Lorsque les projecteurs s’allument, il brille. A la télé, à la radio, devant un parterre d’étudiantes et d’étudiants, en conférence: ses talents d’orateur envoûtent. Pour lui, même un président de la Confédération se déplace à Yverdon-les-Bains. Lui, c’est Marc Atallah, directeur de la Maison d’Ailleurs, musée de la science-fiction reconnu en Europe, depuis 2011. Sous l’aile de ce jeune quadragénaire tatoué, casquette toujours vissée sur la tête, également fondateur du festival Numerik Games dédié à la culture digitale, la Maison d’Ailleurs a grandi, est devenue encore plus populaire. Aujourd’hui, elle fait rayonner la cité thermale bien au-delà de ses frontières, collabore avec le tissu économique local et régional et attire de nombreux partenaires et sponsors.
Mais quand les lumières s’évanouissent, le tableau s’assombrit. Dans cette pénombre, derrière les murs d’un établissement très dépendant de son omnipotent dirigeant, Blick a mené l’enquête deux mois durant. «Marc Atallah a monté une exposition sur les monstres, mais c’est lui qui a construit un monstre ces dernières années», résume une source. Les neuf témoignages et les nombreux documents recueillis racontent la même histoire: engagement de proches, souffrance au travail, problèmes de gouvernance, accusations de plagiat. Une situation qui tourmente jusqu’à l’exécutif de la deuxième ville du canton de Vaud.
«Seule institution publique du genre dans le monde», lit-on sur son site internet, la Maison d’Ailleurs – qui accueille en moyenne 22’000 visiteurs par an – est sous l’égide d’une fondation privée à but non lucratif, exonérée d’impôts par l’Etat de Vaud et subventionnée par la Ville d’Yverdon à hauteur de 560’000 francs en 2021. Selon les années, depuis 2011, les impôts des contribuables couvrent entre un tiers et la moitié de son budget. Ses collections et les bâtiments qu’il occupe sont propriétés de la commune.
Profonde inquiétude
Entre autres au conseil de fondation: la municipale de la culture et désormais co-syndique Carmen Tanner (Les Vert.e.s), Gloria Capt (PLR), qui a quitté la Municipalité ce 1er juillet, mais aussi Danielle Chaperon, professeure et ancienne vice-rectrice de l’Université de Lausanne, l’autre employeur de l’ultramédiatique Marc Atallah qui est aussi maître d’enseignement et de recherche. A sa tête, Laurent Gabella, président de la Société industrielle et commerciale (SIC) locale et conseiller communal PLR.
Contactée pour prendre position sur les éléments de nos investigations, Carmen Tanner reconnaît immédiatement l’existence d’un problème au sein de l’institution et de son conseil de fondation. Elle fait part de sa profonde inquiétude et n’exclut pas le lancement d’un audit. Que s’est-il passé pour en arriver là? Blick lève le voile sur la galaxie Marc Atallah, en six chapitres.
1. Accusations de plagiat
«Plagiat». Au fil des rendez-vous, le mot revient souvent. Et puis, un jour, lors d’un entretien mené dans le cadre de notre enquête, trois feuilles tombent sur la table. «Je tiens à vous montrer ça.» Les documents commencent à dater, les accusations aussi. Fin 2016, voire durant la première partie de 2017, estime cette autre source. Il y a d’abord une capture d’écran de la page Wikipédia dédiée à Tadanori Yokoo, artiste japonais, objet de l’expo «Pop Art, mon Amour», présentée entre septembre 2016 et avril 2017 par la Maison d’Ailleurs. Quatre passages sont encadrés et numérotés, en rouge. Et puis, sur des copies des trois pages de la préface de l’ouvrage collectif «Pop art, mon amour - l’art de Tadanori Yokoo et du manga», sorti en marge de l’expo, les mêmes rectangles rouges.
Les emprunts paraissent évidents. Les notes de bas de page sont absentes, comme les guillemets. Wikipédia n’est pas citée comme source. Auteur de cette préface: Marc Atallah. L’ouvrage, dont il est co-auteur, comme sa préface d’environ 7’500 signes, figurent dans la liste de ses publications sur le site internet de l’UNIL. Publié le 23 septembre 2016 aux éditions Les Presses polytechniques et universitaires romandes, maison d’édition de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), on peut encore l’acheter sur les sites web de Payot ou de la Fnac pour une quarantaine de francs.
