Si la gauche lausannoise espérait engager de franches discussions en proposant le «désarmement» d'une partie des forces de police de la ville, le pari est assurément réussi. Depuis la mi-janvier, la droite n'a pas manqué de munitions pour tirer sur le postulat du conseiller communal des Vert-e-s Ilias Panchard. L'actualité étant ainsi faite, en début de semaine, une sordide tentative de féminicide à Lausanne est venue ranimer le débat et ce samedi, c'était au tour du Parti libéral-radical (PLR) de donner une portée nationale à la question. Son président Thierry Burkart a annoncé le lancement d'une pétition dont l'intitulé dit tout de l'émotion qui entoure la proposition: «NON aux attaques de la gauche contre la police! Ne désarmons pas nos forces de l'ordre.»
Dans ce contexte brûlant, Blick a interrogé la conseillère nationale PLR Jacqueline de Quattro. Après 13 années passées en tant que conseillère d'Etat en charge de la sécurité du canton de Vaud, elle a observé de près l’évolution des politiques de police de la ville de Lausanne. Animée par les questions de sécurité et de violences faites aux femmes, l'élue ne mâche pas ses mots face à une proposition qu'elle juge «irresponsable».
Jacqueline de Quattro, alors que les violences domestiques animent une fois de plus l'actualité, la ville de Lausanne étudie l'idée d'une police désarmée. Êtes-vous inquiète?
C'est de la folie furieuse! Lausanne avait jusqu'à peu la médaille de la ville la plus dangereuse de Suisse. Si elle tient à retrouver cette place, il faut qu'elle continue sur cette voie. Cette proposition va mettre en danger les Lausannois alors que la première tâche d'une ville est de veiller à la sécurité de sa population. C'est totalement irresponsable.
En réponse, votre parti a lancé une pétition au niveau national et évoque une «attaque» de la gauche contre la police. La formulation n'est-elle pas excessive?
La gauche se trompe d’adversaire. Les policiers sont désignés comme des ennemis. On veut enlever les moyens d'intervenir à des femmes et des hommes qui se dévouent pour les autres et qui se retrouvent quotidiennement dans des situations périlleuses, face à des individus de plus en plus agressifs. On observe une recrudescence des violences graves, des homicides et des féminicides partout en Suisse. Sans parler du risque terroriste et de la criminalité organisée. Il ne faut pas que les policiers se retrouvent plus souvent devant les tribunaux que les criminels. Cela décourage bien des jeunes à embrasser cette profession noble mais difficile.
Prenons le cas d'un agent qui recueille les objets trouvés dans un commissariat: a-t-il vraiment besoin de porter une arme à la ceinture?
Je ne vois pas en quoi l'arme d'un fonctionnaire de police assis derrière son bureau puisse intimider quiconque. On n'est pas dans un film. Et puis il ne faut pas oublier que les situations sont évolutives. Si ce policier est armé, c'est qu'il doit pouvoir intervenir n'importe quand. Il doit pouvoir être appelé en renfort et agir immédiatement.
Le plus dur, c'est de prévoir où et quand un événement va se produire. C'est toute la difficulté de l'anticipation. Si le policier doit d’abord courir chercher son arme dans un coffre-fort ou une armoire de service, il perdra de précieuses minutes et sera accusé d’arriver en retard. Il faut être un peu pragmatique.
Dans ce contexte de tensions croissantes, limiter le port d'armes pour apaiser le jeu, n'est-ce pas là une idée louable?
Le but est louable mais le moyen est naïf. Je pense que beaucoup sous-estiment la situation actuelle. Nous ne vivons pas dans un monde de «bisounours». Il n'est pas acceptable que des femmes n'osent plus sortir le soir dans certains quartiers ou que des citoyens se fassent interpeller par des dealers en pleine la rue, ou en sortant des transports publics. Face à cette évolution, nous avons besoin de professionnels capables de ramener l’ordre public et de nous défendre en cas de besoin. Personnellement, je ne serais pas en confiance si je sais que le policier n'est pas en mesure d'intervenir au moment où la situation dérape. Je ne veux pas de zones de non-droit comme on en connaît en France et ailleurs.
Renforcer une police de proximité sur le terrain permettrait-il de limiter ces altercations, comme le propose la gauche?
Nous sommes d'accord sur l’importance de la prévention. Une bonne connaissance des gens, du terrain et des procédés de désescalade est fondamentale pour désamorcer les situations de crise. Mais c'est déjà le travail de base de la police de proximité. Cela fait partie de leur formation.
Faudrait-il élargir leur champ d'action?
Il ne faut pas confondre les professions. La ville dispose déjà d'assistants sociaux, de psychologues, de «grands frères» présents dans la rue. Ils offrent leur assistance et fonctionnent comme médiateurs. Ils peuvent ramener le calme dans des cas où l'arrivée de policiers en uniformes pourrait renforcer l'agressivité de certains individus. Mais quand une situation dégénère et que l'assistant social se retrouve dépassé, il n'est plus en mesure d'agir. L'agent de police, qui incarne l’autorité, doit alors prendre le relais. Ce sont deux rôles différents et complémentaires.
La présence d'une arme n'envenime-t-elle pas la situation?
Les agents de police reçoivent une formation très pointue pour désamorcer les situations. Mais il faut aussi leur donner les moyens d’intervenir lorsque c’est nécessaire. La prévention et les bonnes paroles, c'est bien, une arme, c'est plus dissuasif. Si on les discrédite et les désarme, on empêche les policiers de remplir leur mission. Ils ne peuvent plus protéger et s’exposent eux-mêmes à de graves dangers. Il faudrait au contraire revaloriser leur fonction et augmenter leurs effectifs. Il est juste d'exiger d'eux qu'ils exercent leur métier avec la plus grande des rigueurs. Recevoir une arme est quelque chose d'exceptionnel, ils doivent être à la hauteur de cette responsabilité. Il est donc normal que l'on soit sévères avec eux. Mais il devrait être tout aussi normal de respecter les policiers et le travail qu’ils effectuent chaque jour et chaque nuit pour la sécurité de notre population.