Depuis 2016, la Suisse s'est qualifiée sans exception pour chaque grand tournoi. Mieux: elle a atteint les 8es de finale à chaque fois, s'offrant même un quart en 2021. Ce miracle sportif, à l'échelle de la Suisse, peut-il se répéter cet été? L'objectif minimal est de sortir de ce groupe comprenant également l'Allemagne, l'Ecosse et la Hongrie. La Suisse peut le faire, bien sûr. Mais va-t-elle le faire? La réponse dépend de ces six questions brûlantes.
Qui va marquer des buts?
Évidemment, c'est la grande question! Breel Embolo est de retour dans le groupe, mais ne sera pas apte à débuter contre la Hongrie samedi et sa forme physique pose question, après une année sans jouer. Même s'il est rétabli physiquement, il manquera logiquement de rythme et aura de la peine à enchaîner les efforts à haute intensité. En l'absence de l'attaquant de l'AS Monaco, Murat Yakin a eu l'intelligence de préparer l'avenir et de faire confiance à la relève, incarnée en premier lieu par Zeki Amdouni. L'avant-centre genevois est-il prêt aujourd'hui à faire la différence dans un tournoi aussi relevé? Son arrivée fracassante au sein de la Nati après la Coupe du monde 2022 le laisse penser, mais il a marqué le pas à l'automne, à défaut de marquer des buts. Noah Okafor, lui, semble en grande difficulté. Sinon? Kwadwo Duah est une inconnue à ce niveau.
La question de la créativité à mi-terrain fait également défaut (au point que l'on se mette à regretter l'absence de Cameron Puertas), surtout en raison de la blessure de Steven Zuber. La bonne nouvelle de ce mois de juin: Ruben Vargas semble en forme. Et il y a toujours Xherdan Shaqiri, lequel peut être décisif à tout moment, mais dont l'état physique est une vraie inconnue.
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En résumé, et pour le dire en une phrase: l'incertitude dans ce secteur de jeu est grande. La solution pourrait venir d'un coup de pied arrêté ou d'un dépassement de fonction à mi-terrain. Granit Xhaka a prouvé ces derniers mois être capable de faire la différence à 25 ou 30 mètres et cette arme n'est pas à négliger, surtout venant d'un joueur en confiance comme l'est le capitaine après sa sublime saison avec Leverkusen.
Ce qu'en dit la Nati
Le discours officiel: confiance! Mais Murat Yakin et Giorgio Contini le savent pertinemment: le manque de possibilités de haut niveau en attaque pourrait handicaper la Nati. «Nous avons de jeunes joueurs et nous l'assumons. Nous avons fait ce choix-là et nous restons fidèles à notre ligne», explique Murat Yakin, qui est resté cohérent en ne rappelant pas Haris Seferovic pour l'Euro, comme il avait un moment songé à le faire.
Ce qu'en pense Blick
Zeki Amdouni a toujours su, dans sa carrière, se mettre au niveau. Lorsqu'il est arrivé de Lancy au SLO. Au LS ensuite. A Bâle dans les matches européens. A Burnley, dans le meilleur championnat du monde. Et en équipe de Suisse également. Maintenant, il se présente face au plus grand défi de sa jeune carrière: porter son équipe nationale dans un grand tournoi. La marche peut sembler haute, mais il a prouvé durant sa carrière qu'il savait se hisser à la hauteur de l'événement. Notre sentiment: il va réussir son Euro. On ne mettra par contre pas une pièce sur Noah Okafor. Et Breel Embolo? Pour le dire clairement: le voir tout de suite se hisser au niveau d'intensité que réclame un Euro serait un tour de force que l'on peine à imaginer. Mais il est tellement indispensable que tout est possible avec lui.
Comment est la relation entre Murat Yakin et ses cadres?
Granit Xhaka et Manuel Akanji semblaient totalement hors du match, à Felcsut contre Israël, en toute fin d'année dernière que la question était venue logiquement sur la table: les cadres ont-ils lâché leur entraîneur? Les deux hommes, d'ailleurs, n'avaient pas fait grand chose pour démentir ce sentiment général, que ce soit dans leurs actes ou dans le discours. Granit Xhaka, un peu plus tôt, avait lancé une bombe au sortir du match nul au Kosovo (2-2), expliquant que tout le monde devait se remettre en question. Le coach y compris. Bref: la maison suisse brûlait.
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Les dirigeants de l'ASF ont évalué la situation et décidé de continuer avec Murat Yakin et de calmer le jeu, estimant que la situation était encore sauvable. Dès lors, la donne était claire: il fallait que tout le monde adhère, sous peine d'arriver à l'Euro dans le chaos le plus total. En façade, c'est le cas. Et en coulisses?
