Marine Le Pen affirme avoir «pris sa décision». C’est donc fait, acté, tranché. Si l’on en croit Jordan Bardella, le président du Rassemblement national (RN), le premier parti de France est prêt, dès ce lundi, à précipiter la France dans une crise politique majeure. Comment? En associant les voix de ses 121 députés à celles de la gauche unie, pour voter la motion de censure que la France Insoumise (gauche radicale) a promis de déposer puisque le Premier ministre a fait adopter le projet de budget de la Sécurité sociale sans recourir au vote, comme le lui permet la Constitution et son article 49.3. «D’où que viennent ces motions de censure, s’il y en a une ou plusieurs, nous voterons ces motions de censure, et en premier lieu, la nôtre », a affirmé lundi la cheffe de file du groupe RN à l’Assemblée nationale. Le dépôt des motions de censure doit intervenir dans les 24 heures et leur vote dans les 48 heures.
Barnier et le budget
En évitant la censure, Marine Le Pen pouvait arguer de sa crédibilité et de sa volonté de ne pas jouer la politique du pire. Une politique destinée avant tout, en matière économique et financière, à lui attirer les sympathies des milieux d’affaires, jusque-là réticents à voir le RN s’approcher du pouvoir.
A l’inverse, faire chuter le gouvernement français revient à miser sur le chaos. Avec comme principal objectif de mettre la pression maximale sur Emmanuel Macron, ce chef de l’État que ses adversaires principaux rêvent de voir démissionner avant la fin de son second et dernier mandat, en mai 2027.
Le pari du chaos, pour Marine Le Pen, n’est pas sans fondement. L’intéressée a bien compris que la survie aux commandes du pays du conservateur Michel Barnier, très à droite sur les questions de justice, de lutte contre la criminalité et d’immigration, pourrait à terme lui ravir une partie de son électorat. Autre risque, imposé par le calendrier judiciaire: celui de se retrouver condamnée à une peine d’inéligibilité le 31 mars, lorsque le tribunal correctionnel de Paris prononcera son jugement dans l’affaire de détournement de fonds publics par son parti, accusé d’avoir frauduleusement employé des assistants parlementaires européens à des fins domestiques.
La procureure a demandé, à la stupéfaction générale, une peine d’application immédiate, qui ne serait pas suspendue par l’appel que Marine Le Pen va bien sûr interjeter. Le risque est dès lors grand de se voir, pour cinq ans, éliminée de la vie politique. Autant pousser le camp présidentiel dans ses retranchements d’ici là, histoire aussi d’impressionner les juges.
Le chaos, arme dangereuse
Le problème, pour le RN, est que ce parti national-populiste n’a pas grand-chose à gagner dans ce chaos. Pour l’heure, sa force est au contraire d’apparaître comme une formation devenue sérieuse, respectueuse des institutions, et pragmatique devant les réalités financières. A l’inverse, la France Insoumise (LFI) toujours dirigée par Jean-Luc Mélenchon s’est installée dans un rôle de parti quasi-révolutionnaire, prêt à tout renverser.
Associer les députés du RN à ceux de LFI présente donc un sacré risque: celui d’être aussitôt dénoncé par Emmanuel Macron comme un front du refus aux revendications sociales irrationnelles, obsédé par la seule quête du pouvoir, alors que le pays est confronté à une dette publique de plus de 3000 milliards, soit 113% de son produit intérieur brut. Dette, il est vrai, considérablement accrue sous la présidence… Macron.
Le pari de Marine Le Pen, en décidant de faire tomber le gouvernement du tenace septuagénaire Michel Barnier, sera donc de faire comprendre aux Français qu’elle les défend en provoquant une crise institutionnelle majeure dont elle ne peut pas pronostiquer l’issue. Le président de la République peut, en effet, soit renommer Michel Barnier (au risque d’une nouvelle motion de censure), soit opter pour un gouvernement «technique» qui reconduira le budget 2024, comme le prévoit la constitution. Le Parlement sera alors réduit au silence.
Le gouvernement gérera les affaires courantes. Marine Le Pen et les siens, dont le très ambitieux Jordan Bardella, perdront l’initiative et la maîtrise du calendrier.
Macron, démission?
Et la démission de Macron? C’est évidemment le problème. En France, tout le monde y pense, non sans raison vu la situation difficilement tenable, sans majorité parlementaire, issue de la dissolution de l’Assemblée nationale le 10 juin par le chef de l’État.
Sauf que rien ne peut pousser celui-ci à quitter ses fonctions avant la fin de son second mandat. Et que le geste démocratique de la dissolution peut difficilement lui être reproché: ce sont les électeurs français, et non le palais présidentiel, qui portent la responsabilité de la situation actuelle.
Marine Le Pen et le chaos: l’arme peut être fatale. Pour Michel Barnier sûrement. Mais pour le RN aux portes du pouvoir aussi…