Peter Rohner a un lien particulier avec l’Ukraine. Sa femme en est originaire, et sa fille y était au moment où Vladimir Poutine a lancé l’agression russe. L’homme de 56 ans n’a pas hésité à accueillir chez lui trois réfugiés du pays, principalement des connaissances de sa femme. Plus tard, sa fille a également pu fuir l’Ukraine et se réfugier chez son père.
«Je voulais aider», assure le Lucernois à Blick. Mais même animé de toute la bonne volonté du monde, Peter Rohner a été contraint de renvoyer les trois réfugiés qu’il avait initialement accueillis en plus de sa fille. Ce n’est pas le manque de temps ou d’énergie qui l’a poussé à cette décision, mais tout bonnement le manque d’argent. Le Lucernois n’a pas pu avoir accès aux aides du canton, et a dû prendre cette difficile décision.
Un problème de contrat locatif
Peter Rohner serait bien incapable de chiffrer les dépenses représentées par l’accueil des trois réfugiés. Même s’il pouvait, il ne le voudrait pas. Le fait est que le Lucernois n’a pas reçu un centime des 1500 francs mensuels que la Confédération alloue aux cantons pour soutenir les familles d’accueil. «Il ne s’agit pas pour moi de m’enrichir», martèle le père de famille. Mais difficile d’aider son prochain sans moyens. «On se sent floué», déplore le bienfaiteur.
Le cœur du problème est une question de contrat locatif. Peter Rohner est locataire de son logement. Pour obtenir une aide du canton, il faut pouvoir fournir un contrat de location ou de sous-location pour les réfugiés accueillis. «Les hôtes reçoivent ainsi un loyer conforme au marché. Le montant est payé par la personne à protéger elle-même ou par le biais de l’aide sociale», explique à Blick Silvia Bolliger, directrice du Service asile et réfugiés du canton de Lucerne. Seulement voilà: le bailleur de Peter Rohner n’a pas voulu établir un contrat de sous-location. Les Ukrainiens ont donc dû partir.
Silvia Bolliger assure ne pas avoir eu connaissance de cas où des particuliers ont dû mettre à la porte des réfugiés faute de soutien financier de la part de l’État. Elle mentionne plutôt des cas où les hôtes ou les réfugiés ne veulent ou ne peuvent plus vivre ensemble. Une situation dont les causes peuvent être très diverses.
Un peu moins de 30’000 statuts S alloués en Suisse
Lucerne n’est pas le seul canton à ne pas indemniser directement les particuliers qui accueillent des réfugiés. Appenzell Rhodes-Intérieures procède de la même manière, par exemple.
D’autres appliquent toutefois une politique différente. En Argovie, Peter Rohner recevrait 1080 francs pour l’accueil d’une famille de quatre personnes, et ce, sans avoir à présenter de contrat de sous-location. Dans le canton de Schwytz, il recevrait même 1156 francs. À Schaffhouse, encore 400 francs. Chaque canton gère la situation à sa manière. À Zurich, Saint-Gall et en Thurgovie, le montant de l’indemnité est laissé à l’appréciation des communes. C’est un véritable patchwork de mesures.
Jusqu’à mardi, 29’500 réfugiés d’Ukraine ont été enregistrés en Suisse. Parmi eux, 25’235 ont obtenu le statut de protection S, comme l’a indiqué le Secrétariat d’État aux migrations.
Selon les données du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et les chiffres des pays d’accueil, 4,6 millions de personnes ont fui l'Ukraine depuis l’invasion russe le 24 février, et 7,3 millions d’autres ont été déplacées à l’intérieur du pays.
(Adaptation par Louise Maksimovic)