Que vient faire Alexandre Benalla, l'ex-chargé de mission de l'Elysée, à Nyon? Le Tribunal de la paisible petite ville vaudoise accueille le sulfureux témoin le 1ᵉʳ novembre. Comme nous l’avions annoncé, celui qui fut, d'après les médias, l'un des collaborateurs les plus proches du président français Emmanuel Macron, est en effet auditionné sur les rives du Léman ce mercredi après-midi.
Après avoir été licencié en 2018, pour avoir interpellé brutalement des manifestants sans en avoir le droit, et usurpé la qualité de policier, l'ex-homme de l'ombre s'est reconverti dans les affaires. Il réside désormais à Genève.
La raison de sa comparution au Tribunal d'arrondissement de La Côte est une procédure civile enclenchée par une mystérieuse femme d’affaires française — dont le nom a été dévoilé par la presse parisienne — contre un média de l'Hexagone, qu'elle accuse de l'avoir diffamée. Elle avait été décrite dans les colonnes de celui-ci comme la «protectrice» d’Alexandre Benalla. Un article laissait par ailleurs entendre qu'elle aurait participé à la disparition du contenu d'un coffre-fort de l'Elysée — un mystère qui persiste à ce jour.
La «protectrice» de Benalla contre «L'Obs»
Conséquence: la femme en question, aujourd’hui domiciliée en Terre sainte (VD), a fait le choix (étrange) de la justice vaudoise pour s’attaquer à l’hebdomadaire français «L’Obs» (la société éditrice et deux journalistes), pour «atteinte illicite à la personnalité». Elle dénonce des articles mensongers, qui l’auraient fait sortir de l’anonymat. Cela aurait par ailleurs nui à sa carrière, comme l’expliquait son avocate genevoise Camille Haab dans les colonnes du quotidien «Le Temps» l’année dernière déjà.
C’est en revanche la défense qui a exigé l’audition d’Alexandre Benalla, parmi d'autres personnalités françaises. Selon Nicolas Capt, l'avocat de «L'Obs» et des deux journalistes visés, l'ex-proche de Macron est (en partie) à l'origine de l'exposition médiatique de cette femme d'affaires — par ailleurs connue pour avoir travaillé en Afrique pour de grands groupes français. Il est donc normal qu'il soit interrogé.
A la barre, Alexandre Benalla devra sans doute répondre à des questions quant à la fameuse disparition du coffre-fort, qui se trouvait dans son bureau à l’Élysée. Car sans la prétendue implication de la demanderesse dans cette affaire-là — qui a fait suite à celle des manifestants violentés — le nom de la femme n'aurait probablement pas filtré dans les médias. Sans le lien qu'établissent les journalistes entre les deux personnages, la mystérieuse business woman n'aurait pas été sous le feu des projecteurs.
Quels sont les enjeux?
Quels sont les enjeux de cette procédure? Pour la demanderesse, il s'agit évidemment de faire condamner «L'Obs» et les journalistes en cause pour «atteinte illicite à la personnalité». L'énigmatique femme d’affaires estime «que le magazine a dressé d’elle (...) un portrait caricatural tendant à la dépeindre comme une personne méprisable tout en la sortant brutalement d’un anonymat essentiel à son activité professionnelle et à sa tranquillité», comme l’écrivait «Le Temps».
Représentée par l’avocate genevoise Camille Haab, elle demande, concrètement, la suppression des deux articles de «L’Obs» la concernant, toujours disponibles en ligne. Ainsi qu’une réparation de 10’000 francs pour tort moral. Pour obtenir gain de cause, il lui faudra démonter que lesdits papiers sont infondés et ont porté atteinte à son image.
La justice Nyonnaise devra aussi déterminer si la femme peut, ou non, être considérée comme une personnalité publique en France. C’est ce que tentera de démontrer Nicolas Capt, l’avocat de «L’Obs». A charge pour celui-ci de prouver, dans le même temps, l’exactitude des faits cités, et de défendre l’utilité publique des informations publiées par le magazine.
L’une des journalistes en cause, précédemment interrogée par Blick, avait par ailleurs affirmé: «Cette femme apparaît dans plusieurs dossiers judiciaires que je suis. Son nom est à la confluence de nombre d’affaires d’État, dont l’affaire Benalla. Elle est très proche des cercles de pouvoir français. Dans mon article, je m’interroge simplement sur ce personnage. Sans dire qu’il faille lui reprocher quoi que ce soit.»
Qui est Alexandre Benalla?