Le premier de nos trois exemples (les deux autres sont à découvrir en encadré) est sans doute le plus net. Comparons. Sur la page de l’encyclopédie collaborative: «Il continue cependant à utiliser des techniques japonaises relevant plus du design graphique que de la peinture, reprenant les couleurs exubérantes des «images du monde flottant» (ukiyo-e), ou utilisant la surimpression, technique issue du monde de la photographie.» Dans la préface, des mots disparaissent, mais les phrases sont quasi identiques, les mots utilisés aussi: «(...) il continue à utiliser des techniques japonaises qui relèvent du design graphique, par exemple en reprenant les couleurs exubérantes des ukiyo-e ou en utilisant le procédé de surimpression».
Les trois paragraphes issus de Wikipédia mis en évidence dans cet article – écrits entre février 2006, date de la création de la page, et avril de la même année – représentent la quasi-totalité du chapitre «Son œuvre» de l’encyclopédie en ligne au moment de la publication de l’ouvrage co-signé par Marc Atallah. Ses lignes ont été écrites par les contributeurs «Musashi» et «Semnoz». Blick a vérifié: selon toute vraisemblance, Marc Atallah ne se cache derrière aucun de ces pseudonymes.
Un logiciel à la rescousse
Le plagiat est défini par l’UNIL dans sa Directive No 3.15: «Le plagiat est la reprise – même ponctuelle, partielle ou reformulée – d’un texte d’autrui, en le faisant passer pour sien ou sans en indiquer la source». Mais reprendre des passages d’une page Wikipédia peut-il être considéré comme du plagiat? «Oui, répond Daniel Kraus, professeur de droit à l’Université de Neuchâtel et co-fondateur du Pôle de propriété intellectuelle et de l'innovation. Si on utilise un passage de Wikipédia dans une publication, il faut citer cette source, par exemple en note de bas de page.» Selon le droit fédéral, l’acte est passible - sur plainte de l’auteur lésé - d’une peine de prison d’un an au maximum, rappelle le professeur, qui ne souhaite pas s’exprimer sur le cas d’espèce. A minima, un plagiat commis par un enseignant d’une université est une faute professionnelle, soutient-il en revanche.
Marc Atallah «récuse fermement l’accusation de plagiat». «Je vous prie de vérifier vos sources et vos informations avant de publier des suppositions qui sont gravement attentatoires à mon honneur», avertit-il. Pour sa défense, il met en avant une analyse datée du 10 juin 2021 faite par le logiciel Compilatio.net, outil à disposition du corps enseignant de l’UNIL et d’autres hautes écoles et qui sert à détecter des cas de plagiat dans les productions scientifiques et les travaux des étudiants. «Le résultat de cette analyse démontre que cet article ne peut pas être considéré comme un acte de plagiat, écrit le directeur. Comme vous pouvez le voir, l’analyse montre que les seules similitudes répertoriées sont des similitudes dites «accidentelles», et qu'elles se montent à 0,9% de l’article total.» Selon nos calculs toutefois, les trois exemples cités dans cet article représentent environ 10% de la préface.
Des arguments partiels, selon un avocat spécialisé
L’argumentaire de Marc Atallah soulève des questions. Une analyse faite par un logiciel a-t-elle une valeur juridique? Qu’en est-il de la part du texte affichant des similitudes avec d’autres écrits? Nous avons posé ces questions à Philippe Gilliéron, avocat lausannois et professeur à l’Université de Lausanne, qui enseigne les questions de propriété intellectuelle et du numérique depuis 20 ans. «De manière générale, une analyse faite par un logiciel n’est pas une réponse exhaustive et absolue à la question de savoir s’il y a eu une violation des droits d’auteur ou non, affirme-t-il. Dans une procédure judiciaire, Compilatio peut toutefois être un outil qu’une autorité judiciaire pourrait consulter et en apprécier l’éventuelle force probante, à l’image de n’importe quelle autre preuve produite par une partie au litige.»
Même réponse concernant le pourcentage de similitudes retrouvées: «Lors d’un procès, un juge doit répondre à cette question: s’agissant plus particulièrement de textes, y a-t-il eu reprise de ce qui constitue l’individualité d’une œuvre sans en citer l’auteur ou non?» En clair, la question de savoir si des droits d’auteur ont été violés est indépendante d’un certain pourcentage de reprise; seul importe le fait que des éléments protégés ont été indûment repris sans en citer la source. «La quotité pourrait en revanche être prise en compte dans l’établissement de la gravité des faits et dans le calcul des éventuels dommages provoqués.»
