Existe-t-il deux positionnements plus dissonants que celui d’un élu de l’Union démocratique du centre (UDC) et celui d’un professeur de sciences politiques qui soutient et participe à l’occupation pro-palestinienne à l’Université de Lausanne (UNIL)? L’occupation du hall de Géopolis a pris fin ce mercredi 15 mai. La veille, le rectorat de l’UNIL et le Conseil d’État vaudois ont convenu de l’achèvement de l’occupation. Dans une conférence de presse mercredi soir, le collectif étudiant mobilisé a annoncé son départ.
La pression politique est venue des rangs de l’UDC et du Parti libéral-radical (PLR). Sans citer directement personne, les groupes UDC et PLR au Grand Conseil vaudois déposaient mardi 7 mai une résolution conjointe «pour que ce scandale cesse». Le député UDC Nicola Di Giulio s’est montré plus frontal, dans un e-mail adressé à Blick le 6 mai, au plus fort de la mobilisation jour et nuit à Géopolis.
Inquiet de «cette influence rampante et sournoise» de l’extrême-gauche sur le campus, l'ancien président du Conseil communal de Lausanne attaque nommément le professeur invité Joseph Daher, spécialiste de l’économie politique du Moyen-Orient et membre du parti SolidaritéS. Régulièrement au cœur de la mobilisation vêtu de son keffieh rouge, l’enseignant est l’une des figures académiques du mouvement pro-palestinien en Suisse romande. Autre cible? L’épouse de Joseph Daher, Paola Salwan Daher (voir encadré).
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Réponse cinglante du professeur
«Le professeur Daher fait du prosélytisme en faveur de la Palestine et du communisme, alors que le monde entier a pu juger des horreurs commises durant 70 ans au nom de cette doctrine politique, assène le politicien, enquêteur de police à Lausanne. Je ne serais pas surpris que ce genre de propos transparaisse dans les cours qu’il donne à l’UNIL.» Au sujet de Joseph Daher, l’accusateur UDC observe que celui-ci écrit pour «Contretemps», la «revue de critique communiste» et estime «qu’en tant que professeur, il n’a pas à encourager la désobéissance de ses élèves et à concourir à perturber le bon fonctionnement du rectorat».
L’académicien vaudois — dont Nicola Di Giulio souligne «l’origine helvético-syrienne» — a adressé plusieurs conférences aux activistes lors de l’occupation de l’UNIL. Lui qui s’est souvent rendu en territoires palestiniens, ou encore en Syrie, a fait profiter ses auditeurs de «son expérience du terrain». Il s’est également rendu à l’université de Genève pour soutenir le mouvement pro-palestinien et s’adresser aux étudiants.
Contacté ce mardi 14 mai, Joseph Daher n’apprécie pas être attaqué sur son professionnalisme: «Je n’ai jamais reçu de telles accusations, qui sont diffamatoires. Sans preuves et sans débat sur le fond, c’est inacceptable.» Le professeur invité se montre ferme sur ses liens avec l’occupation pro-palestinienne de l’UNIL.
«Je n’ai pas encouragé les étudiants à occuper le hall de Géopolis, explique celui qui dit n’avoir jamais dormi sur place. Je suis venu apporter ma solidarité et mon soutien, parce que je pense que c’est une cause légitime, qui s’inscrit dans un mouvement de contestation étudiante.» Référence générale à la mobilisation internationale actuelle et aux vieilles manifestations des campus des quatre coins du monde contre la guerre au Vietnam et le régime d’apartheid en Afrique du Sud.
Nicola Di Giulio s'attaque par ailleurs à Paola Salwan Daher, juriste et militante féministe pro-palestinienne, affiliée à l'Université américaine de Beyrouth en tant qu'«international fellow» (ndlr: boursière). Comme son nom l'indique, Joseph Daher est son époux. Souvenez-vous, c'est à la suite de sa conférence du 30 avril dernier que l'association Polyquity a été suspendue par l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) le 2 mai.
