L’affaire Y-Parc vit un nouveau rebondissement. Dans un communiqué envoyé mercredi soir, le parc technologique et scientifique yverdonnois confirme une information du «Temps». La directrice, qui aurait été violemment agressée en mars, a été licenciée. Un audit mené par une société externe est par ailleurs lancé pour faire toute la lumière sur «la situation actuelle complexe», tout en permettant au parc de redéfinir sa stratégie de développement pour les années futures. C'est le verbatim plutôt flou utilisé par la structure nord-vaudoise, la plus ancienne de ce type en Suisse qui affichait 300 millions de francs d’investissements en 2018.
Cette annonce fait notamment suite à une enquête de Blick. Pour mémoire, en juin, nous révélions les désaccords et rivalités qui minaient le conseil d’administration du parc, sur fond de départ du président du conseil (le PLR Jean-Daniel Carrard a dû céder sa place, n’ayant pas été réélu à la syndicature de la seconde ville du canton), mais aussi les comportements problématiques de la directrice d’Y-Parc décrits par plusieurs proches de la structure.
En outre, dans la presse, la directrice — qui a notamment travaillé dans la Silicon Valley — et son entourage soutenaient ce printemps que celui qui l’aurait rouée de coups et jetée dans un ruisseau serait le patron d’une start-up brièvement passée par le parc. Celui-ci, affirmaient-ils, l’aurait harcelée des mois durant. L'homme incriminé, qui connaissait bien la directrice, s'est défendu avec une version totalement différente: selon lui, il serait en réalité victime de la jeune femme. L’enquête menée par les autorités se poursuit.
Un licenciement unanime
Sur la base des résultats de l’audit attendus pour cet automne, le conseil d’administration du parc explique que sa stratégie sera repensée en vue d’une mise en place pour 2022. C’est dans ce contexte qu’il a été décidé de «mettre fin aux rapports de travail» avec la directrice, qui était en poste depuis 2017, détaille le communiqué. Cette décision a été prise «à l’unanimité», pour favoriser, «dans un contexte serein», la mise en place des changements et des décisions prises.
Dans «Le Temps», Raphaël Mahaim, l’avocat de la directrice, évoquait l’éventuelle ouverture d’une action pour «licenciement abusif». «Clairement, elle n’a pas reçu le soutien qu'elle était en mesure d’attendre de la part de son employeur. Pire, elle a été licenciée alors qu’elle était en arrêt maladie», s’indignait-il. Selon cet article, il serait notamment reproché à la dirigeante un goût prononcé pour la fête. «Ces accusations sont profondément machistes, lançait son avocat. En terres vaudoises, si un directeur aime boire un verre, c’est valorisé, mais si c’est une directrice, on lui tombe dessus.»
Confronté à ces allégations, Pierre-Luc Maillefer, le président ad intérim du conseil d’administration, ne fait aucun commentaire sur le fond. «Le conseil n’a rien à communiquer sur l’attitude personnelle de la directrice. À ce stade, la décision du conseil est uniquement motivée par l’implémentation des changements à venir. Il fallait une ambiance sereine, une convection d’idées. Le conseil estimait que ces conditions n’étaient pas réunies.»
Après avoir licencié la dirigeante, le conseil d'administration d'Y-Parc a nommé un nouveau directeur par intérim: Olivier Collet. «Nous avons dû trouver rapidement quelqu’un ayant les compétences pour faciliter les changements vers lesquels on se dirige», explique à «24 heures» Pierre-Luc Maillefer, vice-président du conseil.
Le directeur par intérim a longtemps travaillé dans le milieu dentaire, notamment chez FKG Dentaire SA, à La Chaux-de-Fonds, et chez Dentsply Maillefer, à Ballaigues, dont le directeur était alors... Pierre-Luc Maillefer.
Après avoir licencié la dirigeante, le conseil d'administration d'Y-Parc a nommé un nouveau directeur par intérim: Olivier Collet. «Nous avons dû trouver rapidement quelqu’un ayant les compétences pour faciliter les changements vers lesquels on se dirige», explique à «24 heures» Pierre-Luc Maillefer, vice-président du conseil.
Le directeur par intérim a longtemps travaillé dans le milieu dentaire, notamment chez FKG Dentaire SA, à La Chaux-de-Fonds, et chez Dentsply Maillefer, à Ballaigues, dont le directeur était alors... Pierre-Luc Maillefer.
Joint ce jeudi, l’avocat de la dirigeante indique que l’annonce rendue officielle le «laisse froid»: «Le conseil d’administration n’avait aucun reproche d’ordre professionnel à faire à ma cliente et nous n’avons d’ailleurs eu ni explications ni motifs. J’ai le sentiment qu’ils nous préparent une justification a posteriori avec un audit qui tombe un peu du ciel», réagit Raphaël Mahaim. Toujours selon lui, cette décision est d’autant plus incompréhensible que la directrice «a reçu une augmentation l’automne dernier alors qu’elle n’avait rien demandé». L’homme de loi dit préparer les démarches pour aller en justice concernant ce licenciement.