Alors, fautif, Marc Atallah, ou pas? Pour cette avocate romande, également spécialiste de ces questions, qui souhaite rester anonyme, «nous sommes en zone grise» puisque le cas pourrait être problématique d’un point de vue scientifique et déontologique mais pas forcément aux yeux de la loi. «Au vu de ce qui m’a été exposé, cela ne peut pas être un hasard: il me paraît improbable que ces écrits ne proviennent pas de la même source, explique-t-elle. Source qui n’est citée ni par l’auteur, ni par la page Wikipédia, d’ailleurs. Reste à savoir quelle est cette source.»
Et la femme de loi de poursuivre: «Les règlements déontologiques universitaires ont une définition du plagiat qui inclut la reprise d’une idée, même reformulée, si la source n’est pas citée. Mais dans la loi, la notion de plagiat est absente et le droit d’auteur ne protège que l’expression de l’idée et non l’idée elle-même, analyse-t-elle. Dans le cas présent, on pourrait se poser la question. Mais je pense que les phrases ont été suffisamment changées ou sont trop courtes pour être considérées comme une violation du droit d’auteur.»
2. Engagements de ses proches
Un autre fait revient régulièrement dans les discussions avec nos sources: Marc Atallah emploie ou a employé des proches au sein de la Maison d’Ailleurs. Selon plusieurs témoignages, son frère, des amis, son épouse, le demi-frère de celle-ci, le conjoint de la sœur de celle-ci, le père de celle-ci ont toutes et tous travaillé au moins une fois pour le musée. Trois proches de Marc Atallah ont aujourd’hui un poste fixe au sein de l’institution. Sur 14 au total – en comptant les contrats à durée déterminée et une apprentie – selon le site internet de l’institution, mis à jour alors que nous arrivions au terme de cette enquête et qu’il n’en listait initialement que sept. Les 14 postes incluent celui de sa femme, qui facture ses heures à la Maison d’Ailleurs comme des prestations externes.
Son cas est peut-être le plus parlant. Au fil des ans, la Maison d’Ailleurs lui a confié plusieurs mandats. «Elle a par exemple touché plus de 1000 francs pour gérer l’installation d’un studio photo à l’hôpital d’Yverdon, alors que ces tâches auraient pu être effectuées à l’interne», affirment plusieurs sources. Un document en possession de Blick confirme ce montant. Autre mandat, comme en atteste sa page sur le réseau social professionnel LinkedIn: elle assure également le sponsoring et la promotion du festival Numerik Games, dont Marc Atallah est… directeur artistique.
Cette manifestation consacrée à l’art et à la culture numérique, subventionnée par la Ville et le Canton, dont l’UNIL et la Haute école d’ingénierie et de gestion (HEIG-VD) sont partenaires, est étroitement liée à la Maison d’Ailleurs, qui l’organise. Gagnant chaque année en envergure, le festival avait attiré le président de la Confédération Alain Berset à Y-Parc en 2018 et officiellement plus de 10’000 visiteurs lors de sa quatrième et dernière édition en date, en 2019. En 2021, outre plusieurs week-ends thématiques, le festival doit se tenir du 27 au 29 août au centre-ville.
Un demi-frère qui n’en serait pas un
L’épouse de Marc Atallah travaille aussi plusieurs jours par semaine dans la boutique extramuros de la Maison d’Ailleurs, «Pop Invaders». «A l’interne, nous ne comprenions pas la volonté du directeur de créer une nouvelle boutique alors que le musée en compte déjà une dans son hall, raconte cette source. Nous ne nous sommes plus étonnés lorsque nous avons appris que sa femme y travaillerait.» Ouvert en 2019, ce «concept store» vend aussi des objets qui n’ont rien à voir avec la science-fiction, comme des jeux de société grand public.
