C'est l'une des news qui met en émoi la Suisse alémanique. Et pour cause, tous les ingrédients d'une jolie polémique sont ici réunis: l'Allemagne — avec qui nos cousins entretiennent des rapports aussi compliqués que (certains d'entre) nous avec la France... Et le chocolat Lindt & Sprüngli, grande fierté au-delà du Röstigraben. Donc quand la première critique le second, ça provoque immanquablement quelques étincelles.
Tout commence avec l'émission de consommation «Marktcheck», un équivalent d'ABE sur la RTS, diffusée sur la chaîne allemande SWR. Cette dernière se penche régulièrement sur les grandes entreprises, parfois même au-delà des frontières. Or il y a quelques jours, l'équipe de tournage de «Marktcheck» s'en est pris à ce que nos collègues de Blick en Suisse alémanique estiment être un «sanctuaire national»: le «fameux» chocolatier zurichois.
Le peuple l'aime bien...
Les guillemets placés de part et d'autre du mot «fameux» le sont à dessein, car cela n'est pas tout à fait la conclusion à laquelle les Allemands arrivent. «On s'aperçoit vite que l'on cherche désespérément le négatif», se désole le chroniqueur alémanique de Blick, face à ce constat qui n'a jusqu'ici pourtant pas de quoi dépiter totalement: à l'aveugle, Lindt & Sprüngli se fait tanner par Milka, chocolat de prix moyen qu'on trouve en Allemagne chez les hard discounters.
... Les experts moins
La petite bête, disions-nous? Oui, car si le «peuple» l'aime bien, les experts en chocolat, eux, font allégrement la peau du célèbre lapin doré. L'un d'entre eux affirme que les ingrédients de nombreux produits Lindt ne sont pas de meilleure qualité que ceux d'autres chocolats industriels, dont certains sont nettement moins chers. Selon eux, le chocolat ne devrait être composé que de cacao, de lait en poudre, de sucre et de beurre de cacao. Le fait que Lindt utilise encore de la lécithine de soja (pour la fluidité) ou de l'extrait de malt d'orge (comme exhausteur de goût) est considéré comme «non nécessaire». Jusqu'ici, l'attaque reste encore fair-play.
L'émission enchaîne sur les différences de prix selon l'emballage. Pour les célèbres boules Lindor, il existe une multitude d'emballages différents. Le prix, ramené à 100 grammes de chocolat y est très différent, dénoncent les experts.
Et les fameux «chocolatiers» de la publicité? «Marktcheck» sort la sulfateuse. Ils «existent vraiment», mais uniquement pour le spectacle ou pour bricoler de nouvelles tendances comme le chocolat végétalien ou sans sucre. «Mais la production se fait tout autrement», se gausse le magazine télévisé.
Induire les consommateurs en erreur?
La critique porte ensuite sur le marketing. On s'interroge sur la signification du terme «chocolat des Alpes». Un terme qui n'est pas protégé. «Pff, le fabricant détermine ce qu'il entend par 'Alpes' et cela ne coïncide pas forcément avec ce que les consommateurs attendent», croit savoir une protectrice des consommateurs allemande.
De plus, dans le cas présent, le chocolat Lindt est fabriqué à Aix-la-Chapelle, en Allemagne. Si le lait en poudre devait être livré de Suisse à Aix-la-Chapelle, ce serait un non-sens écologique, estime cette experte. Même si la question de savoir si c'est le cas n'est pas définitivement tranchée.
Des informations «cachées»
Le panel constitué par l'émission de télé se réjouit que tous les chocolats traditionnels affichent clairement leurs prix, sauf... Lindt qui a ses propres rayons de vente et ne révèle que des «prix conseillés», à peine visibles sur l'emballage. Les indications de poids seraient aussi «cachées» au pied du chocolat, où elles ne sont pas visibles. Selon «Marktcheck», qui n'y va pas avec le dos de la cuillère, le consommateur est délibérément désorienté.
Pour couronner le tout, on reproche à Lindt d'avoir son propre label d'équité. Même le fait que l'entreprise soutienne des projets au Ghana se fait démonter. Un expert rétorque que la pauvreté règne malgré tout sur place et qu'il vaudrait mieux faire participer les paysans aux bénéfices. Avant de reconnaître toutefois qu'il faut «des changements systémiques plutôt que des projets». Une critique qui s'adresse à toute l'industrie du chocolat.
Mieux contrer les critiques
Et le célèbre chocolatier, dans tout ça? «Il est dommage que personne de Lindt n'ait osé se présenter devant la caméra», se lamente notre collègue alémanique. Il y a fort à parier que le chocolatier zurichois aurait fait le déplacement en Allemagne, s'il s'était attendu à un tel assassinat.