Gouvernement bientôt renversé
Comment Le Pen, Mélenchon et Macron ont (presque) tué le savoyard Barnier

Le premier ministre français, originaire de Savoie, pensait tenir face à ses adversaires à force de détermination alpine. Erreur. Sauf énorme surprise, il aura perdu dans les prochains jours la partie politique entamée le 5 septembre.
Publié: 21:05 heures
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Le premier ministre français Michel Barnier affrontera le vote d'une motion de censure en milieu de semaine
Photo: keystone-sda.ch
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Richard WerlyJournaliste Blick

Michel Barnier a subitement dévissé de la montagne politique qu’il espérait escalader. Le premier ministre français de 73 ans, toujours prompt à mentionner ses origines alpines et savoyardes, n’a plus devant lui qu’une profonde crevasse. Avec, d’ici mercredi ou jeudi, une avalanche parlementaire nommée motion de censure prête à l’engloutir. Comment en est-on arrivé là, moins de trois mois seulement après sa nomination par Emmanuel Macron le 5 septembre? Retour sur une exécution ordinaire menée par Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, et par le président de la République lui-même.

Motion de censure, ça veut dire quoi?

Dans le vocabulaire parlementaire français, la motion de censure est l’équivalent du renvoi immédiat du premier ministre et de son gouvernement. Déposée par l’un des groupes représenté à l’Assemblée nationale, elle doit être signée par un dixième des députés, soit au moins 58 sur les 577 que compte l’Assemblée nationale. Plusieurs motions de censure peuvent être déposées et soumises au vote le même jour, ce qui sera sans doute le cas cette semaine. Il faut ensuite une majorité absolue de députés, soit 289, pour l’adopter, au plus tôt 48 heures après son dépot. Si la censure est votée, le Chef du Gouvernement est alors aussitôt contraint de présenter sa démission au président de la République. Il peut être renommé par le Chef de l’État. Mais dans le cas de Michel Barnier, incapable de trouver une majorité à l’Assemblée, cela parait peu probable.

Barnier renvoyé, la faute à qui?

D’abord la faute à lui-même. L’actuel premier ministre français était persuadé que sa ténacité – il avait tenu bon lors des négociations du Brexit face aux Britanniques – l’emporterait, et que sa personnalité d’homme de droite à la fois centriste et conservateur ferait de lui un point de ralliement. Erreur. Michel Barnier, 73 ans, a sans doute commis un péché d’orgueil. Il a oublié que le paysage politique issu de la dissolution de l’Assemblée nationale, le 10 juin, était un champ de mines, et qu’il exploserait à la première difficulté. Sans surprise, celle-ci est venue du projet de budget 2025, rendu très compliqué par l’endettement de la France et les dérives de ses dépenses publiques. De ce point de vue, le premier à l’avoir poignardé est celui qui l’a nommé: Emmanuel Macron, premier responsable de la dette et du déficit records accumulés depuis 2017. Parmi les autres choix possibles, Macron aurait pu opter pour un chef de gouvernement issu de la gauche. Celle-ci avait d'ailleurs présenté une candidate: Lucie Castets, ancienne responsable des finances de la mairie de Paris. 

Le Pen en embuscade, surprenant?

Marine Le Pen joue cette semaine l’une des parties de dominos politiques les plus difficiles de sa carrière. Sauf énorme surprise, puisqu’elle s’y est engagée, la cheffe du groupe de députés du Rassemblement national va voter la motion de censure à ses 121 élus, aux côtés de la gauche et notamment de LFI (gauche radicale). Son argument est de dire que Michel Barnier ne conduit pas la politique réclamée par les Français, et qu’Emmanuel Macron a perdu sa légitimité présidentielle. Logique: l’intéressée veut une élection présidentielle au plus vite, car elle est aujourd’hui capable de l’emporter. Point faible de sa stratégie: plus elle précipite le pays dans le chaos institutionnel, plus elle se met à dos les milieux d’affaires dont elle tant besoin pour conforter sa crédibilité, souvent mise en cause.

Macron accusé, normal?

Oui. Emmanuel Macron est le grand responsable de cette séquence politique en forme d’impasse. C’est lui, presque seul, qui a décidé de dissoudre l’Assemblée nationale à la suite de la défaite de son parti aux élections européennes, le dimanche 9 juin. Et c’est lui qui a choisi Michel Barnier, homme de droite, pour diriger le gouvernement alors que la coalition de gauche était sortie en tête des urnes à l’issue des législatives des 30 juin et 7 juillet, sans toutefois parvenir à une majorité de sièges. Macron se retrouve donc logiquement en ligne de mire, d’autant que ses gouvernements successifs ont été bien trop dépensiers. Il est aussi très critiqué parce qu’il répète sans cesse qu’il ne démissionnera pas jusqu’à l’expiration de son second mandat, en mai 2027. Alors que cette crise diminue chaque jour un peu plus sa capacité à présider le pays et à fixer un cap.

Mélenchon, l'autre vainqueur?

Le leader de la gauche radicale regarde ce naufrage politique avec délectation. Jean-Luc Mélenchon, 73 ans (comme Barnier) n’est plus député. Mais il garde en lui un désir ultime: se représenter à l’élection présidentielle, et laver l’affront qu’a constitué pour lui son élimination de justesse au premier tour en avril 2022. Très critiqué par les socialistes et les écologistes, alliés de son parti La France Insoumise (LFI), Mélenchon veut une crise de régime et une nouvelle constitution, pour aboutir à une VIe République. Il est donc cohérent lorsqu’il réclame lui aussi la démission de Macron. Il était aussi cohérent lorsqu’il exigeait, après le second tour des législatives, un gouvernement de gauche, conformément au résultat des urnes. Et ce, même si la coalition surnommée «Nouveau Front Populaire» est loin d’avoir une majorité absolue de députés.

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