La ministre de la Justice, Karin Keller-Sutter, a promis d'aider les réfugiés ukrainiens «de manière simple et sans bureaucratie». Mais nombre d'entre eux ont connu de grandes difficultés – bureaucratiques comme pratiques – depuis leur arrivée en Suisse. Les familles qui ont ouvert leur foyer, quant à elles, ont vécu un enfer administratif.
À la mi-mars, la famille Martin de Witterswil (SO) a accueilli au pied levé Olga et ses fils Tymur et Artur, agés de 3 et 6 ans. «Il s'agissait pour nous d'offrir un endroit sûr à des personnes dans le besoin», explique Nicole Martin. Sauf que, au début de la crise, elle était convaincue que ses hôtes seraient soutenus financièrement par la Confédération.
Les familles suisses passent à la caisse
Mais jusqu'à présent, Olga n'a pas reçu un seul centime de la part de l'État. Tous les frais sont actuellement à la charge des Martin. L'Ukrainienne a quant à elle reçu... un bon d'achat de 30 francs pour le magasin du village. Résultat: la population du bourg s'est cotisée. «Elle doit nous faire part de chaque souhait, même le plus petit... Je n'appelle pas cela respecter la dignité humaine», réprouve la Suissesse.
Olga, qui était professeur de yoga en Ukraine, a été enregistrée au Centre fédéral d'asile de Bâle peu après son arrivée. Sa famille d'accueil a dû patienter avec elle dans le centre pendant plus de six heures. Selon celles-ci, aucune attestation d'enregistrement n'a été délivrée sur place.
Pourtant, c'est précisément ce qu'exigeait le Service de la population pour pouvoir inscrire les trois réfugiés dans la commune. Elle n'a donc même pas eu droit à l'aide d'urgence, qui s'élève à 9 francs par jour. Ce n'est qu'il y a quelques jours que la lettre est arrivée par la poste. «Olga ne recevra probablement pas d'argent avant deux mois», craint Nicole Martin.
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De nombreux réfugiés viseraient Zurich
Les réfugiés ne sont pas les seuls à être dépassés par cette jungle bureaucratique, dans laquelle il faut se frayer un chemin. De nombreuses familles d'accueil le sont elles aussi.
La lenteur de la Confédération a aussi de quoi troubler les réfugiés. Selon le Secrétariat d'État aux migrations (SEM), les personnes ukrainiennes doivent actuellement attendre jusqu'à trois semaines avant d'obtenir le fameux «statut S». Dans de nombreuses communes, ce n'est qu'à partir de là qu'elles peuvent recevoir l'aide sociale - bien que tous les réfugiés ne soient pas au courant de cette possibilité.
«L'examen des dossiers fait partie du devoir de diligence des autorités», se défendait Gaby Szöllösy, de la Conférence des directrices et directeurs cantonaux des affaires sociales (CDAS), jeudi lors de la conférence de presse hebdomadaire de la Confédération et des cantons sur l'Ukraine.
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De plus, certains réfugiés auraient, selon les autorités, des exigences élevées en matière de logement et de niveau de vie. Les autorités constatent par exemple qu'un très grand nombre d'entre eux souhaitent vivre en ville, tout particulièrement à Zurich - pas à la campagne. Mais la Confédération ne peut pas toujours satisfaire ce souhait, car les autorités zurichoises sont à la limite de leurs possibilités.
En ce qui concerne le rythme, certains cantons se sont rapidement organisés de manière à pouvoir être réactifs dès le début de l'invasion, a déclaré Szöllösy. Le Valais est un exemple. Les personnes en quête de protection y reçoivent directement une aide sociale, dès qu'elles se sont enregistrées auprès du SEM. Afin de recevoir une aide réactive, la CDAS recommande aux réfugiés de s'inscrire le plus rapidement possible pour obtenir le statut S.
L'aide sociale varie selon les cantons
Maria a également vécu toute une odyssée administrative. «Beaucoup sont renvoyés d'un bureau à l'autre parce qu'il manque des documents», témoigne l'Ukrainienne, qui a été accueillie à Zurich par un couple, début mars. Elle connaît de nombreux compatriotes qui disent déjà être à cours d'économies. Ils ne vivent que de charité. Elle-même a assez rapidement obtenu le statut S parce qu'elle a frappé à de très nombreuses portes, et qu'elle a des connaissances en allemand.
Une fois que les réfugiés reçoivent de fait l'aide sociale, le montant qui leur est versé est quant à lui très variable. Berne et Soleure sont les plus généreux, avec près de 700 francs d'aide sociale par mois pour une personne seule. Ce montant, appelé «besoins de base», doit suffire pour la nourriture, les vêtements et autres produits de première nécessité. Les primes d'assurance maladie en sont exclues. À Zurich, ville réputée comme étant parmi les plus chères de Suisse, un réfugié reçoit environ 200 francs de moins.
En Argovie, il faut par contre se contenter de 290 francs par mois, et à Obwald, de seulement 90 francs. Toutefois, selon les autorités, les réfugiés d'Obwald peuvent obtenir des vêtements gratuits et reçoivent parfois des bons pour de la nourriture. En Appenzell Rhodes-Extérieures, la loi prévoit 1,30 franc par jour pour les vêtements et les chaussures.
Les hôtes ne pas indemnisées partout
En règle générale, plus une famille est grande, plus la somme accordée par personne est petite. À Berne, une famille avec deux enfants reçoit 1489 francs par mois pour les «besoins de base». Dans le canton d'Obwald, ce montant est de 360 francs.
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De l'autre côté, les familles d'accueil sont indemnisées de manière très variable selon les cantons - si tant est qu'elles le soient. À Lucerne, l'on ne donne rien. Alors que, dans le canton voisin d'Argovie, une famille d'accueil reçoit 1080 francs pour l'hébergement d'un clan de quatre personnes. Certains cantons, comme Zurich, Thurgovie et Saint-Gall, laissent le soin aux communes de déterminer le régime à adopter.
Pour de nombreuses personnes concernées, il est incompréhensible que cela se passe différemment dans chaque canton. Svetlana, une autre réfugiée ukrainienne rencontrée par Blick, ne comprend pas pourquoi son ancienne voisine, désormais logée à Bâle, a déjà reçu de l'argent - et pas elle. Pendant ce temps, elle survit depuis des semaines à Zurich avec des bons Migros. Elle est désabusée: «Je n'ai pas seulement été livrée à la guerre dans mon pays, mais aussi au système suisse, que je ne comprends pas.»
(Adaptation par Daniella Gorbunova)