Marc Atallah concède que son «beau-frère par alliance» est au bénéfice d’un contrat à durée indéterminée (CDI). Il confirme également que son épouse est engagée sur mandat à la boutique «Pop Invaders» et lors des préparatifs de Numerik Games, soulignant que celle-ci est qualifiée pour ces postes et que les mandats qui lui ont été donnés n’auraient pas pu être assumés à l’interne. Il ne nie pas l’engagement de celui que nous avons appelé ici «le demi-frère de sa femme», mais conteste les termes utilisés pour le qualifier. «Celui-ci ne fait pas partie de ma famille et n’a aucun lien de sang avec mon épouse. Le père de mon épouse et la mère de cette personne ont été en couple pendant quelques années, lorsque mon épouse et lui avaient environ 12 ans, étant précisé que le père de mon épouse n’avait pas la garde de cette dernière. Selon vos critères, il est probable qu’en cherchant bien, nous finissions tous par être «des proches».»
«Engagés pour dépanner»
Quant aux autres personnes listées dans notre enquête, il ne réfute pas les avoir enrôlées sporadiquement, mais précise: «Ces personnes sont venues nous dépanner, principalement en période de montage d’exposition. Ces moments nécessitent en effet de nombreuses ressources sur une période très courte. Nous parlons ici de quelques heures de travail. Quant à leur rémunération, mon frère est venu installer bénévolement des logiciels, et les autres ont été rémunérés à l’heure pour des tâches de montage ou de livraison».
Les postes occupés par des proches de Marc Atallah ont-ils systématiquement été mis au concours? «De façon générale, les personnes engagées à la Maison d’Ailleurs de manière fixe ont soit répondu à des offres, soit effectué des offres spontanées, assure Laurent Gabella, président du conseil de fondation. Ce n’est pas forcément le cas pour les missions d’auxiliaire.» Les postes ne sont «pas forcément» mis au concours, «ce qui respecte les dispositions règlementaires et statutaires de la fondation», développe-t-il.
Par ailleurs, le directeur du musée ne comprend pas les questions soulevées sur l’usage de la subvention communale et de l’argent public en général. «Si la fondation est exemptée d’impôts, c’est en raison de sa mission, balaie-t-il. Son budget n’est de loin pas constitué que d’argent public (ndlr: ces dernières années, l’argent public couvre entre un tiers – comme en 2021 – et la moitié du budget du musée). Affirmer que les salaires de la Maison d’Ailleurs sont à charge du contribuable constitue un abus de langage. La fondation de la Maison d’Ailleurs est une fondation de droit privé, qui reçoit une subvention communale sans relation avec la masse salariale, mais en contrepartie de missions précisées dans les statuts de la fondation.»
3. Un salaire de syndic
La question du salaire du directeur suscite également des critiques. Comme le montre un autre document, le conseil de fondation a augmenté le salaire de Marc Atallah - qui consacre officiellement 60% de son temps à la Maison d’Ailleurs - trois fois entre 2013 et 2017. Et ce alors que certaines demandes d’autres employées et employés ont été refusées, générant des frustrations et des incompréhensions. En 2017, alors qu’il occupe son poste depuis 6 ans seulement, son salaire mensuel bondit de 5’800 à 8’400 francs bruts, auxquels s’ajoutent 600 francs mensuels de frais forfaitaires de représentation.
Porté à 100% et multiplié par 13 mois, sans compter ces frais forfaitaires, le salaire annuel de Marc Atallah atteindrait alors 182’000 francs par an. Selon nos informations, c’est davantage que toutes les directrices et tous les directeurs de musées cantonaux vaudois, qui reçoivent au maximum 181’000 francs par an, en général en fin de carrière. Des postes qui impliquent de plus grandes responsabilités.
A titre d’exemple, le musée de l’Elysée à Lausanne, dédié à la photographie, compte 42 collaboratrices et collaborateurs fixes, son budget annuel atteint 5,8 millions de francs, financé pour moitié par le Canton, selon son rapport d’activité 2020, et accueille en moyenne 50’000 visiteurs par an. Comparons: la Maison d’Ailleurs compte 14 collaboratrices et collaborateurs fixes et son budget est 3,6 fois moins élevé (1,6 million de francs). Autre comparaison possible: syndic d’Yverdon jusqu’au 1er juillet, Jean-Daniel Carrard (PLR) touchait un peu plus de 190’000 francs par an.
No comment
Marc Atallah ne commente pas, nous renvoyant vers le président du conseil de fondation, qui ne souhaite pas non plus s’exprimer sur les chiffres. «Il s’agit de la sphère privée de Marc Atallah», estime Laurent Gabella. Ce dernier confirme en revanche que le salaire du directeur – validé par le «conseil de fondation, qui est le seul organe compétent en la matière» – a été augmenté deux fois et «adapté» une autre fois depuis son engagement. «A noter que les salaires des autres collaborateurs ont également été revus plusieurs fois.»
