Jean-Marie Le Pen détestait la République que la France est devenue. Il ne supportait pas le visage de l’Europe en 2025. Il ne comprenait pas que la justice le condamne, comme elle l’avait fait à plusieurs reprises, pour «incitation à la haine raciale», «apologie de crimes de guerre» ou «contestation de crimes contre l’humanité». C’est un leader d’extrême-droite sans concession, fidèle à l’antisémitisme de l’entre-deux-guerres, qui est décédé ce 7 janvier à 96 ans.
Ces faits sont têtus et ils doivent être répétés à l’heure où le cofondateur du Front national, en 1971, vient de disparaître. Jean-Marie Le Pen était simultanément un homme de culture, un fin connaisseur des coulisses de la politique, et une personnalité plus complexe que ses déclarations dignes d’une brute épaisse ne laissaient croire.
Un diable utile
Cette ambivalence n’a toutefois rien de neuf dans l’histoire. Beaucoup d’hommes forts, devenus des tyrans lorsqu’ils sont parvenus à accéder au pouvoir, manient le verbe, les références historiques et le talent politique avec une grande maîtrise. Le Pen était de cette race-là. Il savait aussi que sa présence, divisant l’électorat de droite, était utile à une gauche cynique, incarnée entre autres par François Mitterrand. Il joua donc parfois au diable utile aux uns et aux autres. L’âge calma peu à peu son ardeur. Mais son registre est toujours resté le même: se battre contre une France ouverte, multiculturelle, lucide sur ses exactions coloniales passées.
Souveraineté populaire
De la Suisse, ce pays qu’il connaissait et où il entretenait des relations d’affaires qui l’aidèrent tout au long de sa carrière, Le Pen aimait mettre en exergue ce qui lui convenait: le refus d’intégrer l’Union européenne, la ferveur patriotique, et les référendums qui consacrent la souveraineté du peuple. Dans les faits, les réseaux d’extrême droite européens, dont il était l’un des piliers, savaient toutefois, entre les nostalgiques de l’Italie fasciste, de l’Allemagne nazie et de l’Espagne franquiste, profiter de discrets réseaux financiers helvétiques. Ces vérités-là, aussi, doivent être regardées en face.
Faut-il, maintenant, ramener la carrière et la posture politique de sa fille Marine à cet héritage paternel très problématique? Faut-il, à l’heure du décès de Jean-Marie Le Pen, établir un lien de filiation directe entre son Front national et le Rassemblement national de 2025 dont les deux principaux dirigeants, Marine Le Pen et Jordan Bardella, sont les seuls politiques à figurer parmi les 15 personnalités préférées des Français? La réponse est complexe.
Le RN, premier parti de France
Jean-Marie Le Pen, jusqu’à son éviction progressive du FN/RN à partir de 2011, incarnait une hostilité à la République que ses héritiers ne partagent pas. Le rassemblement national d’aujourd’hui est le premier parti de France, le plus représenté à l’Assemblée et jusque-là toujours respectueux des règles parlementaires. Rien à voir avec un groupuscule putschiste.
Jean-Marie Le Pen fut l’homme de son époque, souvent pour le pire. Sa fille Marine a su elle, avec succès, passer de l’extrême droite vociférante à une droite nationale populiste normalisée qui, partout en Europe, a aujourd’hui le vent en poupe.
Le «Non» de 2002
Est-ce à dire qu’au sein du RN, les nostalgiques du FN d’antan ont tous disparu? Non. Homme du passé, et de certains recoins très sombres de l’histoire tricolore, Jean-Marie Le Pen faisait son miel de la peur du communisme, de l’étranger, des immigrés, des juifs, et de l’islam. Et c’est bien pour cela que 82% des électeurs français, en mai 2002, fidèles à la République, votèrent pour Jacques Chirac au second tour de la présidentielle.