Qui est Alexandre Benalla — bien connu en France, moins connu chez nous? Enfant d’une famille marocaine modeste, émigrée en France, il est élevé principalement par sa mère — une prof de mathématiques — dans le quartier périphérique, dit «sensible», d'une petite ville de Normandie. En grandissant, il se découvre un goût pour tout ce qui touche à la sécurité.
Le jeune homme gravit rapidement les échelons du pouvoir, puis les marches de l’Elysée. Impliqué à titre subalterne dans la sécurité de la campagne de François Hollande en 2012, il se retrouve ensuite dans le sillage d'Emmanuel Macron, lors de la campagne présidentielle de 2017. Il devient, après l'élection de celui-ci, chargé de mission au sein du cabinet présidentiel, avec un accès privilégié au nouveau chef de l'Etat. La proximité entre les deux hommes est alors connue et avérée.
Mais la success-story du «garde du corps» du président, comme le surnomme la presse française, prend abruptement fin à partir du 19 juillet 2018. Il est alors accusé d’avoir usurpé la fonction de policier, puis interpellé et violenté des personnes lors d’une manifestation du 1ᵉʳ mai à Paris. En septembre 2023, le verdict est tombé: Alexandre Benalla a été condamné en appel, à Paris, à trois ans d’emprisonnement, dont un an ferme.
L'audition prévue à Nyon est susceptible de jeter la lumière sur la façon dont les événements se sont enchaînés après l'épisode du 1ᵉʳ mai, révélé par «Le Monde» en juillet 2018. Lors d’une perquisition chez Alexandre Benalla, trois jours après les révélations du grand média français, les policiers ont constaté la disparition d’un coffre-fort de l'Elysée de son domicile. Ce dernier était censé contenir des armes de fonction.
Alexandre Benalla affirme avoir restitué le contenu — trois pistolets Glock et un fusil à pompe, d'après la presse française — mais les mystères autour de la disparition de l'objet n'ont toujours pas été élucidés. Le soir de cette perquisition chez l'ex-chargé de mission de Macron, l'énigmatique femme d'affaires, l'«amie» de Benalla, lui aurait assuré hébergement et soutien, ainsi qu'à sa famille. La presse française la soupçonne par ailleurs d'avoir été impliquée dans la disparition du fameux coffre — elle aurait été entendue par le la brigade criminelle à ce propos.
Qui d’autre est impliqué?
Premier au bal des auditions, Alexandre Benalla n’est pas la seule personnalité bien connue en France à être mouillée dans cette procédure civile vaudoise. La défense, toujours dans l’espoir de prouver l’utilité publique des articles de «L’Obs», a demandé à ce que 18 témoins — presque tous célèbres — soient entendus.
Dans la liste, on trouve des noms tels que celui de l’ancien président français Nicolas Sarkozy. Celui de l’ancien Premier ministre français, Dominique de Villepin, ou encore celui de l’acteur Gérard Depardieu. Leur seul point commun à tous? Une relation ou des contacts présumés avec la femme d'affaires concernée.
La plupart de ces personnages risquent d'être entendus depuis Paris, par commission rogatoire, dès le mois de décembre 2023, une fois que les auditions qui peuvent se tenir en Suisse seront achevées. Le Tribunal vaudois voudrait notamment entendre le controversé homme d’affaires Alexandre Djouhri, proche de Nicolas Sarkozy, et impliqué dans plusieurs affaires politico-financières. Ce dernier, ancien résident genevois, devrait emboîter le pas à Alexandre Benalla et témoigner en Suisse, d’après nos informations.
Pourquoi une procédure civile en Suisse?
Le choix judiciaire de la femme d'affaires française s'explique par son lieu de résidence — elle a posé ses bagages dans le canton de Vaud. Il faut aussi noter qu'une telle procédure n’existe pas en France. Et puis, le droit helvétique permet, en théorie, de juger plus sévèrement les cas d'«atteinte à la personnalité» que le droit français.
La partie défenderesse, interrogée par Blick dans un précédent article, a souligné à l'inverse son incompréhension quant à ce choix de la justice vaudoise. La journaliste mise en cause parle d’une affaire «absolument franco-française», qui n’aurait rien à faire ici.
Il n'est par ailleurs pas certain qu'une procédure civile en Suisse puisse déboucher, comme l'espère la demanderesse, sur la suppression d’articles de l’autre côté de la frontière. Pourquoi, alors, un tel remue-ménage, qui risque d'attirer encore plus l'œil du grand public sur cette femme mystérieuse? Le temps nous le dira.