C’est un homme soulagé qui se confie à Blick. Au moment de brandir une lettre «qui change la donne», l’émotion lui prend la gorge. Mais ses mots sont limpides: «C’est la preuve que c’est un coup monté de A à Z! J’ai bel et bien été délogé d’Y-Parc à cause de motifs inventés de toutes pièces par l’ancienne directrice qui a voulu me détruire.»
Pour comprendre les tenants et aboutissants de cette sombre histoire et l’importance capitale de ce nouvel épisode dans la saga qui ébranle le parc technologique et scientifique d’Yverdon-les-Bains depuis bientôt un an, il faut brièvement remonter le temps. Plongeons-nous un instant dans l’épais brouillard de la plaine de l’Orbe, dans le discret district du Jura-Nord vaudois.
17 mars 2021: l’ex-cheffe d’Y-Parc, le plus grand du genre en Suisse, a été sauvagement agressée puis laissée pour morte dans un ruisseau, assure-t-elle dans la foulée à la presse locale. Son clan familial et professionnel fait front derrière la jeune femme: ces faits interviennent après des mois de harcèlement perpétré par un entrepreneur précédemment passé par le parc avant d’en être expulsé avec fermeté en octobre 2020 par sa directrice et son conseil d’administration, alors présidé par le chef du groupe PLR au Grand Conseil Jean-Daniel Carrard, qui était encore syndic de la cité thermale au moment des faits. En cause: dix loyers impayés et des dégâts dans les locaux loués.
Pour expliquer le passage à tabac, tout ce petit monde s’empresse de plaider avec assurance la thèse d’une vengeance barbare orchestrée par un individu mal intentionné, dangereux même. Mais ce dernier livrait à Blick une version totalement différente des faits.
Notre enquête publiée le 8 juin, fruit de trois semaines de recherches, révélait que l’entrepreneur incriminé et la directrice se connaissaient très bien. Et avaient même entretenu une «relation privée qui s’était mal terminée», selon les propres mots de Me Raphaël Mahaim, avocat de l’ancienne dirigeante qui a été licenciée moins de deux mois après la parution de notre article.
L’homme, dont le nom et les actes présumés se murmuraient sur toutes les lèvres du landerneau politique, se défendait en affirmant être en réalité la victime de celle qui l’accuse. Il étayait ses assertions avec des dizaines et des dizaines de documents: enregistrements vocaux, courriels, messages échangés sur l’application WhatsApp… Et copie de son historique d’appels.
Ainsi, une nuit, la directrice — qui avait d’après lui «un comportement obsessionnel» — lui a laissé pas moins de 45 appels en absence. Il affirmait en outre avoir toujours réglé ce qu’il devait à Y-Parc et que son expulsion était fondée par des motifs «mensongers». La vraie raison? Il aurait payé au prix fort le fait d’avoir dénoncé «les abus» de la directrice. Neuf témoignages qui se recoupent venaient souligner cette interprétation.
Un courrier qui change la donne
Aujourd’hui, une enquête est toujours en cours concernant l’agression. Difficile de connaître son avancée. La procureure en charge du dossier — sollicitée par Blick à deux reprises — «ne peut fournir aucune réponse aux questions posées». La fameuse lettre reçue par l’entrepreneur incriminé fin décembre permet toutefois de lever le voile sur son départ forcé d’Y-Parc.
Voici ce qu’annonce la missive: «À ce jour, la facture d’un montant de 4837,40 francs pour les travaux de réparation de vos anciens locaux est toujours ouverte. Le Conseil d’administration d’Y-Parc Swiss Technopole SA vous informe qu’il a renoncé à cette créance. En espérant ainsi mettre un terme à ce contentieux, nous vous prions de croire, Monsieur, à l’expression de nos sentiments les meilleurs.»
Un cadeau de Noël inattendu pour tenter d’apaiser la situation qui traîne en longueur? «Non!, rétorque le patron d’entreprise dans la tourmente. C’est la preuve écrite que les dégâts utilisés pour me virer ne sont pas de mon fait. Comme je l’ai toujours dit, ils dataient du locataire qui m’avait précédé. Et tout le monde à Y-Parc le savait.»
