Moins de six mois après le coup de massue de la dissolution, l'Assemblée nationale s'apprête à censurer le gouvernement de Michel Barnier. Ce geste, inédit depuis 1962, plongerait le pays dans une grande incertitude politique et budgétaire.
L'Assemblée examinera à partir de 16H00 les motions de censure déposées par le Nouveau Front populaire quasi au complet et l'alliance entre le Rassemblement national et les ciottistes, pour faire chuter le Premier ministre, nommé le 5 septembre. Celle de la gauche a toutes les chances d'être adoptée, le RN ayant promis de la voter, sans doute aux alentours de 20H00.
Ces deux motions ont été déposées lundi dans la foulée du déclenchement par le Premier ministre de l'article 49.3 de la Constitution, pour faire adopter sans vote le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. La gauche reproche au gouvernement de poursuivre une politique «sanctionnée dans les urnes», et l'extrême droite de porter un projet de budget «dangereux, injuste et punitif».
Macron « ne croit pas » au vote de la censure
Mardi, les responsables de l'exécutif et de la coalition gouvernementale ont voulu écarter l'inéluctabilité de ce scénario. Ils ont ainsi appelé à la «responsabilité» des députés.
Depuis Ryad, Emmanuel Macron a dit ne «pas croire au vote de la censure», pointant un «cynisme insoutenable» du RN s'il joignait ses voix à celles du NFP qui vilipende les lepénistes dans sa motion, et du côté du PS une «perte de repères complète» pour ce «parti de gouvernement». Michel Barnier a lui souligné sur TF1 et France 2, que chaque député avait «une part de responsabilité», espérant que prévale «l'intérêt supérieur du pays».
Si Emmanuel Macron a appelé à «ne pas faire peur aux gens» en évoquant un risque de crise financière, Michel Barnier a lui dramatisé l'enjeu. Il a ainsi répété que la censure rendrait «tout plus difficile et plus grave», alors que les signaux sont déjà selon lui au rouge sur les plans budgétaire, financier, économique et social.
Marine Le Pen dans la «surenchère», déplore Barnier
Attendu à 6,1% du PIB en 2024, bien plus que les 4,4% prévus à l'automne 2023, le déficit public raterait son objectif de 5% en l'absence de budget. L'incertitude politique pèserait en outre sur le coût de la dette et la croissance.
Après avoir cédé à Marine Le Pen sur le déremboursement des médicaments, Michel Barnier s'est refusé à toute nouvelle concession. Le Premier ministre a ainsi déploré le fait que la cheffe de file du RN soit entrée «dans une sorte de surenchère».
Celle-ci a rapidement répliqué: «le Premier ministre ne pouvait qu'échouer» en «inscrivant son budget dans la continuité catastrophique d'Emmanuel Macron». Le député Arthur Delaporte (PS) a accusé les deux têtes de l'exécutif de souffrir d'une «déconnexion totale» avec «le pays qui veut la censure».
Les stratèges préparent l'après
Et, si personne dans la majorité n'évoque en public l'après Barnier, les stratèges s'activent déjà en coulisses. Le président d'un groupe parlementaire propose ainsi de nouer un accord de «non censure» avec le PS pour échapper à la tutelle du RN.
Dans le même temps, les noms du président du MoDem François Bayrou, du ministre des Armées Sébastien Lecornu (Renaissance) ou du président de la région Hauts-de-France Xavier Bertrand (LR) sont à nouveau évoqués pour entrer à Matignon. Michel Barnier a pour sa part écarté la possibilité d'y être renommé.
LR pourrait de son côté reprendre sa liberté. Son chef de file Laurent Wauquiez a mis la pression dès mardi, soulignant que l'engagement de son parti avec la coalition gouvernementale en septembre «ne valait que pour Michel Barnier».
Budget menacé
Beaucoup, à l'instar de la présidente de l'Assemblée Yaël Braun-Pivet, plaident en tout cas pour une solution rapide, qui permette de mener à bien au moins en partie les textes budgétaires avant la date butoir du 31 décembre. A défaut, les députés devront voter une «loi spéciale» qui permette la continuité du fonctionnement de l'Etat.
A gauche, le PS a mis sur la table l'hypothèse d'un «Premier ministre de gauche qui dirige un gouvernement de gauche ouvert au compromis», que le socle commun s'engagerait à ne pas censurer. Les Ecologistes vont proposer une feuille de route «à tous les parlementaires», tandis que LFI continue de demander la nomination de la haute fonctionnaire Lucie Castets.