Près de cinq mois après, toujours rien. Souvenez-vous, c’était le 15 juillet 2021: le conseil de fondation de la Maison d’Ailleurs et la Municipalité d’Yverdon-les-Bains annonçaient le lancement d’une enquête dès la fin du mois d’août, à la suite d’un travail d’investigation de Blick. Objectif: faire la lumière sur la gestion du musée de la science-fiction et son directeur, l’ultramédiatique Marc Atallah. Pour mémoire, ce dernier fait notamment face à des accusations de mauvaise gouvernance, de management inapproprié et d’engagement de proches. Accusations qu’il rejette en bloc.
Pourquoi l’audit, de la responsabilité du conseil de fondation de l’institution, n’est-il toujours pas lancé? La lenteur du processus interpelle parmi les observateurs du monde culturel vaudois. Et les premières bribes d’informations officielles sont floues.
Ce jeudi 20 janvier, dans son infolettre hebdomadaire, la Municipalité, qui accompagne le conseil de fondation dans cette démarche, indique avoir «pris connaissance d’une proposition de mandat pour l’audit transmise par le conseil de fondation de la Maison d’Ailleurs». Et précise: «Des discussions sont en cours afin de définir au mieux les contours de ce mandat».
Le conseil de fondation rechignerait-il à agir?
Joint par téléphone, le socialiste Pierre Dessemontet, co-syndic, se montre ferme: «La Municipalité demande au conseil de fondation de prendre ses responsabilités et d’engager le processus dans les meilleurs délais». A quelle échéance? «Nous espérons que l’audit sera terminé avant le mois de mai. A ce stade, nous faisons le pari de la confiance au conseil de fondation. Cas échéant, nous réévaluerions la situation.»
L’Exécutif ne souhaite visiblement pas en arriver là, mais la Ville dispose de différents outils pour faire pression sur l’organe suprême du musée du Nord vaudois. Elle pourrait par exemple démettre la majorité de ses membres de leurs fonctions ou encore suspendre une partie ou l’entier de sa subvention (560’000 francs en 2021), qui représente — selon les années — entre un tiers et la moitié du budget de la Maison d’Ailleurs (1,6 million en 2021).
Le conseil de fondation rechignerait-il à agir? «Non, assure Laurent Gabella, son président, réputé proche de Marc Atallah. Tout cela prend du temps, notamment en raison des échanges de courriers nécessaires avec la Municipalité, et demande du travail.»
D’autant plus que le conseil de fondation et la Ville n’étaient pas sur la même longueur d’onde dès le début. «A la suite de votre article, nous avions fait notre diagnostic, développe-t-il. A nos yeux, il restait à évaluer les solutions que nous proposions dans les domaines des finances, de la gouvernance et des ressources humaines. Mais la Municipalité souhaite d’abord qu’un diagnostic soit établi à travers un véritable audit.»
L’inquiétude monte
Quel en sera le périmètre? Quelles seront les questions posées? Les anciens collaborateurs seront-ils entendus? «Nous espérons pouvoir terminer le processus à la fin du mois de mai, répond le conseiller communal (législatif) PLR. Le but est de faire la lumière sur la situation actuelle, en rapport avec les questions indirectement soulevées par votre article. Il n’est pas possible à ce stade d’en dire davantage car le périmètre et les questions sont susceptibles d’évoluer tout au long du processus, en fonction des besoins du mandataire.» Le collège municipal ne souhaite pas non plus s’exprimer sur ces points précis.
Reste que le besoin de réponses se fait sentir. Selon nos informations, trois nouveaux collaborateurs ont dernièrement démissionné coup sur coup de leur poste à la Maison d’Ailleurs. Dans d’autres institutions, la nouvelle aurait à peine soulevé quelques sourcils, voire été considérée comme anecdotique ou normale.
Ce n’est pas le cas ici: comme d’autres, les membres de la Municipalité s’interrogent. «Nous sommes au courant de ces récents départs et nous nous questionnons, glisse la co-syndique de la Cité thermale Carmen Tanner (Les Vert.e.s). L’audit doit plus que jamais être activé.»
