Aucun secteur ne consomme autant d’énergie à l’échelle mondiale que tous les transports réunis. Pour limiter le réchauffement et dérèglement climatique, notre rapport à la mobilité et nos moyens de voyager doivent se transformer et tendre à la neutralité climatique. Car pour l’instant, nos déplacements reposent principalement sur des énergies fossiles émettrices de gaz à effet de serre comme le pétrole.
Lors du quatrième Forum de l’innovation Mobility à l’Institut Gottlieb Duttweiler (GDI) à Rüschlikon (ZH), de nombreux experts ont présenté et discuté de la manière d’organiser cette transformation lors du quatrième. Voici les principaux messages de cinq d’entre eux.
1. Où en est la Suisse en matière de mobilité électrique? Quelles évolutions espérer?
Christoph Schreyer, responsable des transports efficaces sur le plan énergétique à l’Office fédéral de l’énergie (OFEN)
«Le secteur des transports reste le plus gros consommateur d’énergie en Suisse. Plus de 93% de l’énergie provient de sources fossiles comme l’essence, le diesel et le kérosène. Cela représente des milliards de coûts et une grande dépendance vis-à-vis de l’étranger. Mais le changement est en marche: en juin, 21% de toutes les nouvelles voitures immatriculées étaient des voitures purement électriques, et 7,2% supplémentaires des hybrides plug-ins. Au premier trimestre, la Suisse se classait au septième rang des pays de l’UE, et même au cinquième pour les voitures purement électriques – et cela, sans prime à l’achat. D’ici 2025, 50% de toutes les nouvelles immatriculations devraient être des voitures électriques et des plug-ins, et l’infrastructure devrait passer à 20’000 stations de recharge publiques. À titre de comparaison, nous en sommes aujourd’hui à environ 8000. Cela fait de la Suisse l’un des réseaux de recharge les plus développés d’Europe. Mais l’accent doit clairement être mis sur une infrastructure de recharge optimale dans les immeubles collectifs: environ 70% de la population suisse vit dans des appartements en location ou en propriété. Nous élaborons actuellement un guide sur la recharge dans les immeubles collectifs dans le cadre de la feuille de route e-mobilité 2025 de la Confédération. C’est la seule façon de réussir le tournant énergétique.»
2. L’hydrogène est-il encore envisagé comme une bonne source d’énergie possible?
Christian Pho Duc, CTO Smartenergy Group AG
«L’éclatement de la guerre en Ukraine a montré à quel point nous sommes dramatiquement dépendants des énergies fossiles. La décision du Parlement européen d’interdire les voitures à moteur à combustion à partir de 2035 était donc d’autant plus importante. Cela accélère déjà le passage à l’électricité comme source d’énergie décentralisée. Mais miser uniquement sur les voitures électriques est à mon avis une erreur. En raison de sa très haute densité énergétique, l’hydrogène présente un potentiel tout aussi important, notamment pour les avions, les grands véhicules utilitaires comme les bus et les camions ainsi que les bateaux. Dans l’aviation, je pense que l’hydrogène s’imposera à long terme. Mais l’hydrogène a aussi de nombreux atouts pour les voitures des particuliers. D’une part, les voitures à hydrogène contiennent jusqu’à 20 fois moins de matières premières critiques comme le lithium, dont le prix pourrait fortement augmenter. D’autre part, le remplissage d’un réservoir d’hydrogène est nettement plus rapide que la recharge d’une batterie. Les experts estiment qu’une station-service à hydrogène pourrait remplacer jusqu’à 60 chargeurs rapides. De nombreux projets montrent que l’hydrogène est une véritable alternative à l’électricité en tant que source d’énergie. Ce qui serait judicieux, c’est un mélange des deux technologies.»