Ce qu'en dit la Nati
«La critique après le match au Kosovo était une erreur», a reconnu Granit Xhaka dans une interview très récente accordée à Blick.
«Il est venu me voir plusieurs fois à Düsseldorf. Il était important pour les deux parties que nous nous comprenions. Que nous soyons là l'un pour l'autre et que nous voulions réussir ensemble. Pour la Suisse, pour notre famille, pour nous-mêmes», a encore dit Granit Xhaka. «La relation entre nous est très bonne. Mais vous ne voulez pas le croire...», a quant à lui dit récemment le sélectionneur.
Ce qu'en pense Blick
Murat Yakin et Granit Xhaka ont tous les deux des caractères assez forts pour dire la vérité. Le sélectionneur en a souri d'ailleurs très récemment en disant qu'avec ses origines turques et celles, kosovares, de Granit Xhaka, le ton pouvait monter assez vite, mais qu'il était toujours bon de se dire les choses. Les deux hommes se sont parlé et ont montré tous les deux assez d'intelligence pour faire la part des choses et avancer ensemble. La relation entre les deux aujourd'hui est très bonne, et Murat Yakin a su faire un pas très important en direction de Granit Xhaka en adaptant son système tactique pour que celui de la Nati ressemble à celui de Leverkusen, mais il sera tout de même intéressant d'observer l'évolution de la situation durant cet Euro. En clair, si un problème survient, comment les deux parties réagiront-elles? Une chose est sûre: la situation s'est largement apaisée. Et pas qu'en façade.
Le «système asymétrique» est-il viable?
En arrivant à la tête de l'équipe de Suisse, Murat Yakin avait été clair: la défense à quatre est son système privilégié! Pourquoi? Parce qu'il s'agit de celui qui propose le meilleur équilibre, tout simplement.
Et voilà qu'en ce début d'année 2024, surprise: la Suisse joue à trois défenseurs centraux, avec un latéral de formation (Silvan Widmer) comme piston droit, et un ailier (Dan Ndoye) comme piston gauche. Un système asymétrique qui a pour but de mettre chaque joueur dans les meilleures dispositions et, surtout, de profiter de la densité impressionnante de défenseurs centraux de haut niveau. Et donc de faire une place à Fabian Schär.
Ce système a aussi pour but de se rapprocher de ce qui se fait à Leverkusen, ce dont Murat Yakin ne s'est jamais caché. Et vu que Manuel Akanji se sent aussi à l'aise dans cette configuration à trois, que Josep Guardiola utilise parfois à Manchester City, tous les cadres sont heureux. Mais ce système peut-il fonctionner à l'Euro?
Ce qu'en dit la Nati
«Nous sommes plus solides dans ce système», assure Manuel Akanji. Murat Yakin, lui, réfute que cette organisation tactique soit pensée uniquement dans un but défensif. «Dan Ndoye peut apporter sa vitesse et sa percussion côté gauche», assure-t-il. «Mon sentiment est que nous avons plus de stabilité dans le système à trois, surtout défensivement. A la fin, c'est Murat qui décide de tout et c'est lui qui a décidé cela», a déclaré Granit Xhaka.
Ce qu'en pense Blick
Ce changement de système a provoqué un changement immédiat, avec un seul but encaissé en quatre matches en 2024. Sa grande force est défensive, même si le but de l'Autriche lors du récent 1-1 à Saint-Gall fait un peu souci... Si Dan Ndoye arrive à défendre de manière suffisamment intense à très haut niveau, ce que l'on saura très vite, Murat Yakin aura réussi son pari. Parce que partout ailleurs, les joueurs sont mis dans leurs meilleures dispositions. Le gros avantage de cette organisation est également de pouvoir recentrer Xherdan Shaqiri, lui qui n'a plus les jambes pour défendre (et attaquer) sur le côté droit. Bref, ce 3-4-2-1 est plutôt bien pensé. Si, et seulement si, on le répète, Dan Ndoye peut défendre aussi bien qu'il attaque.
Xherdan Shaqiri sera-t-il magique?
Lors de chacun des six grands tournois qu'il a disputé, depuis la Coupe du monde 2010, Xherdan Shaqiri a été décisif à un moment ou à un autre, faisant parler la magie de son pied gauche. Il est, sans doute, le meilleur joueur suisse de tous les temps en équipe nationale, même s'il n'est pas le seul prétendant à ce titre honorifique (et virtuel). Le fait est que les grandes compétitions le subliment. Mais peut-il encore le faire à 32 ans, après des derniers mois compliqués à Chicago? Et peut-il se montrer décisif en sortant du banc, vu qu'il ne sera pas titulaire à chaque match?
