Le symbole est au rendez-vous. En décidant de se rendre à Kiev dès le premier jour de leur mandat, ce dimanche 1er décembre, Antonio Costa et Kaja Kallas ont voulu démontrer le soutien sans faille de l’Union européenne à l’Ukraine en lutte pour sa survie. Soit. Mais que peuvent aujourd’hui garantir le nouveau président du Conseil européen et la nouvelle Haute représentante de l’Union pour les Affaires étrangères? Sont-ils, l’un comme l’autre, décideurs en matière d’aide civile et militaire? Non. Disposent-ils, l’un et l’autre, de l’assurance d’une forte majorité d’États-membres au sein des 27, alors que Donald Trump reviendra au pouvoir le 20 janvier aux États-Unis? Là aussi, la réponse est négative.
Le pire agissement de l’Union européenne est de gesticuler. De faire croire à l’opinion qu’un déplacement symbolique à Kiev a valeur de promesse. Et de laisser penser aux dirigeants ukrainiens que le soutien «quoiqu’il en coûte» apporté à leur cause face à la Russie de Vladimir Poutine ne sera pas remis en cause. Or nous sommes bien, avec cette visite, dans ce cas de figure. L’ancien premier ministre portugais Antonio Costa et l’ex cheffe du gouvernement estonien Kaja Kallas ont, avant tout, mené dans la capitale ukrainienne une opération de communication. Ce, à un moment où l’étreinte diplomatico-militaire se resserre, et où personne ne peut dire avec certitude quel sera le plan mis sur la table par l’émissaire nommé par Trump: l’ancien général américain Keith Kellogg.
Les chefs espions inquiets
Bien plus importante que cette visite médiatique est la déclaration conjointe, ces jours-ci, des chefs des services de renseignement français et britannique. Les maîtres espions du MI6 et de la DGSE, cités par le «Financial Times», répètent que Vladimir Poutine interprétera comme une carte blanche toute solution qui transformerait l’Ukraine en État vassal de la Russie. Pour le britannique Richard Moore, «le coût d’un abandon de l’Ukraine sera infiniment supérieur à celui de la poursuite de notre soutien. La Chine, la Corée du Nord et l’Iran en tireront aussitôt la conclusion que la force paie». Le patron du MI6 s’exprimait lors d’un colloque consacré aux 120 ans de «l’Entente cordiale» entre la France et le Royaume-Uni. Nicolas Lerner, chef de la DGSE, l’a approuvé. En ajoutant que le sol géopolitique menace de se dérober sous nos pieds: «Jamais le monde n’a été aussi dangereux depuis la fin de la guerre froide».
L’important, dans un tel contexte, est donc de cesser les initiatives quasi-publicitaires, avec force voyages à Kiev. Volodymyr Zelensky vient d’ailleurs de le redire à sa manière en insistant sur le fait que seul le placement de son pays «sous l’égide de l’Otan» pourrait permettre de s’engager sur la récupération des territoires perdus par la «voie diplomatique». Or l’Union européenne n’est pas l’Otan, même si les deux organisations ont leur QG à Bruxelles. Et aucun plan crédible, pour l’heure, n’a encore émané des 27 pays membres de l’UE qui se retrouveront les 18 et 19 décembre dans la capitale belge pour leur dernier sommet de l’année. D’autant que le pro-russe Viktor Orbán attend impatiemment l’arrivée à la Maison Blanche de son ami Donald…
Antonio Costa et Kaja Kallas n’ont qu’une urgence: déterminer dans quelle mesure les 27 peuvent, sur le dossier Ukrainien, tenir une position différente de celle des États-Unis version Trump. Ils doivent pour cela aligner au plus vite les propositions, les mesures militaires, et les budgets qui pourront être alloués. Le langage qu’ils doivent tenir à Kiev n’est donc pas celui de l’assurance tous risques, mais celui de la lucidité et de la prudence.
Négociation imposée
Après bientôt trois années de guerre épuisantes, l’Ukraine n’a plus besoin de promesses et de coups de projecteurs. Il lui faut savoir si ses alliés européens seront capables, lorsque la question se posera, de rester fermement à ses côtés au cas où les États-Unis lui imposeraient une négociation dont les termes seraient trop favorables à la Russie.