4. Personnalité et crise à l’interne
La Maison d’Ailleurs a connu une grosse crise interne entre 2016 et 2017. Deux courriers en notre possession parlent d’un climat de travail qui se dégrade à ce moment-là. Quatre membres du personnel quittent le musée durant cette période, dont trois courant 2017. Autre indice: avant cela, en 2016, les différents services avaient notamment répertorié des «dysfonctionnements» managériaux en demandant davantage d’autonomie à la direction. Mi-2017, un document en notre possession, fait état d’un manque de reconnaissance envers les stagiaires, qui ont parfois dû être récupérés en pleurs par le personnel du musée.
Si la situation semblait s’être calmée, trois nouveaux départs entre 2019 et 2020 relancent les craintes. En quatre ans, la plupart des postes-clés ont été renouvelés. Et des proches de Marc Atallah ont remplacé des ex-employées et employés. Des courriers en notre possession et les témoignages récoltés soutiennent qu’au moins quatre des départs de ces dernières années ne sont pas uniquement liés à des facteurs externes, mais aussi à la gestion du musée par Marc Atallah, ses réactions «vives» voire «effrayantes» face aux critiques et à un climat de travail qui s’est dégradé au fil des ans.
«Pas de difficultés particulières», mais des «divergences d’opinions»
Marc Atallah relativise les événements rapportés par nos sources. «Notre position d’ancien employeur nous interdit de commenter des situations personnelles. En moyenne, entre 2016 et 2020, nous sommes à moins de deux départs par année. Il y a eu des changements, comme dans toutes les entreprises. Pour ce qui est des départs «groupés» auxquels vous faites allusion, ils sont effectivement imputables à des divergences professionnelles, reconnaît-il. Il n’y a pas eu de difficultés particulières avec certains de mes anciens employés, mais des divergences d’opinions, qui ont notamment conduit à la mise en place d’une organisation du travail plus précise. Malgré ceci, certains ont décidé de nous quitter.»
Le directeur ne «se risquera pas» à analyser les véritables motifs de ces démissions. Mais il assure avoir «toujours tendu la main aux collaborateurs et je les ai toujours incités à venir me parler». Il note par ailleurs qu’il n’y a «jamais eu de plaintes ou de demandes de médiation auprès des Prud’hommes ou autres organes de soutien aux employés». Notre enquête démontre toutefois que plusieurs membres du personnel ont fait part de leurs doléances auprès du Service de la culture de la Ville ces dernières années.
5. Nombre de visiteurs gonflé
Un dernier point interpelle nos sources. Dans l’exercice de ses fonctions, Marc Atallah aurait pris quelques libertés au sujet de la fréquentation de son musée. Plusieurs témoignages directs le soulignent: les chiffres des entrées auraient été gonflés à plusieurs reprises, en toute fin d’année, par le directeur ou sur ses ordres. Idem pour le nombre de visiteurs accueillis lors du festival Numerik Games.
Le directeur de la Maison d’Ailleurs ne nie pas ces bonds. «Il se pouvait que les entrées du Musée augmentent en fin d’année, car c’est à ce moment qu'étaient effectués les correctifs d'entrées — qui représentaient environ 1 à 3 % du nombre d’entrées annuelles (ndlr: soit entre 220 et 660 entrées si l’on se base sur le chiffre de 22’000 entrées en moyenne par an, selon Marc Atallah) – et correspondaient à la marge d’erreur, justifie-t-il. Ceci n’est plus le cas depuis 2019 grâce à l’implémentation d’un nouveau système administratif plus fiable qui permet une meilleure gestion des entrées.»
L’ancien directeur témoigne
Contacté par Blick, son prédécesseur, Patrick Gyger, assure que la pratique n’avait pas cours de son temps. «Chaque entrée était comptabilisée par une caisse enregistreuse, un système qui devient opaque lorsqu’il s’agit d’entrées gratuites, glisse celui qui dirige aujourd’hui le pôle muséal cantonal vaudois Plateforme 10 à Lausanne. Mais nous étions totalement transparents sur les chiffres, quitte à nous desservir parfois car certaines expositions auxquelles nous croyions n'attiraient pas les visiteurs que l'on aurait pu espérer.»
