Usines obsolètes
2035, l'année du grand massacre automobile européen

En votant la fin des moteurs thermiques dans les pays de l'UE en 2035, le parlement européen a confirmé le séisme industriel tant redouté. Quels constructeurs survivront à la prochaine décennie de mutation industrielle dans le secteur automobile?
Publié: 09.06.2022 à 10:15 heures
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Dernière mise à jour: 09.06.2022 à 10:20 heures
Qui survivra, entre Renault, Stellantis (Fiat, Chrysler, Peugeot et Citroën), BMW, Volkswagen ou Opel?
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Richard WerlyJournaliste Blick

Encore treize ans! Ou plutôt, rien que treize ans. En votant mercredi la fin de la vente de véhicules thermiques (essence, diesel, hybrides) au sein des 27 pays de l’UE en 2035, le parlement européen a ouvert la porte du cimetière aux constructeurs qui ne réussiront pas la plus formidable transition industrielle de leur histoire.

Une ambiance de panique chez les constructeurs

Qui survivra, entre Renault, Stellantis (Fiat, Chrysler, Peugeot et Citroën), BMW, Volkswagen ou Opel? La manière dont les géants européens du secteur automobile ont, jusqu’à la dernière minute, cherché à empêcher le vote des eurodéputés à Strasbourg dit l’ambiance de panique qui règne dans leurs quartiers généraux, même si leurs ingénieurs se préparent depuis des années à ce séisme.

Preuve de la redoutable bataille en cours: les élus n’ont d’ailleurs pas voté l’ensemble des textes du «paquet climat» présenté par la Commission européenne pour permettre à l’Union d’atteindre la neutralité carbone en 2050. La proposition de supprimer les quotas gratuits d’émissions de CO2 a tout fait dérailler, car les industriels exigent de continuer à en bénéficier. Résultat: le projet de directive communautaire très attendu instaurant une taxe carbone aux frontières, pour intégrer dans le prix des produits importés leur «coût climatique» est aussi resté en rade.

Un parc européen de 282 millions de véhicules

Côté pile, l’Union européenne avance bien vers la transformation sans précédent de son parc automobile estimé à 282 millions de véhicules. Une fois le texte du parlement de Strasbourg validé par le Conseil européen (l’instance qui représente les pays membres) puis ratifié par les 27, les garages tels que nous les connaissons seront en effet condamnés à disparaître. Il sera encore possible, entre 2035 et 2050, de conduire une voiture à essence.

Mais il ne sera plus possible d’en acheter… et de moins en moins possible de l’entretenir. Si ce calendrier se confirme, une colossale mutation de main-d’œuvre et d’infrastructures industrielles va en effet se dérouler en un peu plus d’une décennie. Les usines automobiles actuelles, qui emploient 12,6 millions de personnes dans l’UE, seront obsolètes. Les sous-traitants du secteur, spécialisés dans les pièces détachées des moteurs à explosion, seront quasi condamnés à mort. Avec, en plus au-dessus de leurs têtes, une question désormais posée? Comment convaincre les ménages européens de continuer à acheter encore des véhicules thermiques – dont les stocks sont pleins - alors que leur disparition est programmée?

Un séisme industriel, commercial, social et culturel

Le séisme n’est pas qu’industriel. Il est commercial, social, culturel. Quels seront, demain, les modèles de voiture de luxe à l’heure du tout électrique? Déjà, les spécialistes de ce marché s’inquiètent de l’incapacité des constructeurs du continent à rattraper le leader en la matière, l’américain Tesla. La très populaire Tesla modèle 3 (le véhicule électrique le plus vendu en Europe), commercialisée environ 37 000 euros à travers l’UE, caracole en tête des ventes. Le constructeur américain est le seul à disposer, en 2022, des moyens de parvenir, en termes de production et d’anticipation de volumes de ventes, aux économies d’échelle indispensables pour cette industrie.

Migraines garanties pour les grands patrons européens

En clair: plus les années vont passer d’ici à 2035, plus les prix des Tesla seront susceptibles de baisser, alors que les modèles électriques des autres firmes, globalement moins performants, continueront d’être bien plus onéreux, car beaucoup moins vendus et, dès lors, beaucoup plus difficiles à amortir. S’y ajoute, si la tarification carbone aux frontières n’est pas mise en place de manière efficace, le risque d’une concurrence chinoise massive car les constructeurs automobiles de l’Empire du milieu ont eux aussi pris beaucoup d’avance.

De quoi donner des migraines à tous les patrons européens du secteur qui redoutent, d’ici là, un écroulement des ventes de véhicules à essence. «Une partie importante du stock de machines et de connaissances, qui assurait la production de véhicules thermiques, et qui était très loin d’être amorti, sera rendue obsolète, inutile, dévalué, mis à la casse estime, dans une note de février 2022, l’universitaire «climato-réaliste» Remy Prudhomme. On le voit avec le cas des fonderies qui emploient des ouvriers très spécialisés et des machines très perfectionnées. Ni ces ouvriers ni ces machines ne serviront à produire des batteries pour véhicules électriques. Cette destruction de connaissances et de capital a un coût, difficile à estimer, mais considérable».

Et si tout déraillait?

Cette catastrophe industrielle annoncée peut-elle être évitée? Deux thèses s’opposent.

La première, brandie par les écologistes satisfaits de l’interdiction du commerce des véhicules thermiques à partir de 2035, est de se tourner vers l’Union européenne pour qu’elle déploie un colossal plan d’aide au secteur automobile. Démultiplication du nombre de bornes de recharge dans l’UE (300 000 actuellement alors qu’il en faudrait au moins le double), transformation des sites industriels, reconversion des personnels dans de nouvelles tâches de maintenance (l’usure des pneus est par exemple beaucoup plus grande sur les véhicules électriques)… Un effort bien plus important que les 23,2 milliards d’euros consacrés pour l’heure au secteur automobile dans le plan «Nextgeneration EU» de 750 milliards adopté en 2020 et financé par des emprunts communautaires.

La seconde thèse est celle du déraillement programmé de ce calendrier de reconversion automobile d’ici 2035, en raison de la concurrence annoncée pour les matières premières indispensables pour les batteries électriques comme le lithium ou le cobalt. Si leurs prix explosent en raison de la demande, les voitures électriques deviendront inabordables pour les Européens, obligeant les gouvernements à poursuivre la construction des véhicules thermiques.
Une hypothèse que les industriels évoquent régulièrement, citant aussi le risque d’une explosion des besoins en électricité sur le continent, alors que la guerre en Ukraine montre l’extrême dépendance de l’UE en gaz russe, même si la commission européenne promet des solutions pérennes de remplacement à partir de 2027.

Un vote au parlement de Strasbourg et tout est déréglé. Entre les experts du réchauffement climatique à juste titre alarmistes, les économistes convaincus que les industriels de l’automobile peuvent faire leur révolution électrique en moins de quinze ans, et ceux que ce tremblement de terre industriel effraie, une chose apparaît certaine: 2035 risque bien d’être l’année d’un grand massacre automobile européen.

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