Une première! Le théâtre politique français, toujours riche en rebondissements, devrait ce mercredi soir 4 décembre, offrir un moment inédit. Sauf énorme surprise, le gouvernement de Michel Barnier sera en effet renversé par le vote d’une motion de censure déposée contre lui. Il faut 289 députés sur 577 pour que la censure soit adoptée, soit la majorité absolue. Immédiatement après, le premier ministre devra présenter sa démission à celui qui l’a nommé le 5 septembre: Emmanuel Macron, de retour d’un voyage officiel en Arabie saoudite.
Une première? Oui et non. Un autre gouvernement français est déjà tombé après avoir été censuré par les députés. Cela remonte à la nuit du 4 au 5 octobre 1962. A l’époque, le Général de Gaulle «règne» sur la France, après être revenu au pouvoir en 1958, dans une situation de crise politique aiguë. Or De Gaulle veut que le président de la République soit élu au suffrage universel.
Il a donc demandé à son Premier ministre Georges Pompidou, de défendre ce changement démocratique majeur devant l’Assemblée. Échec. Une majorité absolue de députés choisit alors de déposer, en vertu de l’article 49.2 de la Constitution de 1958, une motion de censure «spontanée». Résultat: le texte est voté et Pompidou démissionne. Mais De Gaulle résiste. Il reconduit son Premier ministre et dissout l’Assemblée le 9 octobre. Pari gagné. Les Gaullistes triomphent aux législatives qui suivent.
Un moment d’histoire
Dingue! Ce que Michel Barnier s’apprête à vivre, à partir de 16h ce mercredi 4 décembre dans l’hémicycle de l’Assemblée, face au pont de la Concorde à Paris, est donc un moment d’histoire. Contrairement à 1962, l’actuel Premier ministre âgé de 73 ans est toutefois directement responsable de ce qui va lui arriver. C’est lui qui a choisi, lundi, d’engager la responsabilité de son gouvernement pour faire adopter sans vote le projet de budget 2025 de la Sécurité sociale.
Michel Barnier a recouru pour cela au fameux article 49.3 de la Constitution, destiné à permettre à l’exécutif de contourner les oppositions. Cette méthode a été utilisée 113 fois depuis 1958. A chaque fois (jusque-là) avec succès pour les gouvernements successifs. Sauf qu’aujourd’hui, tout est différent.
S’ils tiennent parole, les députés de l’opposition du Rassemblement national (droite nationale-populiste) et du Nouveau Front populaire (la coalition de gauche qui englobe les socialistes, les écologistes, les communistes et les élus de La France Insoumise) atteindront, lors du vote des deux motions de censure déposées, le chiffre fatal de 289 députés. Le gouvernement français sera donc renversé. Et Michel Barnier devra démissionner.
Pourquoi cette crise?
Pourquoi et comment en est-on arrivé là? Pour le comprendre, il faut avoir en tête quatre réalités qui ont fait de 2024 une année politique explosive.
Réalité 1: La dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron, décidée le 9 juin au soir de la défaite de son parti aux élections européennes. La surprise a alors été totale. Et le résultat obtenu a confirmé l’éclatement du paysage politique français. Avant cette dissolution, la coalition gouvernementale disposait d’une majorité relative d’environ 250 députés, et les oppositions réunies ne parvenaient pas à atteindre une majorité alternative. Changement radical depuis le second tour du 7 juillet. Aujourd’hui, la coalition pro-Barnier dispose au maximum de 220 sièges et les oppositions réunies peuvent aisément dépasser les 289 sièges. C’est la base du tremblement de terre.
Réalité 2: Le temps joue contre Macron. En France, le président de la République est au cœur du pouvoir. C’est lui qui nomme le Premier ministre et il peut dissoudre l’Assemblée. Le problème, pour le Chef de l’État actuel réélu pour un second mandat en 2022, est qu’il ne peut pas se représenter une troisième fois en 2027. La Constitution lui interdit aussi, après sa dissolution de juin 2024, de re-dissoudre l’Assemblée avant un an. Moralité: Macron est dos au mur. Il n’a plus de moyens de pression sur les députés, y compris ceux de son camp.
Réalité 3: Michel Barnier s’est autofracassé. Ce politicien conservateur, gaulliste et de droite, a cru qu’il pouvait obtenir un pacte de non-agression du Rassemblement national, qui dispose du plus grand nombre de députés à l’Assemblée. Erreur. La présidente du groupe RN, Marine Le Pen, a d’abord négocié, puis elle a fait marche arrière sur le projet de budget 2025. Le fait d'être menacée d'une peine d'inéligibilité de 5 ans avec «exécution immédiate» dans l'affaire de détournements de fonds publics via l'utilisation d'assistants parlementaires européens a accéléré son calendrier. Pourquoi ? Parce que, pense-t-elle, son intérêt politique est de provoquer la crise. En espérant que Macron, coincé, finira par démissionner, ouvrant la voie à une présidentielle anticipée.
Réalité 4: Les deux camps de l’opposition estiment n’avoir rien à gagner à une accalmie politique, même si le risque d’une crise financière plane au-dessus de la France, endettée à hauteur de 113% de son produit intérieur brut. A droite, Marine Le Pen et le RN veulent continuer de «tuer» la droite traditionnelle, qui soutient aujourd’hui Barnier. A gauche, le Nouveau Front populaire tient sa revanche, puisque Emmanuel Macron a refusé de nommer un Premier ministre issu de ses rangs, alors que cette coalition est, de justesse, arrivée en tête aux législatives.
Deux motions de censure
Dans les faits, deux motions de censure ont été déposées après la décision de Michel Barnier d’activer l’article 49.3 sur le budget de la Sécurité sociale : l’une par le RN, et l’autre par la gauche. Elles seront débattues ensemble entre 16h30 et 19 heures, puis mises au vote séparément. La première sera celle de la gauche. Les députés devront voter dans des salons adjacents à l'hémicycle. La fin de l'épisode devrait intervenir vers 20h30.
Un miracle possible pour Michel Barnier ? Cela parait très improbable. Le Rassemblement national a répété ce mercredi être prêt à allier ses voix à celles de LFI, cette formation de la gauche radicale qui diabolise pourtant en permanence Marine Le Pen. La seule issue, pour le premier ministre, serait donc que ce parti recule in extrémis, ou que plusieurs dizaines de députés venus des différentes formations d'opposition s’abstiennent lors du vote (seules les voix «pour» sont décomptées). Au moment d'écrire ces lignes, cela semble impossible.
La répétition du feuilleton de 1962 est, elle, beaucoup plus à l’ordre du jour.