Un doctorat qui n’en est pas un
L’affaire Y-Parc est une affaire à tiroirs, au point que Blick amène aujourd'hui de nouveaux éléments autour du CV de l'ex-dirigeante. Pour comprendre, revenons quelques années en arrière. En 2017, précisément. Juste après la nomination de la désormais ex-directrice d’Y-Parc, la Ville envoie un communiqué de presse pour la présenter au grand public. Biographie, faits d’armes, certification: le parcours de la jeune femme en jette. On y lit notamment qu’elle est détentrice d’un doctorat en droit de la John F. Kennedy School of Law en Californie. Les mêmes références sont mentionnées sur le site internet du parc.
Cette assertion a été reprise par beaucoup de médias, durant plusieurs années, à l’occasion de portraits de l’ex-directrice ou de sujets économiques: «Le Temps», «24 heures» ou encore «Bilan». Or, si l’on se rend sur le site internet d’un de ses précédents employeurs, où elle est d’ailleurs — étonnamment — toujours répertoriée comme dirigeante, il est fait mention d’un «Juris Doctorate» de la John F. Kennedy School of Law. Une rapide recherche laisse penser qu’il s’agit d’un titre permettant de s’inscrire à un barreau aux États-Unis, soit bien différent de celui annoncé par la deuxième ville du Nord vaudois.
Un doute que confirme Sandra Gerber, avocate lausannoise en droit du travail et en droit des contrats. Elle ne s’exprime toutefois pas sur le cas précis de l’ex-dirigeante d’Y-Parc. «Selon ma compréhension du Juris Doctorate ou Juris Doctor, ce n’est effectivement pas l’équivalent du Doctorat comme on l’entend en Suisse, explique-t-elle. Il y a en principe trois niveaux de formation universitaire avec des variantes par pays et des termes différents.»
De manière simple, vulgarise-t-elle, il y a en Suisse le premier cycle universitaire qui correspond au Bachelor — ou aussi appelé Baccalauréat en droit —, le second cycle qui correspond au Master — ou aussi appelé maîtrise en droit — et le 3e cycle qui correspond au Doctorat. «Ce 3e cycle se déroule sur plusieurs années et suppose la rédaction et la soutenance d’une thèse, rebondit Sandra Gerber. Selon ma compréhension le Juris Doctorate ou Juris Doctor des universités américaines est le 2e cycle, soit l’équivalent du Master en droit en Suisse.»
Des sanctions possibles
Alors comment expliquer cette erreur manifeste? S’agit-il d’une bévue intentionnelle aujourd'hui reprochée à la directrice? D’après nos informations, il pourrait s’agir d’une malheureuse méprise survenue au moment de la rédaction du communiqué qui ne serait pas du fait de la première concernée. Mais si tel ne devait pas être le cas, l’affaire pourrait avoir des conséquences importantes. «D’un point de vue du droit du travail, le fait d’annoncer être au bénéfice d’un doctorat 'au sens suisse' dans son CV ou lors d’un entretien peut être considéré comme un mensonge de l’employé, analyse encore l’avocate. La conséquence pourrait être un licenciement avec effet immédiat pour justes motifs, si le titre est important et que l’employé a sciemment menti alors que l’employeur a fait des vérifications relativement poussées.»
Elle reprend: «Je précise cependant que le licenciement avec effet immédiat est admis de manière très restrictive par les tribunaux suisses car, sauf avertissement donné et 'récidive' de l’employé, il faut un élément grave qui rompt irrémédiablement le lien de confiance.» Dans les détails, si tel n’est pas le cas, l’employeur peut bien évidemment résilier le contrat de travail en respectant le délai de congé, donc en procédant à un licenciement ordinaire.
Si le «mensonge» de l’employé cause un dommage à l’employeur — mais ce sera à l’employeur de le démontrer —, il pourrait demander des dédommagements à l’employé. «La dernière conséquence est moins juridique, assure Sandra Gerber. L’employé pourrait recevoir une mauvaise référence de son employeur ou des RH et être en quelque sorte 'black listé'». S’ajoute enfin à cela un éventuel aspect pénal si l’employé a établi des faux certificats ou diplômes.
«Erreur de traduction»
Contacté en juin à ce propos, le président ad intérim du conseil d’administration du parc Pierre-Luc Maillefer n’avait pas souhaité répondre à nos questions, arguant que le conseil désirait «reconsidérer son mode de communication». Tout comme l’avocat de la directrice, interpellé dans la foulée, qui refusait d’entrer en matière: «Ces questions relèvent de l’acharnement et ma cliente s’en est expliquée devant son employeur».
Peu après ces prises de contact, le site internet d’Y-Parc était toutefois discrètement modifié. Dans le descriptif de l’ex-dirigeante, la mention du doctorat en droit était remplacée par le fameux «Juris Doctorate». Fin de l’histoire? Relancé par courriel sur ce point la semaine dernière, Pierre-Luc Maillefer a finalement consenti à livrer une explication: «Il s’agit d’une malencontreuse faute de traduction et d’équivalence de titres entre les langues anglaise et française». «Cette traduction n'a pas été faite par ma cliente», insiste aujourd'hui Raphaël Mahaim. La nouvelle manière de communiquer du conseil d’administration aura au moins eu le «mérite» de faire traîner les choses.