L’inquiétude monte: comme l’avait démontré Blick l’été dernier, ce n’est pas la première fois que cela se produit. Entre 2016 et 2020, la grande majorité des postes clefs avait été renouvelée, dont certains sont désormais occupés par des proches du directeur au sein de la petite équipe de quatorze personnes.
«Rien d’alarmant» selon Marc Atallah
Des témoignages et des documents mettaient directement en cause des dysfonctionnements managériaux et les réactions de Marc Atallah face aux critiques de ses subalternes pour expliquer au moins quatre de ces sept départs en quatre ans. Le principal concerné avait relativisé, pointé des «divergences d’opinions» dans certains cas et souligné une moyenne de deux départs par an: «Il y a eu des changements, comme dans toutes les entreprises».
Aujourd’hui, le navire perd trois lieutenants: les responsables de la médiation culturelle, de la communication et du marketing, mais aussi de la technique s’en vont. Comment expliquer cette nouvelle vague? Contactées, aucune de ces trois personnes n’a souhaité s’exprimer.
Marc Atallah, qui dit se réjouir de découvrir les résultats de l’audit, se veut rassurant. «Je n’ai pas le droit de commenter des situations personnelles, qui relèvent de la sphère privée, mais je me suis entretenu avec ces trois collaborateurs et il n’y a rien d’alarmant. Je précise par ailleurs qu’ils n’étaient pas cadres, pour clarifier la terminologie que vous avez utilisée: ils avaient un titre de responsable, mais ils n’avaient pas de collaborateurs permanents sous leurs ordres. Ces titres étaient une demande de la précédente équipe et je l’avais acceptée.»
L’Etat de Vaud n’a pas attendu pour agir
Avant d’en dire un peu plus sur les raisons de leur envol: «Deux d’entre eux s’en vont après un peu plus de 4 ans de bons et loyaux services. Ils partent pour de nouveaux emplois séduisants, qui leur offrent la possibilité de faire évoluer leur carrière et un meilleur salaire. A la Maison d’Ailleurs, les possibilités d’évolution sont limitées. Ces départs font partie de la vie naturelle d’une petite institution.» Le quadragénaire précise en outre que tous les trois se sont mis à disposition du conseil de fondation pour répondre à d’éventuelles questions.
L’Exécutif se satisfera-t-il de ces explications? Carmen Tanner élude. «La Municipalité a demandé une enquête sérieuse. Au conseil de fondation de nous apporter des éléments plausibles et étayés à travers l’audit annoncé.» Celui-ci sera financé à parts égales entre la Maison d’Ailleurs et la Ville. «Cela montre une volonté commune, souligne Marc Atallah. Mais cela coûte cher.»
L’Etat de Vaud n’a, lui, pas attendu pour passer à l’action, a appris Blick. Le Contrôle cantonal des finances a mené un audit au sein de Numerik Games, festival dédié à l’art numérique, dont Marc Atallah est fondateur et directeur artistique. L’événement, organisé par la Maison d’Ailleurs, est notamment subventionné par le Service des affaires culturelles (SERAC) (à hauteur de 60’000 francs en 2021) et par le Service de la promotion de l’économie et de l’innovation (SPEI) (125’000 francs en 2021). L’an dernier, l’aide cantonale représentait un cinquième du budget de la manifestation.
Un rapport d’audit pas encore bouclé
«Je suis tenu par la loi à la confidentialité, je ne peux donc pas faire de commentaire sur le détail, coupe Olivier Bloch, président de l’association et avocat yverdonnois. Mais le processus s’est bien déroulé. Je précise également qu’il me paraît tout à fait légitime que le Service cantonal des affaires culturelles (SERAC) passe les finances d’une entité au crible lorsqu’il souhaite pérenniser son soutien, ce d’autant plus que le festival porté par notre association est encore jeune.» Selon nos informations toutefois, si le procédé n’est pas anormal, il est rare.
Contacté, le Contrôle cantonal des finances ne fait aucun commentaire. Selon nos sources, le rapport d’audit n’a pas encore été bouclé. Mais une chose paraît certaine: ces conclusions et recommandations pourraient conditionner les futures participations pécuniaires cantonales.