Concernant Numerik Games, Marc Atallah légitime aussi les ajouts de visiteuses et visiteurs. «Le nombre d’entrées est basé sur les personnes qui se sont présentées aux caisses, auquel sont ensuite ajoutés les billets distribués en amont du festival par d’autres canaux – billets achetés par des partenaires, concours, etc. – qui ne sont pas comptés par le personnel de caisse.»
6. Qui savait quoi?
Au terme de cette enquête, une question reste en suspens: qui savait quoi? Premier élément de réponse: des documents dont Blick a pu prendre connaissance montrent que des membres de l’équipe de la Maison d’Ailleurs ont – à plusieurs reprises – averti le conseil de fondation de différents problèmes, alertant sur le cas présumé de plagiat en 2017, les difficultés rencontrées à l’interne et un climat de travail qui s’est dégradé ou encore des «cachotteries», dénoncées dans un courrier en 2019.
Autre élément à faire entrer en scène à ce stade: la relation presque filiale entre Laurent Gabella, président du conseil de fondation, l’organe de contrôle, et Marc Atallah. Selon de multiples témoignages, le premier ne se cache pas de considérer le second comme son «fils spirituel». Amoureux des arts, Laurent Gabella est très impliqué dans la gestion du musée. Il achète même des œuvres, qu’il offre ensuite au musée.
«Vives tensions» au conseil de fondation
Plusieurs éléments de nos investigations montrent que le conseil de fondation et la Municipalité étaient au courant de certains des faits révélés ici. Une fois arrivés au terme de notre enquête, documents en main, nous avons contacté Carmen Tanner. La municipale de la culture, membre du conseil de fondation de la Maison d’Ailleurs, a accepté de répondre à nos questions et de s'exprimer sur ce qui s’est passé au sein du conseil de fondation et du musée ces dernières années. Avant de nous rencontrer, elle a préparé ses réponses et les a partagées avec son ex-collègue municipale Gloria Capt, qui siège également au conseil de fondation. La Municipalité in corpore a en outre été avertie de son intervention dans nos colonnes.
«Les deux représentantes de la Municipalité sont régulièrement intervenues lors de séances du conseil de fondation pour le rendre attentif à certaines choses, amorce Carmen Tanner. Mais nous n’avons pas toujours été entendues et les tensions peuvent être vives lorsqu’il s’agit de questionner les choix de gestion du directeur et du bureau du conseil. La Municipalité s’est d’ailleurs inquiétée de cette situation. Nul doute que cela sera un enjeu pour elle lors de cette prochaine législature.»
Pourquoi la publication n’a-t-elle pas été retirée?
Elle confirme d’abord que le conseil de fondation a eu connaissance des accusations de plagiat et qu’un huis clos à ce sujet s’est tenu en avril 2018. Selon nos informations, le cas a été considéré comme minime et la publication n’a pas été retirée de la vente afin d’éviter un dégât d’image conséquent. «Après vérification du président du conseil de fondation, il a été décidé qu’il n’y a pas eu de plagiat. Je laisserai donc Laurent Gabella étayer ses propos», se contente-t-elle de répondre.
Le président du conseil de fondation confirme à Blick la tenue de ce huis clos. «Nous n’avons pas simplement «considéré» qu’il n’y avait pas de plagiat, mais effectué les vérifications nécessaires, et sommes arrivés à la conclusion que la démonstration était faite qu’il s’agissait d’une fausse accusation, soutient Laurent Gabella. Je précise également que c’est le conseil – et non ma seule personne – qui a considéré que cette accusation était fausse.»
«Nous l’avons prévenu»
La co-syndique est plus volubile au moment d’aborder la question des ressources humaines. «Nous savons que Marc Atallah a engagé sa femme pour travailler dans cette boutique. Nous l’avons prévenu des différents risques, dont celui de dégâts d’image pour l’institution. Cela prête le flanc à la critique. Pour les autres engagements, je ne vois pas de qui vous parlez.» Après avoir pris connaissance de notre liste, Carmen Tanner réagit: «Il y a un problème, ça m’interpelle. Ce sont des règles tacites de bonne gouvernance. Cela pose des questions sur les processus d’engagements. S’il y a des conflits d’intérêts potentiels, Marc Atallah, ou le bureau du conseil de fondation, aurait dû en référer au conseil de fondation dans son ensemble». A sa connaissance, cela n’a pas été le cas, au contraire de ce qu’affirme Marc Atallah.