Y-parc confirme ses allégations
Sa version, qui n’a pas bougé d’un poil de fourmi les mois passant, est-elle exacte? Pierre-Luc Maillefer, président ad intérim du conseil d’administration, confirme que cette créance n’était pas justifiée. «Après une enquête qui a demandé plusieurs mois, il s’est avéré que les travaux ont été rendus nécessaires par des dégâts antérieurs à l’installation de l’entrepreneur», explique-t-il.
N’aurait-il pas été possible de vérifier cet élément avant de mettre le locataire à la porte? «Nous n’avions pas d’autres informations que celles remontées par notre ancienne directrice et nous n’avons compris qu’après coup qu’elle nous transmettait parfois de mauvaises informations. Nous n’aurions pas pu vérifier autrement sur le moment, car aucun état des lieux n’avait été fait. Ce qui est évidemment problématique. Ce sont les résultats de l’audit, livrés cet automne, qui nous ont permis d’y voir plus clair.»
- Le 18 mars 2021, «La Région» révélait sur son site internet que l’ex-cheffe d’Y-Parc, qui a passé vingt ans aux Etats-Unis, avait été «victime d’une agression» la veille, pendant qu’elle faisait un footing dans la plaine de l’Orbe. Une photo de son visage tuméfié illustrait l'article. «La dynamique directrice d’Y-Parc a été retrouvée dans un sale état par son compagnon mercredi soir, alors que la nuit était déjà tombée», relatait le journal local, dont la société éditrice est présidée par Philippe Dubath, le conjoint d’une tante de l’ancienne directrice.
- L’information est rapidement développée par «24 heures». L’Agence télégraphique suisse publie une dépêche reprise par bon nombre de médias romands. Qui s’en est pris à la patronne du parc de 52 hectares, au plus de 200 entreprises et 1800 emplois? Et surtout, pourquoi?
- L’entourage de la jeune femme ne se montre pas avare en insinuations dans la presse. Elle-même raconte en détail son agression au grand quotidien vaudois: «Je n’ai pas vu précisément mon agresseur. Je courais avec mon chien, j’ai fait une pause, un grand type avec une capuche est arrivé, et je me suis réveillée dans ce ruisseau, peut-être une heure plus tard… Je n’arrêtais pas de trembler. C’est la concrétisation de menaces qui durent depuis des mois. On s’en est pris à mes proches, à une collaboratrice, à ma société…»
- Toujours dans les bonnes pages de «24 heures», un oncle de la directrice, Laurent Gabella, président de la Société industrielle et commerciale d’Yverdon, Grandson et environs, évoque une «concomitance entre le harcèlement professionnel dont [la dirigeante] fait l’objet depuis des mois et une agression sans vol, ni viol». La rumeur concernant le jeune entrepreneur est lancée. Et celui qui est également conseiller communal PLR yverdonnois d’ajouter: «Je ne peux pas admettre que de tels agissements de malfrats puissent avoir lieu dans notre région. Qu’une femme ne puisse pas faire son jogging en toute sécurité en fin de journée me révolte.»
- Le 8 juin, notre enquête démontre que des membres du conseil d’administration du parc technologique d’Yverdon-les-Bains ont adopté une position changeante au fil de l’instruction. Et l’entrepreneur accusé par le clan de l’ex-cheffe prétend… être la victime.
- Le 15 juin, le député popiste Vincent Keller s’appuie sur notre article pour interroger le Conseil d’Etat. L’élu attend toujours des réponses.
- Le 20 août, «Le Temps» révèle que la directrice a été licenciée par le parc d’innovation. Son avocat monte au créneau pour la défendre. Un audit est lancé à Y-Parc.
- Les résultats de l’audit dévoilés à la fin octobre sont inquiétants. Ils tancent la mauvaise gouvernance du parc. Et des soupçons de favoritisme apparaissent. Blick a enquêté.
- Ce mercredi 26 janvier, Blick révèle que l’entrepreneur que tout le monde accuse disait vrai concernant les motifs qui ont été utilisés pour l’expulser d’Y-Parc. Concernant l’enquête portant sur l’agression, rien ne fuite.
