Un barrage impénétrable contre la migration irrégulière pour les uns, un «piège» parfois mortel pour les réfugiés fuyant les guerres pour les autres, la clôture installée à la frontière polono-bélarusse, en pleine modernisation, divise le gouvernement de Varsovie et les organisations humanitaires.
Installées environ tous les 200 mètres le long d'une clôture en métal entre la Pologne et le Bélarus, de nouvelles caméras sont capables de repérer les migrants avant même qu'ils ne tentent de franchir la frontière orientale de l'UE.
La barrière de plus de cinq mètres de hauteur est aussi renforcée avec des barres en métal et un deuxième niveau de barbelés en lame de rasoir. A son pied, des soldats, cagoulés et mitraillette en bandoulière.
La modernisation de la clôture, construite en 2022, qui doit s'achever d'ici la fin de l'année, porte déjà ses fruits, selon les garde-frontières.
Là où elle a été renforcée, «les franchissements ont fortement diminué», déclare Michal Bura, porte-parole adjoint des garde-frontières de Podlasie, à bord de son 4x4, le long de la clôture.
«Ici, la migration est artificielle», ajoute-t-il. «Les services bélarusses apportent l'aide aux migrants, les transportent d'un endroit à l'autre, les équipent en outils nécessaires pour franchir cette barrière, comme des pinces, des scies à métaux ou des échelles».
Depuis 2021, la Pologne enregistre un afflux de milliers de migrants et de réfugiés, principalement originaires du Moyen-Orient et d'Afrique qui tentent d'entrer en Pologne via le Bélarus, une opération attribuée au régime de Minsk dans le but de déstabiliser la région et l'UE.
Un Bouclier oriental
Craignant la Russie, la Pologne, fidèle alliée de l'Ukraine, a également annoncé la construction à coût de milliards de zlotys d'un «Bouclier oriental», système de fortifications militaires à la frontière et qui va la rendre encore plus difficile à franchir pour les migrants.
Si avec l'arrivée de l'hiver, le nombre de migrants baisse, il a augmenté par rapport à l'an dernier, selon les gardes-frontières. Cette année, ils étaient déjà 28'500 à la mi-novembre, contre 26'000 l'an dernier.
En plein milieu de la forêt de Bialowieza, la plus grande forêt primitive de l'Europe, Aleksandra Chrzanowska range dans des sacs en plastique ce qui reste d'un ancien campement de fortune des migrants - une couverture de secours déchirée, des médicaments, des chaussures enfuies sous les feuilles mouillées par la première neige.
«La frontière est à une vingtaine de kilomètres de là», dit-elle, en désignant d'une main l'est et la forêt épaisse. «Les migrants mettent entre plusieurs heures et une semaine pour arriver ici. Tout dépend de leur condition physique, s'il y a des enfants avec eux, et quel temps il fait», dit ce membre du Groupe Frontière, une ONG qui vient en aide aux migrants en détresse.
Les bénévoles de cette ONG leur apportent de l'eau, de la nourriture, des vêtements secs, des médicaments. En cas d'urgence, ils administrent les premiers soins, les aident à remplir leurs demandes d'asile ou servent de traducteur lors des contacts avec les autorités.
«A long terme, cette clôture, ces installations électroniques ne changent rien», déclare Mme Chrzanowska qui déplore l'absence d'une véritable politique migratoire définie par le gouvernement.
Migrants victimes de violences
Selon les organisations humanitaires, de plus en plus de migrants à la frontière sont victimes des violences de la part des forces de l'ordre. D'autres se blessent en sautant du haut de la clôture.
«La moitié des patients que nous traitons ont des blessures physiques et des traumatismes mentaux résultant de la traversée de la frontière», déclare à l'AFP Uriel Mazzoli, responsable de mission en Pologne de l'ONG Médecins sans frontières (MSF).
Les gardes-frontières rejettent les accusations, indiquant répondre uniquement à des violences de la part des migrants. Selon Varsovie, au moins 63 soldats ont été blessés depuis le début de l'année lors d'interpellations à la frontière.
Un soldat polonais a été tué en juin, poignardé par un inconnu à travers la barrière. De leur côté, les ONG indiquent qu'au moins 88 personnes sont mortes à la frontière entre la Pologne et le Bélarus depuis le début de la vague de migration.
A la mi-octobre, le Premier ministre polonais Donald Tusk a également annoncé qu'il voulait suspendre partiellement le droit d'asile. Pour Mme Chrzanowska, il s'agirait «d'une violation absolue des droits fondamentaux, le droit de rechercher une protection internationale».
Selon le responsable de MSF, l'infrastructure installée par la Pologne à sa frontière orientale bloque les gens dans une sorte de no man's land, «un piège dans lequel les gens sont constamment repoussés sans possibilité d'en sortir, des deux côtés».