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Ce qu'en dit la Nati
«Je ne suis pas venu en vacances en Allemagne!», a déclaré Xherdan Shaqiri jeudi, à deux jours du premier match contre la Hongrie. Sa magie? Comme pour Lionel Messi, il ne peut pas l'expliquer. Elle s'en va, elle revient. «Mais j'adore les phases finales», a-t-il souri, assurant qu'il accepterait son rôle quel qu'il soit.
Ce qu'en pense Blick
En mars, l'équipe de Suisse a disputé deux matches au Danemark et en Irlande, ne marquant qu'un seul but en 180 minutes. Grâce à qui? A Xherdan Shaqiri, bien sûr. Le coup-franc du gaucher a fini au bon endroit et une chose est sûre: il ne traversera pas l'Euro sans un coup d'éclat. Même s'il est historiquement peu performant en sortant du banc, sa créativité et son pied gauche feront mouche à un moment ou l'autre. Dans ces matches de phase finale où chaque détail compte et où la différence se fait à partir d'un rien, il sera, encore une fois, l'homme de la sitatuation. Même si ce n'est qu'une fois.
Quel niveau de performance pour Yann Sommer?
Aucune équipe nationale ne peut aller loin sans un grand gardien. Ou un gardien moyen, mais au sommet de sa forme et de sa concentration durant deux semaines. Alors qu'il est mis sous pression par Gregor Kobel, mais que Murat Yakin continue de lui témoigner une confiance absolue, Yann Sommer a une nouvelle (et dernière?) occasion de briller sur la grande scène internationale. La Nati sera solide en défense, telle est la volonté de Murat Yakin, et son gardien est prêt à effectuer encore beaucoup de blanchissages, lui qui les a multiplié avec l'Inter cette année. Sera-t-il le héros?
Ce qu'en dit la Nati
«Yann est notre numéro 1. Point.» Pas besoin d'en dire plus: Murat Yakin a mis un terme au débat avant même qu'il ait commencé.
Ce qu'en pense Blick
ll existe un doute, tout de même. Non pas sur les qualités de Yann Sommer, mais sur ses limites, notamment dans le jeu aérien. La Suisse va défendre, son gardien a toujours fait le boulot jusqu'ici, mais sa campagne de qualification n'a pas été exceptionnelle, loin de là. Lui aussi, comme les autres, a des choses à prouver en Allemagne durant les deux prochaines semaines. Son passé lui confère une certaine aura et le futur s'appelle Gregor Kobel. A lui de montrer qu'il incarne encore le présent.
Murat Yakin a-t-il appris de ses erreurs?
Murat Yakin a rempli tous les objectifs qui lui étaient fixés avec la Nati: se qualifier pour la Coupe du monde au Qatar, y atteindre les 8es, se maintenir en Ligue des Nations, se qualifier pour l'Euro. Quatre sur quatre. Mais la claque reçue par le Portugal en décembre 2022, puis la campagne de qualifications médiocre pour l'Allemagne, viennent ternir ce bilan et semer le doute: est-il l'homme de la situation? Après avoir hésité, l'ASF a opté pour le oui. Surtout, le sélectionneur n'a pas tout fait juste, que ce soit dans le choix des hommes ou la gestion des joueurs et des différentes préparations. Le fait d'avoir donné congé aux joueurs lorsque le match contre Israël a été reporté, alors même que Granit Xhaka avait pesté un mois avant contre le manque d'intensité aux entraînements, était un mauvais signal. La crise était bien réelle à la fin de l'année 2023. Mais, en 2024, tout s'est bien passé pour l'heure. D'où la question: Murat Yakin a-t-il appris de ses erreurs?
Ce qu'en dit la Nati
«Murat a vu qu'il y avait des choses à corriger. Il a vu ce qui ne fonctionnait pas, mais aussi ce qui fonctionnait. Il a compris qu'il devait faire des choses différemment, et il a pris des mesures. Nous avons une confiance totale en lui». Tels sont les mots de Pierluigi Tami au sujet de son entraîneur, lequel a refusé de signer une prolongation de contrat avant l'Euro.
Ce qu'en pense Blick
Il n'y a rien de plus faux dans le football que de tirer des conclusions définitives sur l'avenir en prenant le passé comme unique référence. Le football est un univers mouvant et Murat Yakin, quoi qu'en disent ses détracteurs, est un technicien redoutablement intelligent. Il a compris l'urgence, après l'automne pourri de l'équipe de Suisse, et il est allé à la rencontre des joueurs, Granit Xhaka en tête. Il n'a pas oublié la Suisse romande, ni la France, et sa liste pour l'Euro était cohérente, contrairement à ce qu'il avait imaginé pour le Qatar. L'arrivée de Giorgio Contini à ses côtés lui a fait du bien et, s'il a la défiance du peuple suisse, il a aussi gagné le droit de préparer sereinement cet Euro. Les comptes se feront à la fin, mais son année 2024 et les mesures prises lui donnent du crédit.