L'Ukrainienne Irina Pavlova a une relation ambivalente avec la Suisse. Certes, elle y a décroché son master à Genève, avant de déménager en Allemagne... «Une période formidable», confie-t-elle.
Mais depuis le conflit en Ukraine, elle ne comprend plus la Suisse – notamment sa neutralité – ni les entreprises suisses qui continuent de faire des affaires en Russie.
Irina Pavlova travaille pour l'ONG B4Ukraine. Celle-ci est soutenue par des organisations pro-ukrainiennes qui veulent couper les vivres du Kremlin. Et Irina Pavlova en est convaincue: plus les entreprises quitteront la Russie, plus le président russe Vladimir Poutine sera sous pression.
La Suisse, troisième pays ayant le plus d'entreprises en Russie
Selon une étude de B4Ukraine et de la Kiev School of Economics, la Suisse est le troisième pays ayant le plus d'entreprises implantées en Russie. La première place étant occupée par les Etats-Unis, dont les entreprises ont généré un chiffre d'affaires de 36 milliards de francs suisses, suivis de l'Allemagne avec 20,6 milliards.
Les entreprises suisses ont, de leur côté, généré un chiffre d'affaires de 12,7 milliards de francs suisses. A elles seules, elles auraient payé 244 millions de francs suisses d'impôts à l'Etat russe, sans tenir compte d'autres impôts comme la TVA. «Les groupes suisses remplissent le trésor de guerre de Poutine», se plaint Irina Pavlova.
Selon B4Ukraine, 77 entreprises ayant leur siège en Suisse sont toujours actives en Russie. La première d'entre elles est le groupe Japan Tobacco International (JTI) basé à Genève, suivi du négociant en matières premières Glencore, du géant pharmaceutique Novartis et du groupe agricole Syngenta.
Sur la liste consultée par Blick, on note également Roche, Nestlé, Ems Chemie ou le chocolatier Barry Callebaut.
Une implantation immorale, selon certains
L'économiste ukrainien Andrii Onopriienko s'interroge: si l'activité de ces groupes en Russie est légale, car non concernée par les sanctions, est-elle pour autant légitime? Pour lui, la réponse est non: «Nous demandons à toutes ces entreprises de se retirer du marché russe.»
Qu'en pensent les groupes suisses implantés en Russie? Japan Tobacco International conteste le chiffre avancé par Kiev, selon lequel l'entreprise aurait réalisé près de 6,2 milliards de francs suisses de chiffre d'affaires en Russie en 2022. Le groupe évoque 1,8 milliards, mais confirme toutefois que ses activités en Russie représentent 11% de son chiffre d'affaires.
Se retirer du marché russe n'est pas forcément évident
Quant au groupe Glencore, il souligne qu'il n'a «pas de présence opérationnelle» en Russie, mais qu'il veut «respecter les obligations légales découlant de contrats préexistants».
De son côté, le groupe chocolatier Barry Callebaut déclare: «La poursuite des activités en Russie en cette période difficile est due à notre engagement à fournir des produits alimentaires à nos clients.» Enfin, le groupe Ems a fait savoir que son activité s'était effondrée, ses effectifs ayant été réduits à environ 35 employés.
Le professeur de Yale Jeffrey Sonnenfeld tient une liste noire des entreprises internationales actives en Russie depuis le début de la guerre. Il critique avec virulence la décision de certaines entreprises de rester en Russie. «Leur présence alimente la machine de guerre de Vladimir Poutine. Les entreprises suisses devraient quitter la Russie car il s'agit de complicité avec Moscou», s'insurge-t-il, notant toutefois que certaines des erreurs se sont glissées dans les informations fournies par Kiev.