Célébrer «autrement» à Neuchâtel
Cabossés, esseulés et joyeux curieux se retrouvent pour fêter Noël

Blick a fêté un «Noël Autrement», le 25 décembre à Neuchâtel, avec celles et ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas se plier aux traditionnels repas de famille. Entre cultures d'ailleurs et solitudes comblées, reportage au cœur de ce chaleureux événement gratuit.
Publié: 26.12.2023 à 15:00 heures
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Dernière mise à jour: 27.12.2023 à 13:08 heures
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Le DJ a mis le feu au synthé toute l'après-midi, et jusqu'à 20h — le moment où la fête a pris fin.
Photo: Darrin Vanselow
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Daniella GorbunovaJournaliste Blick

Des rires d’enfants, des salutations enjouées en français, en espagnol, en chinois ou encore en russe... Un joyeux brouhaha sur fond de synthé enrobe notre arrivée, à l’Hôtel-de-Ville de Neuchâtel. Nous sommes le 25 décembre. Je pénètre dans la grande salle de fêtes, avec le photographe Darrin Vanselow, vers midi. L'odeur des pâtes du chalet, préparées dans une grande marmite devant le bâtiment, nous suit à l'intérieur.

Nous sommes ici pour fêter un «Noël Autrement», avec les gens qui, d’habitude, ne célèbrent pas Noël, celles et ceux qui n’ont personne avec qui bambocher, ou les curieuses et curieux qui, simplement, veulent voir de nouvelles têtes. Organisé par une association indépendante, constituée de bénévoles, cet événement totalement libre d’accès et gratuit s’étale chaque année sur deux jours.

Au cœur des festivités, il y a la promesse de (re)faire de Noël un moment de pur échange entre être humains, avec de la joie et peu de fioritures. Au programme: musique, animations pour les enfants, et toutes sortes de petits plats festifs — offerts par l’association, les commerçants locaux, ou directement concoctés par des participantes et participants.

Ça veut dire quoi, Noël?

Si cet événement devait avoir un visage, ce serait celui de sa vice-présidente, Danielle Junod. Elle était dans le premier comité de «Noël Autrement», il y a une trentaine d’années. La raison de son engagement sans faille? Une histoire personnelle bien particulière. Derrière les tables où sont servis les repas, vers les paniers de pain, elle me confie: «J’ai perdu mes parents lorsque j’étais très jeune.»

Danielle Junod organise «Noël Autrement» depuis trente ans. Son grand combat? Alléger la pression et amoindrir les inégalités qui entourent cette fête, à l'origine très traditionnelle et familiale.
Photo: Darrin Vanselow

Visiblement émue, la femme continue, à voix basse: «Aujourd’hui, je suis orpheline… et veuve. Pour moi, 'Noël Autrement', c’est avant tout une atmosphère qui permet d’éviter l’hypersensibilité que celles et ceux qui ont une vie comme la mienne peuvent ressentir durant les fêtes. C’est l’occasion de simplement retrouver un esprit de communauté, sans se mettre la pression. Pouvoir offrir ça aux gens est essentiel pour moi.»

Avec quelque 1200 visiteurs entre le 24 et le 25 décembre, et plus de 1500 assiettes servies, la manifestation a fait ses preuves cette année encore, à l’occasion de sa trentième édition. Je me suis glissée dans cette foule — très hétéroclite — pour poser une question aux quidams venus fêter sur la place publique avec leurs concitoyens: ça veut dire quoi, Noël, pour vous, au fait?

Celle qui a sorti les paillettes

Éclat de rire. «La robe à paillettes, il faut bien la sortir au moins une fois par année!» J'intercepte Sandra, et son ami Alex, dans la file qui mène au buffet — pris d'assaut, dès midi. Tous deux sont «des habitués». Ils viennent chaque année faire des rencontres, ou recroiser de vieilles connaissances.

Sandra et Alex sont sur leur trente-et-un, pour ce 25 décembre. Sandra n'aime pas vraiment Noël: et c'est précisément pour ça qu'elle est venue.
Photo: Darrin Vanselow

Derrière son sourire et sa robe scintillante, Sandra ne cache pas une pointe de cynisme vis-à-vis des fêtes de fin d'année: «Noël est censé représenter le partage, la joie, tout ça… Mais moi, honnêtement, je n’aime pas trop ces fêtes. Je me réjouis que cette période de l'année soit terminée, je dois avouer. Car ça me rappelle de mauvais souvenirs… Venir ici, au moins, ça fait mieux faire passer la pilule.»

