones qui suffoquent à travers le monde? Quid de l’édition francophone, nerf de la bataille intellectuelle mondiale? Quid de l’Organisation internationale de la francophonie devenue un instrument protocolaire aux mains d’une poignée de gouvernements? Quid de la capacité du Français à ne pas se retrouver relégué au rang d’ornement politico-diplomatique?
Merci président Macron pour cette touchante leçon d’histoire! La vérité est malheureusement que cinq siècles après l’édit de Villers-Cotterêts, et malgré l’effervescence prometteuse de la jeunesse africaine, la francophonie se meurt à force de reculer sur le terrain qu’elle devrait continuer d’occuper: celui de l’avenir, de l’innovation et de la pensée singulière face au rouleau compresseur anglo-saxon.