3. Les aires de repos deviendront-elles des oasis de bien-être grâce à la mobilité électrique?
Alessandro De Guglielmo, fondateur de De Guglielmo Mobility Consulting
«Si l’on regarde les solutions de recharge actuelles, on constate qu’elles ne sont souvent pas adaptées à la vie quotidienne. Souvent, les conducteurs de voitures électriques sont exposés à la pluie, à la neige ou au plein soleil. En outre, nous savons que l’infrastructure de recharge existante ne suffira bientôt plus si de plus en plus de personnes possèdent une voiture électrique, mais ne peuvent pas toutes la recharger chez elles ou au bureau. C’est là qu’intervient e-Oasi. Ce sont des aires de repos électriques où l’on se sent bien. Les gens doivent pouvoir profiter de leur temps de charge pour se restaurer, se détendre, faire leurs courses ou travailler. Ce ne sont pas eux qui doivent attendre la voiture jusqu’à ce qu’elle soit chargée, mais la voiture qui doit les attendre. Selon l’emplacement – dans les centres urbains ou le long des autoroutes – nous voulons proposer 20 à 70 stations de recharge ultrarapide avec des puissances allant jusqu’à 380 kW. Les bornes – aussi bien pour les voitures que pour les camions – peuvent être réservées et acceptent tous les systèmes de paiement. L’énergie est fournie par des microréseaux: de petits réseaux électriques intelligents dans lesquels sont intégrés des installations photovoltaïques et des accumulateurs. L’objectif est d’avoir au moins 20 sites. Nous serions le premier Energy-Hub suisse pensé et développé dès le départ pour la mobilité électrique.»
4. Une mobilité intelligente pour un tournant durable
Jonas Schmid, responsable de la nouvelle mobilité à l’Académie de la mobilité du TCS
«Pour un tournant durable dans le domaine des transports, trois voies de transformation axées sur l’efficacité jouent un rôle central. D’une part, la décarbonisation, qui a été décidée avec la fin du moteur à combustion pour les voitures. Même l’aviation légère se soumet au passage à l’électrique. Aujourd’hui déjà, le transport de personnes est testé avec des jets et des multicoptères électriques. La deuxième voie est la déprivatisation, c’est-à-dire la mobilité partagée. Son marché a connu une croissance extrême au cours des dernières années. Alors que l’on comptait en 2012 une douzaine de prestataires, comme Mobility, PubliBike ou des sociétés de location de voitures, on en compte aujourd’hui plus de 50. Le partage de scooters électriques a connu une croissance particulièrement forte, avec une demi-douzaine de prestataires. Grâce à des innovations comme les batteries interchangeables, les trottinettes électriques sont aujourd’hui beaucoup plus durables. Les premières entreprises de transport comme VBZ les intègrent dans leur système. L’importance croissante de la micromobilité – nous parlons aussi de démotorisation – est également une voie importante vers un tournant dans les transports. Il s’agit ici de gagner en efficacité grâce à des outils de mobilité plus petits et plus légers. Enfin, outre un déplacement intelligent et efficace, il faut aussi une mobilité sage et suffisante: jouer au golf dans les Grisons plutôt que dans les Maldives. Utiliser plutôt l’espace de coworking de la commune plutôt que de faire deux heures de trajet.»
5. La mobilité électrique peut-elle aussi fonctionner pour les véhicules utilitaires?
Tobias Wülser, fondateur de Designwerk Technologies AG
«Nous avons commencé à une toute petite échelle: avec notre véhicule électrique Zerotracer à deux places, nous avons fait le tour du monde en 80 jours ou 700 heures. Le coût de l’électricité utilisée: à peine 400 francs! Trois ans plus tard, nous avons créé la marque de camions électriques E-Force, lancé les premiers chargeurs rapides mobiles sur le marché et présenté le premier camion électrique Futuricum en 2016. Aujourd’hui, nous avons plus de 125 véhicules sur les routes, du camion à ordures au transporteur de voitures. Nos clients ont parcouru plus d’un million de kilomètres en 2021. Aujourd’hui, nous installons des batteries allant jusqu’à 900 kWh, qui permettent de parcourir 450 kilomètres par jour, soit 100’000 par an. La production des batteries est certes très gourmande en CO2, mais les camions électriques permettent d’économiser jusqu’à 76% de CO2 par rapport au diesel lors de leur utilisation: 27 tonnes par an au lieu de 112. Cela signifie que le bilan carbone de ces véhicules est déjà équilibré après 1,3 an. À partir de là, utiliser un camion électrique devient de plus en plus vertueux et propre en termes d’énergie. Certes, nos véhicules électriques sont environ quatre fois plus chers, mais grâce aux coûts d’exploitation beaucoup plus bas, l’achat est amorti au bout de huit ans au maximum. L’e-mobilité est également possible – et judicieuse – pour le trafic lourd.»