Celui qui vient d'une autre culture

On continue notre balade. Son look de Dandy tape dans l'œil. Assis face à une vieille dame, au coin d’une table, Mayé accepte de discuter deux minutes. Ce retraité d'origine nigérienne est en Suisse depuis des années.

Mayé est retraité et musulman. Il est de la fête depuis des années. Mais, d'habitude, il est accompagné de sa femme...
Photo: Darrin Vanselow

Il m'explique pourquoi il est là aujourd'hui: «Ma femme et moi sommes musulmans. Elle est très malade, elle n’a donc pas pu venir avec moi cette année. Pour moi, Noël n’est pas quelque chose de traditionnel, mais j’ai pris l’habitude, avec la culture suisse, de tout de même marquer le coup. J’aime beaucoup venir ici, par exemple. J’ai même apporté des samosas faits maison cette année.»

Celle qui le fait pour sa fille

Au fond de la grande salle de l'Hôtel-de-Ville, j'aperçois, en bout de table, une femme et une petite fille, qui mangent silencieusement. Je m'approche. Heather et Sofie sont d’origine étasunienne. Elles vivent à Neuchâtel, «avec le papa», depuis des années.

Heather l'admet ouverte: elle «déteste Noël». Elle est là pour que sa fille profite des animations.
Photo: Darrin Vanselow

Heather affirme: «Il n’a pas voulu venir avec nous. Pour ma fille et moi, c’est désormais devenu une habitude: c’est la huitième fois que nous venons! Comme nous n’avons pas de famille ici, c’est dépriment de rester juste les trois à la maison.»

Elle l'avoue volontiers: de toute façon, famille ou pas, les fêtes, ce n'est pas vraiment son truc. «Je déteste Noël. En réalité, si je fais un effort, c’est seulement pour ma fille.»

Celui pour qui Noël n'a pas de sens

Cherif et Murielle sont venus ensemble. Pour lui, c’est une première: «D’habitude, je ne fête jamais. Pour être franc, Noël ne veut rien dire pour moi — comme les fêtes de manière générale. Chaque jour est une fête!» Pourquoi est-il venu ici aujourd'hui, alors? «C’est vrai qu’après, c’est quand même un moment de convivialité, que je partage volontiers avec mes proches pour qui ça a du sens.»

Cherif et Murielle sont venus ensemble. À les voir discuter avec leurs voisins de table, ils se sont vite faits de nouveaux amis.
Photo: Darrin Vanselow

Il se tourne vers sa compagne Murielle. Elle rigole, puis rétorque: «Je ne suis pas forcément d’accord avec lui: pour moi, Noël, c’est de la joie. À chaque fois qu’il y a une fête, on déplore que c’est ‘devenu commercial’, alors que les gens veulent juste se rassembler et s’amuser de temps en temps, au fond! Il n’y a plus rien qui fait plaisir à personne, de nos jours, j’ai l’impression: même ici, je trouve que les gens tirent un peu la gueule, cette année…»

Murielle est une habituée des éditions de «Noël Autrement». Elle était même bénévole, il y a sept ans. Alors, c’était mieux avant? «Oui. On rigolait, les gens dansaient… Après le Covid, quelque chose a changé. Je me sens davantage jugée de venir ici, de l’extérieur, aussi. Il y a des gens qui pensent que c’est un événement pour les pauvres, les sans-abris et les profiteurs.»

Celles qui ont fui la guerre

Juste à côté du couple, j'entends deux vieilles dames rire de bon cœur. Elles parlent russe, je les accoste dans leur langue. Olga et Oksana sont venues seules d’Ukraine, elles sont en Suisse depuis environ un an.

Oksana (gauche) et Olga (droite) sont des ukrainiennes russophones, réfugiées en Suisse. Elle fêtes le Noël orthodoxe le 6 et le 7 janvier, mais elle ne disent pas non à une occasion de sociabiliser avec les locaux.
Photo: Darrin Vanselow

Elles tiennent à nous dire, d’entrée de jeux: «On remercie vraiment la Suisse de nous accueillir! C’est un très beau pays.» Leur famille est restée en Ukraine: «Bien sûr que c’est terrible, la période des fêtes, sans les nôtres.» Les deux retraitées sont de confession orthodoxe (comme une partie de la population ukrainienne), elles fêtent donc Noël le six et le sept janvier. Pour elles, le 25, c’est surtout l’occasion de sociabiliser avec les locaux. Une activité qui leur tient réellement à cœur: «On ne parle toujours pas bien le français, mais on essaie (Rires). Et puis il y a quelques autres russophones dans les parages.»

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