Marine Le Pen a sans doute fait ce mercredi 4 décembre le choix le plus risqué de sa carrière politique. L’ancienne candidate aux élections présidentielles de 2012, 2017 et 2022 porte en effet désormais la responsabilité de la chute du gouvernement de Michel Barnier. Un rejet massif par une majorité absolue de 331 députés sur 577.
Pourquoi? Parce que, pour la première fois, la patronne du Rassemblement national (RN) a accepté de mêler les voix de ses élus à celles du Nouveau front populaire (NFP), la coalition composée des socialistes, des communistes, des écologistes et de La France Insoumise (LFI). Le moment est inédit: pour la première fois dans l’histoire récente de la République, la droite nationale populiste a donc fait ponctuellement alliance avec le camp politique qui est son adversaire le plus résolu.
Tournant personnel
Ce pari est un tournant personnel pour la fille de Jean-Marie Le Pen, le fondateur du Front national, aujourd’hui âgé de 96 ans. A 56 ans, Marine Le Pen fait preuve d’un opportunisme qui pourrait en effet lui coûter très cher. Comment expliquer aux milieux économiques, très inquiets du manque de compétences de son parti, que le RN vote avec LFI, le parti de Jean-Luc Mélenchon qui multiplie les postures révolutionnaires, et réclame ouvertement la contestation du pouvoir d’Emmanuel Macron dans la rue?
Justifier la censure
Comment justifier cette censure, alors que Michel Barnier, Premier ministre conservateur issu de la droite, avait dès sa nomination tenté de négocier avec elle, et qu’il avait multiplié les concessions à son égard? Comment, enfin, expliquer à ses électeurs que le Rassemblement national pactise aujourd’hui avec une formation, La France Insoumise, qui défend ouvertement les droits des musulmans et la poursuite d’une politique d’immigration massive? Comment justifier son alliance avec les «chéguevaristes» de carnaval, comme elle a désigné les élus LFI à la tribune de l’Assemblée? Et comment oublier que de nombreux candidats du RN ont été battus in extremis aux législatives par le «front républicain» entre la gauche, la droite traditionnelle et le centre?
Les explications de ce revirement tiennent au calendrier politique et judiciaire. Marine Le Pen est lancée dans une course à une présidentielle anticipée depuis que le procureur a réclamé, dans son procès pour détournements de fonds publics, une peine d’inéligibilité avec exécution immédiate. Ce qui veut dire une condamnation effective possible dès le jugement en première instance du 31 mars. Il lui faut dès lors mettre une pression maximale sur Emmanuel Macron, dans l’espoir que le président de la République démissionne avant la fin de son second mandat, en mai 2027.
Souffle politique
L’autre explication tient à la confiance que Marine le Pen a dans le souffle politique qui porte son mouvement, après l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis. Pour elle, les électeurs français ne tiendront pas grief au RN d’avoir pactisé avec la gauche pour faire tomber le gouvernement, puisqu’il s’agit de récuser un budget selon elle trop peu social. Mieux: la cheffe du Rassemblement national espère tirer profit de son opposition et de son vote de la motion de censure auprès de l’électorat populaire.
En osant renverser Michel Barnier, et en se présentant comme première opposante à Emmanuel Macron, plus crédible que le «révolutionnaire» Mélenchon, Marine Le Pen a pris date. Elle se présente comme la seule alternative pour empêcher une politique d’austérité financière, rendue pourtant inévitable par la dégradation des comptes publics de la France.
Le RN, grand bénéficiaire
Quand Marine Le Pen vote avec Mélenchon (qui n’est plus député, mais dirige en coulisses La France Insoumise et agit comme le leader de la coalition de gauche), il se passe quoi en France? Au vu des circonstances, et de l’impopularité d’Emmanuel Macron, le plus probable est que le RN profitera dans tous les cas de cette séquence.
Quel qu’il soit, le prochain Premier ministre nommé par le président de la République - qui s'exprimera à la télévision jeudi à 20 heures - butera en effet sur le même obstacle: l’absence d’une majorité. Tandis que toute tentative de confier les rênes du gouvernement à la gauche se heurterait probablement à un rapprochement de la droite et de l’extrême-droite à l’Assemblée nationale, dont Marine Le Pen sortira en position de force. Et ce pour une raison simple, démontré par l’ensemble des sondages: la forte probabilité d’une nette victoire du RN dans les urnes, si une nouvelle dissolution est prononcée par le Chef de l’État, dès qu’elle sera à nouveau possible à partir de juillet 2025.