- Le 18 mars 2021, «La Région» révélait sur son site internet que l’ex-cheffe d’Y-Parc, qui a passé vingt ans aux Etats-Unis, avait été «victime d’une agression» la veille, pendant qu’elle faisait un footing dans la plaine de l’Orbe. Une photo de son visage tuméfié illustrait l'article. «La dynamique directrice d’Y-Parc a été retrouvée dans un sale état par son compagnon mercredi soir, alors que la nuit était déjà tombée», relatait le journal local, dont la société éditrice est présidée par Philippe Dubath, le conjoint d’une tante de l’ancienne directrice.
- L’information est rapidement développée par «24 heures». L’Agence télégraphique suisse publie une dépêche reprise par bon nombre de médias romands. Qui s’en est pris à la patronne du parc de 52 hectares, au plus de 200 entreprises et 1800 emplois? Et surtout, pourquoi?
- L’entourage de la jeune femme ne se montre pas avare en insinuations dans la presse. Elle-même raconte en détail son agression au grand quotidien vaudois: «Je n’ai pas vu précisément mon agresseur. Je courais avec mon chien, j’ai fait une pause, un grand type avec une capuche est arrivé, et je me suis réveillée dans ce ruisseau, peut-être une heure plus tard… Je n’arrêtais pas de trembler. C’est la concrétisation de menaces qui durent depuis des mois. On s’en est pris à mes proches, à une collaboratrice, à ma société…»
- Toujours dans les bonnes pages de «24 heures», un oncle de la directrice, Laurent Gabella, président de la Société industrielle et commerciale d’Yverdon, Grandson et environs, évoque une «concomitance entre le harcèlement professionnel dont [la dirigeante] fait l’objet depuis des mois et une agression sans vol, ni viol». La rumeur concernant le jeune entrepreneur est lancée. Et celui qui est également conseiller communal PLR yverdonnois d’ajouter: «Je ne peux pas admettre que de tels agissements de malfrats puissent avoir lieu dans notre région. Qu’une femme ne puisse pas faire son jogging en toute sécurité en fin de journée me révolte.»
- Le 8 juin, notre enquête démontre que des membres du conseil d’administration du parc technologique d’Yverdon-les-Bains ont adopté une position changeante au fil de l’instruction. Et l’entrepreneur accusé par le clan de l’ex-cheffe prétend… être la victime.
- Le 15 juin, le député popiste Vincent Keller s’appuie sur notre article pour interroger le Conseil d’Etat. L’élu attend toujours des réponses.
- Le 20 août, «Le Temps» révèle que la directrice a été licenciée par le parc d’innovation. Son avocat monte au créneau pour la défendre. Un audit est lancé à Y-Parc.
- Les résultats de l’audit dévoilés à la fin octobre sont inquiétants. Ils tancent la mauvaise gouvernance du parc. Et des soupçons de favoritisme apparaissent. Blick a enquêté.
- Ce mercredi 26 janvier, Blick révèle que l’entrepreneur que tout le monde accuse disait vrai concernant les motifs qui ont été utilisés pour l’expulser d’Y-Parc. Concernant l’enquête portant sur l’agression, rien ne fuite.
Reste encore la question des 10 loyers impayés, second motif d’expulsion. «Il n’y a plus aucun litige entre Y-Parc et l’entrepreneur en question, rebondit Pierre-Luc Maillefer. Dans mes souvenirs, j’ai vu la trace au conseil d’administration de ces loyers en retard mais ils ont tous fini par être réglés.»
Le patron incriminé bondit: «Je me suis exécuté dès qu’on m’a demandé de le faire, entre décembre 2019 et février 2020, parce qu’on me mettait une pression folle sur le dos! Mais la directrice m’avait assuré que je n’avais pas à en payer lors de mon installation début 2019 pour faire décoller ma start-up et qu’on s’arrangerait plus tard. C’est quand le conflit a éclaté qu’elle m’a rétrospectivement demandé 10 mois de loyers.»
Il insiste: «En octobre 2020, on m’a expulsé en mettant sur la table ces prétendus montants toujours impayés alors que tout était en ordre depuis des mois. Je n’ai d’ailleurs jamais reçu un rappel officiel ou une mise en demeure durant cette période. Pensez-vous vraiment que les choses se seraient passées ainsi si j’avais réellement cumulé 10 loyers impayés?»