Le député de l'Union démocratique du centre (UDC) au Grand Conseil vaudois voit en l'implication de ce couple dans les mobilisations pro-Palestine les manigances de ses adversaires politiques de gauche radicale. Dans son premier mail, il écrit à Blick: «Ceci m’induit à penser que Paola Salwan Daher et Polyquity s’étant fait museler à l’EPFL, l’extrême-gauche ayant raté son coup avec Madame, recommence à Géopolis avec Monsieur Joseph Daher, pour tenter de créer des troubles estudiantins dont la gauche est friande.»
Les réponses de «Madame»
Ce mercredi 15 mai, Blick a joint Paola Salwan Daher, que l'élu lausannois accuse d'avoir «nié nombre d’horreurs commises par le Hamas qui ont été vues par le monde entier» et de «semer le trouble» dans l'esprit des auditeurs ayant assisté à sa conférence intitulée «Fémonationalisme, colonialisme et féminisme: réponses du sud global», visible sur la chaîne YouTube de Polyquity. Le politicien voit en Paola Salwan Daher — dont il souligne les origines libanaises — une «militante d’extrême-gauche, féministe et pro-palestinienne» partisane sur le conflit israélo-palestinien.
«Il a le droit de ne pas avoir aimé la conférence, et il a le droit de ne pas être d'accord, répond la juriste. Effectivement, je suis une féministe pro-palestinienne, plutôt d'obédience à gauche. Je n'aime pas beaucoup cette dénomination d'extrême gauche. En général, elle est utilisée à des fins péjoratives.»
«Je ne nie pas les violences du Hamas»
Paola Salwan Daher donne sa version des accusations énoncées: «À aucun moment de la conférence, je ne nie les violences sexuelles perpétrées par le Hamas. Je l'ai dit et répété.» Elle estime que sa prise de parole a été détournée. «Non seulement je reconnais ces violences lors de la conférence, mais en tant que juriste internationale spécialisée dans les droits sexuels et reproductifs des femmes en période de conflit et dans l'accès aux réparations de ces femmes, je m'interroge sur comment on a instrumentalisé leur douleur et on a instrumentalisé ce par quoi elles sont passées pour justifier un carnage qui est en cours.»
Elle renvoie au droit international et aux décisions de l'ONU pour motiver ses prises de parole et avoue «rester sans voix devant le niveau des arguments et du débat». Alors, sème-t-elle «le trouble dans l'esprit» des étudiants? «Ma réponse est non, clame-t-elle. Je pense que les étudiants sont des personnes adultes, qui ont accès à la formation, qui ont un esprit critique et que c'est ainsi qu'ils se sont formés une opinion.»
Nicola Di Giulio s'attaque par ailleurs à Paola Salwan Daher, juriste et militante féministe pro-palestinienne, affiliée à l'Université américaine de Beyrouth en tant qu'«international fellow» (ndlr: boursière). Comme son nom l'indique, Joseph Daher est son époux. Souvenez-vous, c'est à la suite de sa conférence du 30 avril dernier que l'association Polyquity a été suspendue par l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) le 2 mai.
Le député de l'Union démocratique du centre (UDC) au Grand Conseil vaudois voit en l'implication de ce couple dans les mobilisations pro-Palestine les manigances de ses adversaires politiques de gauche radicale. Dans son premier mail, il écrit à Blick: «Ceci m’induit à penser que Paola Salwan Daher et Polyquity s’étant fait museler à l’EPFL, l’extrême-gauche ayant raté son coup avec Madame, recommence à Géopolis avec Monsieur Joseph Daher, pour tenter de créer des troubles estudiantins dont la gauche est friande.»
Les réponses de «Madame»
Ce mercredi 15 mai, Blick a joint Paola Salwan Daher, que l'élu lausannois accuse d'avoir «nié nombre d’horreurs commises par le Hamas qui ont été vues par le monde entier» et de «semer le trouble» dans l'esprit des auditeurs ayant assisté à sa conférence intitulée «Fémonationalisme, colonialisme et féminisme: réponses du sud global», visible sur la chaîne YouTube de Polyquity. Le politicien voit en Paola Salwan Daher — dont il souligne les origines libanaises — une «militante d’extrême-gauche, féministe et pro-palestinienne» partisane sur le conflit israélo-palestinien.
