Il y a cinq ans, les électeurs suisses ont dit oui à la sortie du nucléaire. Puis la guerre en Ukraine est arrivée, et avec elle une crise énergétique mondiale. Aujourd’hui, le patron d’Axpo, Christoph Brand, lance un avertissement: «Le rationnement sera bientôt inévitable.» Cette situation donne de l’élan à des voix qui appellent à une réévaluation de l’énergie nucléaire. Ils exigent que les centrales existantes restent en activité le plus longtemps possible, et certains veulent même faire construire de nouvelles installations.
L’énergie nucléaire produit des déchets radioactifs et est responsable de grandes catastrophes comme Tchernobyl et Fukushima. Mais elle fournit de l’électricité fiable, affirment les partisans du nucléaire. Et personne ne les contredit.
Pourtant, l’énergie nucléaire est bien moins fiable qu’on ne le pensait jusqu’à présent. C’est ce que montre une nouvelle étude réalisée par l’institut de recherche allemand DIW et l’université technique de Berlin, à la demande de la Fondation suisse de l’énergie (SES).
«Les centrales nucléaires suisses sont soumises à de grandes incertitudes, notamment en raison d’arrêts imprévus liés à la sécurité, de temps de révision et de réparation prolongés», explique Fabian Lüscher, responsable de l’énergie nucléaire à la SES.
Cela ne vaut pas seulement pour la centrale nucléaire de Beznau 1, qui a été arrêtée pendant 1100 jours complets entre 2015 et 2018. La nouvelle étude révèle également de fortes fluctuations pour la centrale nucléaire de Leibstadt. En 2016, 2018 et 2021, de plus longues interruptions ont même eu lieu.
Interruption de 16 jours à Gösgen
La centrale nucléaire Gösgen, dans le canton de Soleure, ne fonctionne pas non plus de manière constante. En 2019, par exemple, la production a dû y être complètement interrompue pendant 16 jours d’affilée en raison d’un court-circuit.
Les arrêts imprévus de réacteurs ne sont pas rares: entre 2011 et 2020, sept incidents de ce type ont eu lieu à Leibstadt, et trois à Gösgen. Entre 1995 et 2010, cela ne s’était produit que six fois dans les deux centrales nucléaires réunies. En d’autres termes, les pannes sont de plus en plus fréquentes avec le vieillissement des installations.
Dans ses scénarios énergétiques, le Conseil fédéral part du principe que la centrale nucléaire de Leibstadt, aujourd’hui âgée de 38 ans, et celle de Gösgen, 43 ans, seront encore en service en 2035. Qu’en sera-t-il de la sécurité d’approvisionnement de la Suisse si les deux centrales fonctionnent encore à cette date? Apparemment, elle sera moins assurée que sans elles, telle est la conclusion de l’étude.
«La sécurité de l’approvisionnement en électricité est plus élevée si la Suisse poursuit le développement du photovoltaïque et renonce à maintenir les centrales nucléaires en service», déclare Mario Kendziorski, expert en énergie et auteur de l’étude. Il conclut: «Les centrales nucléaires suisses représentent un risque considérable pour la sécurité d’approvisionnement.»
La France se bat contre les pannes
Les Français font actuellement l’expérience de la rapidité avec laquelle cela peut se produire: dans le pays voisin, la moitié du parc de centrales nucléaires est à plat depuis quelques jours. Mario Kendziorski insiste: «Cela montre que la panne simultanée de plusieurs centrales est une menace très réaliste.» Pour le chercheur, il est clair que «ce n’est pas seulement en raison du risque d’accidents graves qu’il est conseillé de renoncer au nucléaire et d’accélérer le développement des énergies renouvelables. Cela en vaut également la peine du point de vue de la sécurité d’approvisionnement.»
C’est ce que démontre l’étude en élaborant deux scénarios pour 2035. Le premier part du principe que Leibstadt et Gösgen fonctionneront encore à cette date. Le second table sur leur absence – mais sur un fort développement de l’énergie photovoltaïque qui compenserait la disparition de la capacité des centrales nucléaires, soit 16 térawattheures (TWh) par an. L’étude se base sur un développement correspondant de la capacité de stockage, comme c’est déjà le cas en Allemagne.
Dans les deux scénarios, l’étude présente en outre deux variantes d’importations d’électricité disponibles. La première se base sur un faible échange avec les pays voisins, comme on peut le craindre en raison de la menace d’exclusion de la Suisse du marché européen de l’électricité. Dans la deuxième variante, les échanges actuels sont maintenus.
On constate alors que les mois de mars et d’avril sont les plus préoccupants. C’est à ce moment-là que le niveau des centrales hydroélectriques suisses est le plus bas, et que le risque d’accumulation des deux centrales nucléaires pèse le plus lourd. Si Leibstadt et Gösgen ferment durant cette phase et que la Suisse se retrouve sans accord de coopération avec l’UE, la sécurité de l’approvisionnement en électricité sera compromise, même avec une réserve stratégique d’énergie.
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Le photovoltaïque solaire comme meilleure option
La situation est différente si la Suisse arrête les centrales nucléaires et mise entièrement sur les énergies renouvelables. Selon l’étude, la sécurité d’approvisionnement n’est alors en aucun cas menacée.
Mais le soleil fournit-il vraiment de l’électricité de manière régulière? «Il y a certaines incertitudes dans les prévisions de production d’électricité photovoltaïque», admet Mario Kendziorski. «Mais elles sont beaucoup plus calculables que pour l’énergie nucléaire, et peuvent être prises en compte dès le départ lors de la planification. De plus, il est impossible que tous les panneaux solaires tombent en panne en même temps. C’est différent pour les centrales nucléaires.»
Fabian Lüscher de la Fondation suisse de l’énergie en est certain, «la sécurité d’approvisionnement de la Suisse est plus grande sans centrales nucléaires.» Selon lui, les avantages des énergies renouvelables sont également clairs au regard des réserves à constituer: «Si nous continuons à travailler avec de l’électricité nucléaire, nous aurons en tout cas besoin de réserves de sécurité. Avec le photovoltaïque, nous n’en avons pas besoin. La discussion sur des centrales à gaz supplémentaires existe donc uniquement à cause du nucléaire.»
Ce que l’étude met également en évidence, c’est que, avec ou sans centrale nucléaire, la coopération internationale vaut de l’or pour la sécurité d’approvisionnement locale. «Il est d’autant plus surprenant que la Suisse mette en péril cette coopération», déclare l’expert en énergie Mario Kendziorski.
L’association des exploitants de centrales nucléaires Swissnuclear ne partage pas l’avis de l’étude. «Les centrales nucléaires de Beznau, Gösgen et Leibstadt fournissent environ un tiers de l’électricité produite en Suisse», explique le directeur Wolfgang Denk. «Un arrêt rapide réduirait la sécurité d’approvisionnement et augmenterait encore la dépendance vis-à-vis de l’étranger.» Dans le contexte des bouleversements géopolitiques actuels, il s’agirait d’un scénario extrêmement défavorable.
(Adaptation par Lliana Doudot)