Décédé à 96 ans
Avec Jean-Marie Le Pen, l'extrême-droite européenne perd son gladiateur

Le patriarche de l'extrême-droite française et européenne est mort mardi 7 janvier à 96 ans. Sa fille Marine, désormais l'une des personnalités les plus populaires de France, avait pris ses distances avec ce «menhir» qui restait un putschiste dans l'âme
Publié: 07.01.2025 à 14:32 heures
|
Dernière mise à jour: 07.01.2025 à 17:03 heures
1/5
Le 21 avril 2002, Jean-Marie Le Pen accède au second tour de l'élection présidentielle face à Jacques Chirac.
Photo: AFP
Blick_Richard_Werly.png
Richard WerlyJournaliste Blick

Il aurait pu être gladiateur. Il adorait les duels, les joutes oratoires, mais aussi les bagarres, pour de bon, à coups de poing et de barres de fer. Décédé mardi 7 janvier à 96 ans, Jean-Marie Le Pen fut toujours un combattant résolu de l’extrême-droite française et européenne, dont les racines idéologiques plongeaient dans les tourmentes nationalistes de l'entre-deux-guerres, dans le fascisme et dans le colonialisme.

Celui qui, depuis dix ans, vivait reclus auprès de son épouse Jany, non loin de son ex-épouse Pierrette (mère de leurs trois filles, dont Marine Le Pen), était à lui seul un morceau d’histoire. Il fut officier parachutiste, accusé d’avoir torturé des rebelles durant la guerre d’Algérie. Il fut député (d’abord au début des années cinquante, puis en 1986-1988, puis au Parlement européen). Il édita, pour vivre, des disques et des livres pour les nostalgiques du Troisième Reich. Il hérita dans les années 70, de façon controversée, de la fortune d’un cimentier, Hubert Lambert, qui lui vouait une totale admiration. Ce Breton né à la Trinité sur mer (Morbihan), aimait cogner sur ceux qu’il détesta toujours: les communistes, la gauche sociale-démocrate, les immigrés, et aussi les juifs, dont il qualifia en 1987 l’extermination par les nazis dans les chambres à gaz de «point de détail de la seconde guerre mondiale».

Marine Le Pen, l’héritière

Jean-Marie Le Pen faisait partie, avec le banquier suisse François Genoud (décédé en 1996) de ces hommes qui n’acceptèrent jamais l’émergence d’une société multiculturelle, et le recul dans le monde de la domination blanche, occidentale et chrétienne. C’est avec cette paternité si compliquée à vivre qu’a grandi Marine Le Pen, son héritière. Avant de rompre avec lui publiquement pour prendre la tête du Front national en 2011, transformé sept ans plus tard en Rassemblement national.

Jean-Marie entouré de ses filles (de g. à d.) Marine, Yann et Marie Caroline.
Photo: KEYSTONE

Il faut avoir vu Jean-Marie Le Pen, au congrès de Lyon du RN en 2014, arriver sur scène en mimant un combat de boxe. Il tapait alors dans le vide, tandis que les images de sa vie politique, y compris celles de ses affrontements les plus rudes avec ses adversaires, défilaient sur grand écran. Le Pen aimait cogner. Des photos d’anthologie le montrent en train de hurler contre une candidate d’un parti adverse, lors d’une campagne électorale disputée. Son physique imposant, sa voix de stentor, son goût de la provocation faisaient le reste. Le Pen, surnommé «Le menhir», était l’archétype du tribun d’extrême-droite, doublé d’un tempérament de putschiste invétéré, plus à l’aise dans l’opposition frontale à la République que dans l’exercice d’un mandat ou du pouvoir.

Le pouvoir justement. Jean-Marie Le Pen ne l’a jamais frôlé. Son jour de gloire politique, le 21 avril 2002, le propulse au second tour de l’élection présidentielle face à Jacques Chirac, après avoir devancé de peu au premier tour le premier ministre socialiste sortant Lionel Jospin. 16,86% des suffrages pour le cofondateur du RN, ce parti d’extrême droite crée en 1971, riposte directe aux événements de mai 1968 et à la mort du général De Gaulle, ce décolonisateur honni, décédé un an plus tôt. 16,2% pour Jospin.

Plafond de verre

Jean-Marie Le Pen n'a pas d'illusions. Il sait que le plafond de verre va se rabattre sur lui. Il connait la stratégie du «Front Républicain», tous contre le FN, qu'il pourfend comme antidémocratique. Bien vu. Au second tour, Jacques Chirac – qui a refusé de débattre avec lui à la télévision – le lamine avec 82,2% des voix. Exit les années Jean-Marie. Les années Marine, la cadette des trois sœurs (avec Marie-Caroline et Yann), peuvent commencer. Jusqu’à aujourd’hui, où le dernier baromètre de l’Institut IFOP la place au onzième rang des personnalités politiques préférées des Français.