«Il a le droit de ne pas avoir aimé la conférence, et il a le droit de ne pas être d'accord, répond la juriste. Effectivement, je suis une féministe pro-palestinienne, plutôt d'obédience à gauche. Je n'aime pas beaucoup cette dénomination d'extrême gauche. En général, elle est utilisée à des fins péjoratives.»
«Je ne nie pas les violences du Hamas»
Paola Salwan Daher donne sa version des accusations énoncées: «À aucun moment de la conférence, je ne nie les violences sexuelles perpétrées par le Hamas. Je l'ai dit et répété.» Elle estime que sa prise de parole a été détournée. «Non seulement je reconnais ces violences lors de la conférence, mais en tant que juriste internationale spécialisée dans les droits sexuels et reproductifs des femmes en période de conflit et dans l'accès aux réparations de ces femmes, je m'interroge sur comment on a instrumentalisé leur douleur et on a instrumentalisé ce par quoi elles sont passées pour justifier un carnage qui est en cours.»
Elle renvoie au droit international et aux décisions de l'ONU pour motiver ses prises de parole et avoue «rester sans voix devant le niveau des arguments et du débat». Alors, sème-t-elle «le trouble dans l'esprit» des étudiants? «Ma réponse est non, clame-t-elle. Je pense que les étudiants sont des personnes adultes, qui ont accès à la formation, qui ont un esprit critique et que c'est ainsi qu'ils se sont formés une opinion.»
Les horreurs du communisme
Il assume volontiers être engagé auprès des étudiants mobilisés, mais réfute fermement l’accusation de faire l’éloge du système communiste dans ses cours. «Si Monsieur Di Giulio avait fait son enquête correctement, il saurait que je suis un critique de l’URSS de Joseph Staline et ses successeurs, et de sa politique autoritaire, comme des partis politiques de type Hezbollah et Hamas, ou encore de la Syrie et de la République islamique d’Iran. Je n’ai aucun problème à condamner les goulags et les morts liés au système mis en place par Staline et ses successeurs.»
Condamnation qu’il étend à «toute forme de système autoritaire et répressif sans exception», y compris ceux «se revendiquant du capitalisme et du libéralisme». Joseph Daher en profite pour adresser une pique à son détracteur: «Je ne pense pas que Monsieur Di Giulio puisse en dire de même, au vu des relations politiques de son parti.»
Le professeur nuance son rapport au communisme: «J’ai une approche matérialiste qui s’appuie sur des analyses critiques marxistes, comme beaucoup d’académiciens dans le monde. Je n’ai rien à cacher de mon approche théorique.» Et de continuer: «L’université est un lieu de débat entre différentes perspectives. Il n’y a pas de soi-disante objectivité ou neutralité. Est-ce qu’on fait la même accusation aux cours de HEC, qui défendent les principes du libéralisme économique, dominants au sein de l’économie politique? Non.»
Un enseignement biaisé?
Nicola Di Giulio met Joseph Daher dans le même paquet que la chercheuse en écologie et autrice du GIEC Julia Steinberger, militante écologiste auprès de Renovate Switzerland et engagée à Géopolis. Le politicien est d’avis que l’engagement politique d’enseignants dans des groupes affiliés à la gauche radicale peut «biaiser leur enseignement en faveur de leurs idées politiques au détriment des connaissances scientifiques qu’ils pourraient amener à notre jeunesse».
Le professeur engagé indique dispenser régulièrement deux cours à l’UNIL. L’un au sujet de «mouvements de l’islam politique» et l’autre à propos de l'«Histoire contemporaine du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord». «Je mène des recherches sur l’économie politique du Moyen-Orient, matière dans laquelle j’ai effectué deux doctorats», spécifie l’universitaire.
