Un tribunal peut-il décider de priver les électeurs d’un choix démocratique? Poser ainsi la question, c’est oublier un peu vite que le respect de la loi et du droit est une condition sine qua non d’une démocratie digne de ce nom. Le refrain commence pourtant à poindre chez les sympathisants de Marine Le Pen et du Rassemblement national, après le réquisitoire terrible de l’accusation, mercredi 13 novembre, dans le procès en cours pour l’affaire des emplois fictifs au Parlement européen. La défense a la parole à partir de ce jeudi.
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Marine Le Pen n’est pas la seule accusée. Une vingtaine d’autres cadres et élus du RN sont à côté d’elles sur le banc des prévenus, dans la salle Victor Hugo, au Tribunal correctionnel de Paris. Depuis le 30 septembre, ce procès tente de mettre au jour les pratiques du Rassemblement national entre 2004 et 2013.
Le premier parti politique de France, alors Front national présidé jusqu’en 2011 par Jean-Marie Le Pen, est accusé d’avoir durant cette période, d'avoir employé des assistants parlementaires européens à Paris, sur des dossiers nationaux sans rapport avec leur mission rémunérée par le Parlement de Strasbourg. Celui-ci réclame d’ailleurs quatre millions d’euros au RN. La raison? «Un système centralisé destiné à faire prendre en charge par l’institution les salaires de cadres du parti», selon les avocats des parties civiles.
Un pas supplémentaire
Un pas supplémentaire a toutefois été franchi ce mercredi 13 novembre, une journée particulièrement chargée d’émotion en France puisque marquée dans le sang par les attentats du 13 novembre 2015 contre le Bataclan et plusieurs cafés parisiens. La parole était à l’accusation. Et celle-ci a été impitoyable. A l’issue de plus de huit heures de réquisitions, les peines demandées apparaissent incroyablement lourdes.
En plus de cinq années de prison (dont deux fermes, aménageables) Marine Le Pen se voit infliger par les procureurs une peine d’inéligibilité de cinq ans avec exécution provisoire, plus 300'000 euros d’amende. La même inéligibilité a été requise contre tous les députés RN impliqués. Si le tribunal confirme cette sentence, l’ex-candidate aux élections présidentielle de 2012, 2017 et 2022 ne pourrait donc pas se représenter en 2027. Alors que les sondages la donnent largement en tête de ce scrutin pour lequel Emmanuel Macron ne pourra pas se représenter, Constitution oblige.
Responsabilité de Marine Le Pen
La raison invoquée par l’accusation, pour justifier cette sévérité envers Marine Le Pen, est la responsabilité de celle-ci: la patronne du RN était, selon la procureure, «la grande ordonnatrice d’un système organisé tout entier destiné à servir, au-delà du parti, l’intérêt et les aspirations politiques de ses propres dirigeants». C’est même à son arrivée à la tête du parti, en 2011, que le système se serait renforcé et aurait pris «une nouvelle dimension».
La réponse de l’intéressée a été immédiate. Toute l’après-midi, Marine Le Pen avait fait le va-et-vient entre la salle d’audience et les couloirs, alors que son père Jean-Marie, 96 ans, a de nouveau été hospitalisé. «La volonté du parquet était de me priver et surtout de priver les Français de la capacité de voter pour qui ils souhaitent. La seule qui l’intéresse, c’est Marine Le Pen», a-t-elle réagi.
L’argument du RN fait mouche
Or, force est de constater que cet argument fait mouche. La demande d’une exécution immédiate de la peine vise en effet à empêcher sa suspension en cas d’appel, ce qui aura immanquablement lieu. L’accusation a par ailleurs requis 18 mois de prison dont six mois ferme avec trois ans d’inéligibilité contre le numéro deux du parti à l’époque, Louis Aliot. Pas moins de 10 mois avec sursis et un an d’inéligibilité contre le porte-parole du RN Julien Odoul. Et 18 mois avec sursis et deux ans d’inéligibilité pour la sœur de Marine Le Pen, Yann Le Pen. Le RN, si le tribunal suit le procureur, écopera d’une amende de 4,3 millions, dont 2,3 millions avec sursis, plus la confiscation des biens saisis pendant l’enquête.
La réalité politique impose pourtant des nuances que la défense s’efforcera sans doute de montrer. Ces assistants parlementaires européens ont en effet été utilisés à d’autres tâches, mais ils ont bel et bien travaillé. Et leur employeur était bien le premier parti du pays, membre de l’Union européenne.
Le contexte international est aussi inflammable. Condamner Marine Le Pen en pleine vague nationale populiste en Europe, au lendemain de l’élection de Donald Trump, serait immanquablement interprété comme une tentative pour la faire taire et l’empêcher d’accéder à l’Élysée.
Un autre Parlement européen
Plus grave: les plaintes du Parlement européen remontent à une époque où celui-ci n’avait pas la composition politique d’aujourd’hui. Depuis le scrutin européen de juin 2024, les partis nationalistes et d’extrême-droite y sont beaucoup mieux représentés. Ne faudrait-il pas, dès lors, reposer la question des poursuites dans l’enceinte de l’hémicycle à Strasbourg et à Bruxelles?
Souvent mal compris, mal accepté, le Parlement européen court en plus le risque, avec ce procès, d’apparaître comme un obstacle à l’alternance démocratique en France. Même si, à sa décharge, un autre procès a déjà eu lieu pour les mêmes raisons: celui du parti du MoDem de François Bayrou.
A la fin 2023, la justice a tranché. Huit prévenus et le parti centriste ont été condamnés pour détournement de fonds publics. François Bayrou avait été innocenté au «bénéfice du doute». Mais le parquet a fait appel de sa relaxe. Quant à la fin du procès de Marine Le Pen et du RN, il est prévu le 27 novembre.