Pierre-Luc Maillefer écoute religieusement cet argument que nous lui rapportons. «J’entends cette version des faits mais je ne peux rien dire de plus, glisse-t-il. Comme dans malheureusement d’autres cas similaires, l’entrepreneur dont nous parlons ne bénéficiait pas d’un contrat de bail en bonne et due forme mais avait uniquement noué un accord oral avec notre ancienne directrice. Nous avons depuis régularisé toutes ces situations.»
L’entrepreneur ne se dégonfle pas: «J’ai déjà attaqué en justice l’ex-directrice et plusieurs membres de son entourage pour calomnie, diffamation et atteinte à l’honneur et une procédure est ouverte. Je ne m’arrêterai pas. Je répète depuis des mois que je suis innocent de tout ce dont on m’accuse, la vérité finira par complètement éclater. Toutes les personnes qui ont voulu me nuire devront assumer les conséquences de leurs actes, de leur complicité ou de leur inaction. Je les combattrai inlassablement et elles finiront par tomber.»
Une détermination partagée par son avocat: «En 10 mois d’enquête, mon client — qui n’a absolument rien à voir avec ce dont on l’accuse — n’a jamais été entendu comme prévenu dans cette affaire d’agression, tonne Me Sébastien Pedroli. Il faut maintenant que les calomnies cessent! Nous sommes prêts à aller en justice autant de fois qu’il le faudra pour défendre son honneur et la vérité. D’ailleurs, à ma connaissance et à ce jour, aucune preuve ou pièce compromettante n’a été produite.»
Confronté ce mercredi à tous ces nouveaux éléments, Me Raphaël Mahaim s’est entretenu avec sa cliente pour obtenir des réponses à nos questions. «Au moment de la lettre de résiliation, les nombreux loyers payés en retard avaient été finalement réglés», confirme l’homme de loi. Pourtant, sur ce point, le texte stipulait ceci: «Compte tenu du contentieux financier (environ 10 mois de retard de paiements) et du non-respect continuel des délais de paiement, nous avons décidé de mettre un terme à notre convention de prestation».
Cette phrase ne signifie-t-elle pas clairement que Jean-Daniel Carrard et la directrice assenaient à tort que 10 loyers restaient à payer? «Non, riposte Raphaël Mahaim. Environ 10 loyers ont été payés en retard, c’est uniquement cela que la lettre dit. D’après la convention qui liait Y-Parc à l’entrepreneur, le paiement de loyers en retard pendant plus d’un mois est un motif de résiliation anticipée. Ici, il y a eu de très nombreux mois avec des retards de paiement, et la résiliation était donc justifiée. C’est aussi simple que cela.»
À la justice de trancher
Après cette question ô combien importante, l’avocat revient sur la question des dégâts dans les locaux, second motif d’expulsion. «Je n’ai pas connaissance de l’enquête à laquelle fait allusion le président ad intérim du conseil d’administration d’Y-Parc mais nous contestons fermement ses conclusions si elles ont la teneur que vous leur prêtez», fulmine-t-il.
Il persiste: «L’entrepreneur a bel et bien réalisé des travaux sans autorisations et causé ainsi des dégâts. Si nécessaire, nous pouvons le prouver devant un tribunal: plusieurs personnes peuvent attester de cette version des faits.» Surtout, Raphaël Mahaim maintient que le renvoi du parc n’était pas injustifié. «Le cumul des loyers payés en retard constituait à lui seul un motif suffisant de résiliation de la convention.»
Petit à petit, la lumière semble se faire sur les raisons du départ contraint de l’entrepreneur. Reste, toujours, les deux questions lancinantes que nous posions déjà lors de notre premier volet consacré à Y-Parc: si ce n’était pas le jeune entrepreneur, comme il le martèle depuis 10 mois, qui a donc bien pu laisser la directrice d’Y-Parc meurtrie ce 17 mars dans un ruisseau non loin du parc qu’elle dirigeait? Et pourquoi? À la justice, maintenant, de terminer son œuvre.