Le clan Le Pen. Impossible de dissocier cette famille de l'histoire et du sort politique de l’extrême-droite française. Car pour Jean Marie-Le Pen, à la fois tribun et chef, le Front national est «sa» chose. La preuve? Son élimination impitoyable, en 1999, de celui qui est alors son dauphin, Bruno Mégret. Le Pen ne supportera jamais que quelqu’un lui fasse de l’ombre dans son parti. Et il vivra d’ailleurs très mal sa marginalisation par sa propre fille, essayant de jouer contre elle sa petite-fille Marion Maréchal, dont il était très proche.

La vie de château

Car Le Pen aime l’argent. Il l’accumule. Il aime les liasses de billets. Il vit dans un château sur les hauteurs de Saint-Cloud, à l’ouest de Paris dont il a, depuis son bureau, une vue splendide. Dans l’entrée du bâtiment, un immense portrait de l’intéressé accueillait les visiteurs. Le Pen se comporte comme un roitelet. Il «est» le Front national, dont il conduit chaque année les marches en mémoire de Jeanne d’Arc, le 1er mai, en plein cœur de Paris. Il aime avoir à ses côtés d’autres «cogneurs», des nervis d’extrême droite que sa fille s’emploiera ensuite à éloigner. Du moins officiellement.

Photo: KEYSTONE

Jean-Marie Le Pen se permet tout, jusqu’à se retrouver condamné plusieurs fois par la justice pour «diffamation» et «apologie de crimes de guerre», car il sait d’où il vient, et connaît les soutes de la République. Le terreau fondateur de son courant d’extrême droite est le régime de Vichy du Maréchal Pétain, sous l’occupation nazie, même s’il s’engagea comme adolescent dans la résistance ant iallemande, au nom de la défense de la nation. Jean-Marie Le Pen est ostracisé en surface. Les médias le marginalisent longtemps. Il gardera toujours, en revanche, ses liens politiques avec des personnalités qui jurent le combattre. François Mitterrand, le président socialiste venu de la droite nationale, le ménagera toujours car il permet de diviser le camp conservateur. Jacques Chirac cherchera à l’amadouer, tout en le diabolisant.

Droite réactionnaire

Le patriarche de la droite réactionnaire a surtout compris avant tout le monde trois choses, dont il aimait parler à la presse étrangère et suisse. D’abord l’impuissance des gouvernements face à l’immigration en provenance d’Afrique et des pays musulmans. Ensuite le délitement de nos démocraties, face à la montée de ce qu’il estime être une «très dangereuse» bureaucratie fédérale européenne (il devait comparaitre avec sa fille au procès pour détournement de fonds publics via l'utilisation d'assistants parlementaires européens, dont le jugement est attendu le 31 mars, mais son état de santé l'en a empêché). Il a bien diagnostiqué, enfin, l’épuisement des valeurs de gauche.

Le Pen détestait mai 1968 et son héritage, au nom de la défense de la famille, de la nation, de la religion. Il était aussi un entrepreneur qui aimait l’argent, soupçonné d’avoir conservé en Suisse un compte caché avec 2,2 millions d’euros. En 2024, le site Médiapart a révélé de nouveaux documents attestant de ces fonds placés dans une banque helvétique. Pas étonnant. Chez Jean-Marie Le Pen, l’argent était indispensable à la puissance et à l’influence, donc au pouvoir.

Un soldat

Jean-Marie Le Pen était resté un soldat. Il aimait les récits glorieux des batailles de la guerre d’Indochine. Il affirmait que la terrible bataille d’Alger de 1962, avec son lot de tortures, était un grand succès militaire français. Il n’aimait pas Napoléon, produit de la Révolution de 1789. Il lui préférait les chevaliers du Moyen-Age, comme Bayard ou Du Guesclin. Il détestait De Gaulle, ce traître qui avait abandonné les «pieds-noirs» d’Algérie. Voulait-il vraiment, un jour, exercer le pouvoir avec toutes les responsabilités qui en découlent? Tous ses biographes affirment que non. Jean-Marie Le Pen n’aimait pas non plus Trump, cet affairiste New-Yorkains, vulgaire promoteur et si grossier à ses yeux. Le «Menhir» était pétri de culture classique. Il aimait la Grèce et la Rome antique. Il citait Plutarque et Platon. Il préférait la Russie des Tsars au Far West américain.

Son extrême droite s’enracinait dans la nostalgie royaliste, dans la supériorité de la civilisation occidentale qui lui fit justifier l’apartheid, dans la détestation des Juifs (bien qu’il niât toujours être antisémite), dans le culte de la bravoure en uniforme.

Coulisses de la République

Jean-Marie Le Pen savait que les coulisses de la République sont loin d’être propres. Il s’en amusait et s'en délectait. Il était le gladiateur qui, hors de l’arène, fait peur aux puissants. Avant de retourner à l'entrainement. Il savait profiter de tous les recoins d’obscurité du national-populisme que sa fille Marine a ensuite refusé d’assumer, en se lançant dans trois campagnes présidentielles successives. Sans réussir, pour l’heure, à briser le plafond de verre que son père avait, en 2002, été le premier à soulever.

Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la