Impasse budgétaire
Pourquoi Michel Barnier est le dos au mur (et la France encore plus)

Le premier ministre français pourrait être renversé par une motion de censure à l'Assemblée Nationale dès la semaine prochaine. Une hypothèse qui exposerait la France à une crise déjà anticipée par les marchés financiers.
Publié: 20:00 heures
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Dernière mise à jour: il y a 3 minutes
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Le premier ministre français sait, depuis sa nomination, qu'il court le risque d'une motion de censure. Elle pourrait être déclenchée dès début décembre.
Photo: AFP
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Richard WerlyJournaliste Blick

Michel Barnier, 73 ans, finira-t-il par rater le virage du slalom politique qu’il mène depuis sa nomination au poste de premier ministre, le 5 septembre 2024? Pour ce politicien expérimenté, toujours prompt à se définir comme un savoyard et un montagnard, la descente politique actuelle est en tout cas sacrément verglacée. Avec risque de dérapages à tous les instants, sur fond d’impasse budgétaire et de défiance à tous les étages envers Emmanuel Macron depuis la décision de ce dernier de dissoudre l’Assemblée nationale, le 10 juin dernier, au soir de la défaite de son parti aux élections européennes.

Barnier poussé à démissionner par une motion de censure votée à l’Assemblée nationale ? A Paris, tout le monde en parle comme un scénario possible. Mais le problème que rencontre ce chef du gouvernement conservateur, ancien Commissaire européen et ancien négociateur en chef du Brexit pour le compte des 27 pays membres de l’UE, est bien plus grave. Car c’est en fait la France qui est le dos au mur. Résumé en cinq points.

Michel Barnier est un bouc émissaire

Ce n’est pas Michel Barnier qui sera censuré, si les oppositions à son gouvernement décident de voter ensemble la défiance dès le début décembre. Au-delà de la personne du premier ministre nommé le 5 septembre, c'est l’incapacité d’Emmanuel Macron à achever son second mandat présidentiel dans de bonnes conditions qui sera en toile de fond. Barnier a accepté de prendre la tête du gouvernement dans un contexte à la fois inédit et délétère engendré par la dissolution de l’Assemblée nationale le 10 juin. Il savait sa majorité relative très friable. L’alliance de facto entre la droite traditionnelle, dont il est issu, et le centre pro-Macron, ne peut pas dépasser les 250 sièges sur les 577. Alors qu’à l’inverse, une coalition improbable de la droite nationale populiste (le Rassemblement national, fort de 124 députés) et des forces de gauche (France Insoumise, socialistes, communistes et écologistes) atteindrait 316 sièges. Forcer Barnier à démissionner, c’est en fait forcer Emmanuel Macron à convoquer de nouvelles élections législatives dès que la constitution le lui permet, c’est-à-dire après le 10 juin 2025.

Michel Barnier a raison sur le budget 2025

La gauche, en particulier, reproche à Michel Barnier de défendre un budget 2025 placé sous le signe de l’austérité et de la rigueur. C’est pour cela que la France Insoumise (gauche radicale) promet une motion de censure si le premier ministre cherche à passer en force, en faisant adopter son projet de loi de finances sans vote, grâce à l’article 49.3 de la Constitution. La réalité? Michel Barnier a raison sur le fond. Les chiffres ne mentent pas. Les soixante milliards d’euros d’économies budgétaires prévues dans le projet actuel sont nécessaires. Le déficit public français atteindra fin 2024 154,8 milliards d’euros soit 5,5% du produit intérieur brut (PIB), après 4,7% en 2022 et 6,6% en 2021. Plus grave: il devrait atteindre 6,1% en 2025. La dette publique de la France continue, elle aussi, d’augmenter: elle atteindra 103,5% du PIB fin décembre, un record. Renverser le gouvernement Barnier ne changera rien à ces faits. Le pays est le dos au mur en termes de finances publiques.

Michel Barnier a peur des marchés financiers

Le premier ministre l’a dit clair et net sur TF1 ce mardi 26 novembre: la France risque d’affronter une «tempête financière» si le parlement refuse d’adopter son projet de budget pour 2025. Dans les faits, et pour être précis, c’est l’Assemblée nationale qui portera la responsabilité politique de ce refus car le Sénat (dominé par la droite, mais il n’a pas de dernier mot) est, lui, prêt à l’adopter après amendements. La référence qui fait le plus mal est celle faite par Michel Barnier à la Grèce. La France serait donc acculée comme l’a été la République Hellénique durant la crise de sa dette de 2010-2015? Là, c’est exagéré. La capacité de remboursement de la France reste très forte. Sa note financière a été ramenée par l’agence Standard & Poors à AA- le 31 mai, alors que celle de la Grèce était tombée à BBB- en 2015 malgré le plan de sauvetage de l’Union européenne. Reste un autre chiffre, très inquiétant: l’écart des taux d’intérêt, ou «spread», entre la France et l’Allemagne, est à son plus haut niveau depuis la crise de l’euro en clôture. Celui des obligations françaises à dix ans a grimpé mardi à 3,03%, contre un rendement de 2,19% pour le Bund allemand.

Michel Barnier cache une crise institutionnelle

Selon la Constitution française, le toboggan d’une motion de censure serait fatal à Michel Barnier. Si une majorité absolue de députés (289 sur 577) décident de voter la défiance en riposte à une adoption du budget par l’article 49.3, le Savoyard sera immédiatement démis de ses fonctions, ainsi que son gouvernement. Il pourra, en théorie, être renommé par Emmanuel Macron au poste de premier ministre. Mais cela veut dire qu’il s’exposera, alors, à une seconde motion de censure, et que le chaos politique sera total. Que restera-t-il donc au président de la République comme solution? La possible nomination d’un gouvernement de techniciens dont l’unique but sera de faire adopter le budget. Mais là aussi, le pays sera le dos au mur car l’équation budgétaire impossible demeurera en place. Barnier aime à répéter qu’il est un montagnard attaché à la solidité de sa «cordée». S’il est renversé, cette cordée sera coupée et sans attaches. Au risque de se fracasser sur la montagne ou de dévisser.

Michel Barnier est dans l’impasse (comme la France)

Il faut le reconnaître: les chances de survie politique de Michel Barnier sont très minces. Elles tiennent, en fait, dans les mains de trois formations politiques: la coalition centriste Ensemble, héritier du parti «Renaissance» d’Emmanuel Macron, le Rassemblement national de Marine Le Pen et le parti socialiste. On résume. Les centristes ont, depuis la nomination de Barnier au poste de premier ministre, joué une partition funeste. Ils cherchent en effet, par tous les moyens, à se distancer de ce choix présidentiel alors que leur camp politique a perdu les dernières législatives! Vont-ils persister?

Le Rassemblement national, de son côté, est face à un dilemme: va-t-il renverser ce gouvernement de droite, très ferme sur l’immigration, en votant avec la gauche radicale? Ce serait une aberration, mais Marine Le Pen peut espérer précipiter ainsi la chute de celui qui l’a battu deux fois: Emmanuel Macron. Et plus vite la présidentielle aura lieu, plus vite elle pourra se présenter en évitant une possible peine d’inéligibilité dans l’affaire – actuellement jugée – des détournements de fonds publics via l’utilisation par son parti d’assistants parlementaires européens. Viennent enfin les socialistes, avec en leur sein l’ancien président François Hollande. Sont-ils prêts à provoquer une crise majeure, qui nuira à leur crédibilité gouvernementale?

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