La municipale a refusé de voter un budget
Carmen Tanner confirme en outre une autre de nos informations: «Oui, j’ai refusé de voter un des budgets de la Maison d’Ailleurs, notamment à cause de l’opacité qui règne sur les liens entre le musée et les Numerik Games».
Le salaire du directeur a aussi fait débat au conseil de fondation. L’écologiste confie être intervenue à ce sujet, comme un document en notre possession en atteste. «J’ai apporté des informations sur la grille salariale des collaboratrices et collaborateurs de la Ville au conseil de fondation. Mais la fondation a estimé que la situation de Marc Atallah était différente.» Laurent Gabella rappelle toutefois que «les collaborateurs de la Maison d’Ailleurs ne sont pas des employés de la Ville» et que la grille salariale de la Commune peut servir de base, mais à titre comparatif.
Carmen Tanner «ne conteste pas les témoignages» qui mettent en cause le management et la personnalité de Marc Atallah. «Ces dernières années, des collaborateurs de la Maison d’Ailleurs sont venus se plaindre du climat difficile au sein de l’institution auprès de moi et du chef du Service de la culture. Nous les avons systématiquement encouragés à mettre par écrit leurs doléances, peu l’ont fait.»
«On ne peut pas faire fi du respect des collaborateurs»
Et l’édile de livrer son commentaire: «La Maison d’Ailleurs doit beaucoup à la personnalité de son directeur, à son entregent, à son réseau. Le bilan de cette institution est d’ailleurs bon. Toute cette énergie doit être saluée, mais, au nom du succès, on ne peut pas faire fi des critères de bonne gouvernance et du respect des collaborateurs».
Pour elle, «il y a un équilibre à trouver. Le conseil de fondation doit veiller à ce que l’institution ne soit pas dépendante de l’image de son directeur parce qu'elle doit vivre par elle-même. Le jour où il quittera la Maison d’Ailleurs, celle-ci doit être en capacité de poursuivre ses activités sans dommage pour son rayonnement.»
Le spectre d’un audit
Avec l’aide de la commune, des mesures ont été mises en place par le conseil de fondation après la crise de 2016-2017, précise-t-elle. Parmi lesquelles, une série d’entretiens avec les collaboratrices et collaborateurs menés par son président, un accompagnement du directeur en matière de ressources humaines par le bureau du conseil et un coaching, que le directeur a suivi ces deux dernières années. Mais ce n’est pas encore le bout du tunnel: «Un meilleur suivi de ces mesures aurait peut-être dû être fait par le conseil de fondation», commente Carmen Tanner.
Quid d’un audit? Carmen Tanner se dit en tout cas prête à aller plus loin. «Selon la teneur des faits reprochés dans votre article, je me réserve l’option de demander au conseil de fondation de réaliser des rencontres avec le personnel sans plus attendre. Et si cela déborde des questions de ressources humaines, la Municipalité et le conseil de fondation se concerteront pour évaluer si les mesures en place sont suffisantes ou si d’autres mesures pourraient être nécessaires.» Carmen Tanner souligne par ailleurs que la Ville souhaite renforcer son aide à la Maison d’Ailleurs: «Les structures organisationnelles et la sécurité financière ne sont plus suffisantes aujourd’hui pour éviter un épisode de surchauffe».
Les deux autres exemples de potentiel plagiat sont moins clairs que le premier présenté dans cet article, mais semblent provenir de la même page Wikipédia. Penchons-nous d’abord sur le deuxième. Wikipédia: «Yokoo conjugue sa connaissance des techniques et des œuvres contemporaines occidentales (il fait de Francis Picabia son modèle et possède un savoir très précis en ce qui concerne l’histoire de l'art européen, depuis la Renaissance jusqu’aux surréalistes) avec un héritage japonais très important. Ses œuvres empruntent ainsi autant à Warhol, aux constructivistes russes, aux réclames américaines des années 1950 qu’à Utagawa, Hiroshige ou encore Hokusai... mais aussi à Magritte pour son éloge du rêve et à Bruegel pour son érotisme.»
