Ces trois chiffres ponctués d’un point sont l’un des métronomes de la vie politique française. Vu de Suisse, ils représentent l’impensable: à savoir la possibilité pour le gouvernement de faire adopter un projet de loi sans vote. Les chiffres en question sont 49.3. C’est l’article de la Constitution qui permet à l’exécutif de passer en force à l’Assemblée nationale, puisque celle-ci a le dernier mot législatif en France. D’ordinaire, ce dispositif d’urgence fonctionne. Mais cette fois, il risque de signer la fin du gouvernement de Michel Barnier. C’est grave, docteur?
Le 49.3, chantage gouvernemental
L’objectif de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution de 1958 est de permettre au gouvernement de faire adopter un texte de loi qu’il juge crucial, en passant par-dessus les oppositions. Il dit ceci: «Le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un texte.
Dans ce cas, ce texte est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est voté dans les conditions prévues à l’alinéa précédent». En clair? Le gouvernement joue à pile ou face. Il lie son sort à un projet de loi. Soit les députés ne réagissent pas, et l’exécutif peut passer à autre chose. Soit ils se cabrent et déposent une motion de censure. Dans les 48 heures, l’Assemblée nationale se prononce alors pour ou contre le maintien du gouvernement en place.
Le 49.3, l’empreinte autoritaire
Vu de Suisse où le Conseil fédéral ne dispose pas d’un instrument législatif pour faire adopter en urgence ses projets de lois, ce 49.3 peut apparaître terriblement autoritaire. Et il l’est! A Berne, sous la Coupole du palais fédéral, le Conseil national et le Conseil des États (dotés des mêmes pouvoirs alors que l’Assemblée nationale prime sur le Sénat en France) peuvent délibérer des mois sur un texte après son passage en commission.
L’exécutif n’a alors pas d’autre choix que d’attendre, d’amender ou de retirer son projet. Il faut redire en plus qu’en Suisse, pays de la démocratie directe, le peuple peut décider de se prononcer sur une loi après son adoption par le Parlement. Rien de tel en France où le 49.3 permet au gouvernement de tordre le bras des chambres parlementaires. Il a été utilisé 113 fois de 1958 à 2024. Le Premier ministre qui a le plus souvent dégainé le 49.3 (23 fois) est le socialiste Michel Rocard, entre 1988 et 1991.
Le 49.3, leçon d’histoire
Il faut replacer cet article de la Constitution dans son contexte. Lorsqu’il revient au pouvoir en mai 1958 en France, le Général de Gaulle débarque dans un régime parlementaire en ruine: celui de la IVe République, dont il détestait le fonctionnement. Depuis 1945 en effet, ce sont les partis politiques qui dominent. Ils font et défont les gouvernements. Tout se passe à l’Assemblée nationale. Or De Gaulle veut un exécutif fort. Il pense que la France a d’abord besoin de stabilité. La nouvelle Constitution intègre donc cet article 49.3 qui permet au gouvernement d’imposer ses vues aux députés.
L’autre instrument prévu, pour «dompter» les parlementaires, est la possibilité pour le président de la République (élu au suffrage universel) de dissoudre l’Assemblée nationale et de renvoyer ses élus devant leurs électeurs. L’utilisation de l’article 49.3, très critiquée sur le plan démocratique, est restreinte à un seul texte par session depuis la révision constitutionnelle de 2008. Sauf en matière budgétaire, où il peut être utilisé plusieurs fois.
Le 49.3, suicidaire sans majorité
L’article 49.3 est bel et bien un instrument de stabilité et d’efficacité, au profit de l’exécutif. Lequel peut avancer malgré les oppositions du Parlement. Mais il est aussi une autoroute pour le suicide politique si une majorité négative existe à l’Assemblée nationale. Celle-ci peut alors présenter une ou plusieurs motions de censure dans les 24 heures. Si l’une de ces motions est adoptée par la majorité absolue des députés, soit 289 sièges sur 577, le gouvernement est immédiatement démissionnaire.
Cela ne s’est pour l’heure passé qu’une fois: le 5 octobre 1962. Le Premier ministre Georges Pompidou avait alors fait l’objet d’une motion de défiance – prévue par l’article 49 alinéa 2 – afin de contester l’élection du président de la République au suffrage universel. La gauche, hostile à ce changement, avait rallié des députés de droite tout aussi opposés. De Gaulle avait riposté en reconduisant Georges Pompidou à son poste, puis en prononçant le 9 octobre la dissolution de l’Assemblée. Et tous deux avaient gagné les élections législatives. Un scénario impossible aujourd’hui car Emmanuel Macron, qui a déjà dissous l’Assemblée le 9 juin, ne peut pas le refaire avant juillet 2025.
Le 49.3, cercueil de Barnier?
On saura, ce mercredi 4 décembre vers 18 heures, si Michel Barnier survit à l’examen des deux motions de censure présentées par l’opposition: celle du Rassemblement national, et celle du Nouveau Front Populaire (la coalition des socialistes, des communistes, des écologistes et de la France Insoumise) qui sera débattue en premier. Le calcul est simplissime: si tous les députés de ces formations additionnent leurs voix, ils dépasseront le chiffre requis de 289 et Barnier sera «out».
Si, en revanche, des tractations de dernière minute entre le gouvernement et certains groupes desserrent cet étau, le gouvernement Barnier pourrait survivre à quelques voix près. Fait important: le vote des députés est public et seuls sont comptabilisés les «Pour». S’abstenir revient donc à voter en faveur du gouvernement. Le cercueil politique n’est pas encore refermé sur Michel Barnier, 73 ans. Mais le couvercle est prêt à l’emploi.