Amitiés helvétiques du défunt
Jean-Marie Le Pen et la Suisse, mythe patriotique et secrets inavouables

Décédé mardi 7 janvier, le patriarche de l'extrême-droite française Jean-Marie Le Pen appartenait à cette génération admirative du mythe patriotique suisse, mais aussi habituée à profiter des secrets financiers helvétiques.
Publié: 08.01.2025 à 11:20 heures
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Dernière mise à jour: 08.01.2025 à 11:22 heures
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Le 21 avril 2002, Jean-Marie Le Pen parvient à se qualifier pour le second tour de la présidentielle française face à Jacques Chirac.
Photo: AFP
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Richard WerlyJournaliste Blick

Une filiation politique incontestable existe entre Jean-Marie Le Pen, décédé le 7 janvier, et sa fille Marine, devenue aujourd’hui l’une des personnalités politiques préférées des Français: l’admiration revendiquée pour la Suisse patriotique et ses référendums.

Sur ce sujet, le père et sa cadette – pourtant responsable de sa marginalisation puis de son exclusion du Front national en août 2015 – étaient à l’unisson. La Confédération helvétique était, en Europe, l’une de leur référence. ««J’aimerais demander aux Suisses comment importer en France le respect de la démocratie directe» avait déclaré cette dernière à Blick en novembre 2023. Un entretien en forme de coup de pied de l’âne à Emmanuel Macron qui, lors de sa visite d’État, n’avait absolument pas évoqué le référendum, qu’il évoque pourtant régulièrement.

Démocratie «à la Suisse»

Le Pen, père et fille, réunies pour célébrer la démocratie «à la Suisse», alors que la patronne du Rassemblement national (rebaptisé ainsi en 2018, pour achever l’exclusion du patriarche du parti qu’il avait cofondé en 1972) n’a jamais repris en public les harangues antisémites et racistes de Jean-Marie? Pas si simple. Car «Le Menhir», son surnom en raison de ses origines bretonnes (il sera enterré dans son fief de la Trinité sur Mer, après une messe parisienne célébrée sans doute par un prêtre traditionaliste), avait d’autres attaches avec l’Helvétie. Secrètes. Coupables. Pas très avouables.

La Suisse que Jean-Marie Le Pen aimait était en effet celle que l’extrême-droite européenne a longtemps utilisée comme un lieu de transit, voire de réunion, alors que la démocratisation du continent gagnait du terrain dans les années 60 et 70. Le Pen, actif en politique depuis le début des années 50 (il est élu, en 1956, plus jeune député de France pour le parti de Pierre Poujade, et siégera deux ans avant le retour au pouvoir du Général de Gaulle en 1958), débarque alors de l’armée. Il a servi en Algérie, après avoir voulu s’engager pour partie en Indochine.

Colonialiste impénitent, il sera accusé de tortures lors de la bataille d’Alger, et il participe à la traque, sur le continent européen, des «porteurs de valises» du FLN algérien qui passent par la Suisse. «Le Pen faisait partie de ses réseaux français d’extrême droite qui infestaient Genève au moment de la négociation des accords d’Evian (1962) nous racontait voici quelques années le sociologue Jean Ziegler, dont le dernier livre «Où est l’espoir?» (Ed. du Seuil) vient d’être publié.

L'OAS et Evian

L’extrême droite française a son bras armé, l’Organisation de l’armée secrète (OAS), qui tentera d’assassiner De Gaulle. En Suisse, des officines comme le Redressement national, la Ligue anticommuniste mondiale, la Fraternité sacerdotale internationale Saint Pie X redoutent, déjà, la capitulation de l’Occident face aux anciennes colonies et à l’Islam. «Ces organisations vont constituer le compost des idées et des partis xénophobes, racistes, traditionalistes, isolationnistes et antidémocratiques qui se déclarent dès les années 1960» juge l’historien Nils Anderson. Les obsessions de Jean-Marie Le Pen sont partagées par de nombreux cadres de l’armée et de l’espionnage français. Pour eux, c’est en Suisse que se trouve le «trésor» du FLN algérien. A Lausanne, plusieurs tentatives de meurtre contre le leader indépendantiste réfugié Hocine Aït Ahmed (décédé en 2015) sont alors commanditées par ces réseaux.

Authentiques néonazis

Le patriarche qui fonde le FN en 1972, avec autour de lui d’authentiques néonazis, profite aussi des réseaux helvétiques favorables à l’Espagne du dictateur Franco, que plusieurs banques suisses ont ouvertement financé lors de la guerre civile. Problème: une partie de l’extrême droite européenne marquée par l’antisémitisme hérité de la Seconde Guerre mondiale est, dans les années 70, pro arabe. Jean-Marie Le Pen, toujours nostalgique de l’Algérie Française, se heurte alors au soutien affiché du banquier suisse François Genoud, qu’il a rencontré, pour les Palestiniens.

Grand remplacement

Restent les convergences sur les autres sujets, comme la lutte contre l’immigration, et contre ce que les disciples de Marine Le Pen dénoncent aujourd’hui comme le «grand remplacement». L’historien Nils Anderson l’écrit: «La première organisation qui s’est ouvertement revendiquée comme xénophobe en Suisse est l’Action nationale contre la surpopulation étrangère du peuple et de la patrie, fondée en 1961.

Si, dans l’Europe «démocratique» d’alors, il existe des vestiges bien réels de l’Ordre nouveau, que sont l’Espagne franquiste, le Portugal de Salazar, la dictature des colonels en Grèce, le Mouvement social italien et les reliquats de partis fascistes ou groupuscules se revendiquant de l’idéologie nazie, c’est en Suisse que naît cette première organisation qui va constituer la mouvance d’extrême droite, trop simplement dénommée «populiste», qui aujourd’hui se répand sous des formes diverses dans la plupart des pays européens et qu’il est plus juste politiquement de désigner comme néofascistes Parmi les partis en Europe ayant eu des élus nationaux, en France, le Front national a été créé en 1972».

Réseaux commerciaux

Viennent ensuite d’autres réseaux, commerciaux et financiers ceux-là. «Je n’ai pas de compte en Suisse et je porte un slip Dim» lance, provocateur, Jean-Marie Le Pen en 2013, après des révélations de Médiapart sur l’utilisation par le FN de sociétés offshore et l’existence un magot caché à Genève. La réalité est l’entreprise du leader d’extrême droite décédé, spécialisée dans l’édition de disques et de livres, entre autres pour nostalgiques du Troisième Reich, la Société d’études et de relations publiques (Serpa) a bien eu une filiale en Suisse.

L’éditeur de beaux livres Jean-Pierre Mouchard, nostalgique du Maréchal Pétain et très proche de Le Pen, a créé avec lui une maison d’édition basée à Genève, Crémille et Famot, spécialisée dans les ouvrages historiques. Une autre société genevoise, Ferni, édite des classiques littéraires. On sait qu’à l’époque, le secret bancaire fait de Genève une place privilégiée pour les transferts de fonds discrets. Le million d’euros en lingots de Jean-Marie Le Pen caché en Suisse, selon Mediapart, paraît donc assez crédible. Le défunt avait d’ailleurs toujours éludé les questions des journalistes à ce propos. Selon l'ATS, Des soupçons de «blanchiment» avaient été transmis en 2015 par le fisc français à la justice. Une autre affaire d’évasion fiscale en Suisse concerne sa veuve, Jany Le Pen.

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