Dans la préface de l’ouvrage signée Marc Atallah, les références citées sont identiques, mais dans le désordre: «(...) un artiste qui oscille en permanence entre les courants esthétiques, pour, in fine, créer un «style», unique, intégrant des références à Francis Picabia, à l’histoire de l’art européen, à Warhol, à l’éloge du rêve de Magritte, à l’érotisme de Bruegel, aux constructivistes russes, aux réclames américaines des années 1950, au mysticisme psychédélique, à Hiroshige Utagawa (1760-1849) ou Katsushika Hokusai (1760-1849).»
Deux passages à deux endroits différents
Et puis, il y a ce dernier extrait. «Il utilise en abondance la couleur rouge qui d'ailleurs en Extrême-Orient est la couleur noble par excellence, la couleur du pouvoir et de l'empereur. C'est aussi la couleur de la vie, de la mort et de la sexualité, par le sang qu'elle symbolise. Il fait parler toute la violence qu'il a en lui, et semble faire apparaître, à travers la représentation constante de la naissance, son propre traumatisme d'être né».
Deux passages similaires se retrouvent à deux endroits différents dans l’ouvrage du directeur de la Maison d’Ailleurs. «(Yokoo n’a de cesse de revenir sur le traumatisme de sa naissance dans un monde où l’individualité est noyée dans le signe)», écrit-il au début de son texte. On retrouve donc la notion, qui semble particulière, du traumatisme de la naissance. Et puis, deux pages plus loin: «Il «peint» notre monde – ses limites, ses violences, ses souffrances - et les relations entre la vie et la mort qui, apparemment, sont au coeur de son oeuvre et qui s’expriment par l’omniprésence de la couleur rouge, couleur de la vie, de la mort, de la sexualité». Ici, la signification de la couleur rouge semble avoir été reprise, dans le même ordre.
Les deux autres exemples de potentiel plagiat sont moins clairs que le premier présenté dans cet article, mais semblent provenir de la même page Wikipédia. Penchons-nous d’abord sur le deuxième. Wikipédia: «Yokoo conjugue sa connaissance des techniques et des œuvres contemporaines occidentales (il fait de Francis Picabia son modèle et possède un savoir très précis en ce qui concerne l’histoire de l'art européen, depuis la Renaissance jusqu’aux surréalistes) avec un héritage japonais très important. Ses œuvres empruntent ainsi autant à Warhol, aux constructivistes russes, aux réclames américaines des années 1950 qu’à Utagawa, Hiroshige ou encore Hokusai... mais aussi à Magritte pour son éloge du rêve et à Bruegel pour son érotisme.»
Dans la préface de l’ouvrage signée Marc Atallah, les références citées sont identiques, mais dans le désordre: «(...) un artiste qui oscille en permanence entre les courants esthétiques, pour, in fine, créer un «style», unique, intégrant des références à Francis Picabia, à l’histoire de l’art européen, à Warhol, à l’éloge du rêve de Magritte, à l’érotisme de Bruegel, aux constructivistes russes, aux réclames américaines des années 1950, au mysticisme psychédélique, à Hiroshige Utagawa (1760-1849) ou Katsushika Hokusai (1760-1849).»
Deux passages à deux endroits différents
Et puis, il y a ce dernier extrait. «Il utilise en abondance la couleur rouge qui d'ailleurs en Extrême-Orient est la couleur noble par excellence, la couleur du pouvoir et de l'empereur. C'est aussi la couleur de la vie, de la mort et de la sexualité, par le sang qu'elle symbolise. Il fait parler toute la violence qu'il a en lui, et semble faire apparaître, à travers la représentation constante de la naissance, son propre traumatisme d'être né».
Deux passages similaires se retrouvent à deux endroits différents dans l’ouvrage du directeur de la Maison d’Ailleurs. «(Yokoo n’a de cesse de revenir sur le traumatisme de sa naissance dans un monde où l’individualité est noyée dans le signe)», écrit-il au début de son texte. On retrouve donc la notion, qui semble particulière, du traumatisme de la naissance. Et puis, deux pages plus loin: «Il «peint» notre monde – ses limites, ses violences, ses souffrances - et les relations entre la vie et la mort qui, apparemment, sont au coeur de son oeuvre et qui s’expriment par l’omniprésence de la couleur rouge, couleur de la vie, de la mort, de la sexualité». Ici, la signification de la couleur rouge semble avoir été reprise, dans le même ordre.