Mais l’élu vaudois souligne que Joseph Daher et Julia Steinberger sont «des fonctionnaires payés par le contribuable, pour diffuser la Connaissance, pas pour répandre de la propagande, justifiée ou non. Elles ont un devoir de réserve vis-à-vis de leur employeur.» Les mots utilisés font bondir l’expert en l’économie politique du Moyen-Orient: «Me dire que je fais de la propagande dans mes cours, c’est malhonnête. Ma démarche est scientifique, analytique.»
L’utilité des mobilisations en question
Justement, sur le fond, Nicola Di Giulio dénonce l’hypocrisie et l’inutilité des mobilisations étudiantes. «On sait qu’Israël n’a jamais laissé aucune offense militaire sans réponse cinglante, assure le député UDC. Et je pense que quoi que fassent les étudiants des universités, à Lausanne et partout dans le monde, cela ne fera pas changer la décision d’Israël d’éradiquer le Hamas par tous les moyens nécessaires, quitte à occasionner de considérables dommages collatéraux.»
Joseph Daher répond qu’il «s’agit de se mobiliser contre une guerre qualifiée de génocidaire par des experts des Nations Unies et le boycott académiques des institutions universitaires israéliennes qui participent depuis des décennies aux violations des droits humains contre les Palestiniens.» Il juge «bienvenue et salutaire» l’indignation collective de la jeunesse étudiante: «Les étudiants qui se mobilisent veulent dénoncer que leurs institutions, qu’il s’agisse de l’université ou de l’État suisse, maintiennent des collaborations avec un État qui commet des violations de droits humains depuis plusieurs décennies.»
L’occupation est loin d’être inutile, selon le professeur. «Les étudiants jouent leur rôle de citoyens et de citoyennes. D’ailleurs, grâce à leur mobilisation impressionnante, le mouvement de solidarité avec la population palestinienne s’est étendu dans toutes les autres universités en Suisse et a connu un fort écho médiatique international.»
Des sanctions pour les profs gauchistes?
Sur la base de ses conclusions, Nicola Di Giulio propose ses solutions allant jusqu’au licenciement des membres de la communauté universitaire trop politisés à son goût. «Une charte contraignante, interdisant toute activité politique doit être établie tant pour les élèves que pour les professeurs, ladite charte étant assortie de sanctions en cas de transgression», propose encore Nicola Di Giulio qui irait jusqu’au licenciement, si cela ne tenait qu’à lui.
«Il me paraît urgent d’intervenir et de surveiller les événements qui apparaissent à l’UNIL et de contrôler qui sont les gens qui gravitent dans ces mouvances communistes révolutionnaires», évoque aussi l’élu dans son premier mail.
Réponse de Joseph Daher? «Les propos de Monsieur Di Giulio suggèrent une forme d’état policier autoritaire en préconisant l’interdiction de 'toute activité politique et d’intervenir et surveiller les évènements', commence le professeur. Je ne pense pas qu’appeler à interdire des conférences, et à sanctionner et réprimer des activités et un mouvement pacifiques est à saluer, particulièrement de la part d’un élu, et pour la vie démocratique et le débat d’idées à l’université et dans notre société.»
Contactée, la porte-parole de l’Université de Lausanne répond sommairement à Blick que «les principes de la Direction de l’Université» quant à la présence de professeurs à cette action ont été expliqués dans cette interview dans «Le Temps» du recteur Frédéric Herman. «Les membres du corps enseignant des universités, comme tout autre citoyen, jouissent de la liberté d’expression générale, répondait le membre de la direction le 9 mai dernier. A celle-ci s’ajoute la liberté académique, qui limite leur devoir de réserve par rapport aux autres fonctionnaires de l’Etat, et qui leur offre des latitudes supplémentaires dans leur prise de parole.»
Frédéric Herman précisait que cette liberté de parole et d’opinion restait évidemment limitée par la loi. Géraldine Falbriard, communicante de l’UNIL, précise encore: «Par ailleurs, les enseignements sont soumis à l’évaluation des étudiants. Ils peuvent ainsi réagir et ont le moyen de remonter les craintes évoquées par Monsieur Di Giulio.»