La RDA est de retour. Elle est visible sur les cartes électorales. Elle semble enracinée dans les urnes à l’issue des législatives anticipées qui ont lieu ce dimanche 23 février. Regardez bien la répartition des suffrages des différents partis, et notamment les scores de l’AfD, l’Alternative für Deutschland, le parti d’extrême droite qui réalise une percée historique au niveau national avec près de 21% des voix.
A l’est, dans l’ancienne République démocratique allemande, cette formation est, de très loin, victorieuse dans les urnes. Jusqu’à 40% des voix en Thuringe, en Saxe, en Saxe Anhalt et dans le Brandebourg qui enserre Berlin. A la réunification de 1990 a succédé, 35 ans plus tard, une dé-unification de plus en plus problématique.
Disparité électorale
Le problème, pour être clair, ne vient pas de la disparité électorale d’une frontière à l’autre de la République fédérale. D’autres pays affichent ses caractéristiques, à commencer par les Etats-Unis où Donald Trump demeure par exemple, persona non grata dans les Etats de la côte pacifique américaine. Ce qui se passe en Allemagne est inquiétant au regard de l’histoire, et de la géopolitique européenne.
Poutine et Dresde
N’oublions pas que Vladimir Poutine a assisté, en 1990, à la désintégration de l’Union soviétique dans ses bureaux du KGB à Dresde, en RDA, dans l’actuel Saxe. Le président russe, qui cultive la nostalgie de l’ex-URSS et de son empire, peut donc être satisfait: dans cette partie orientale de l’Allemagne, le legs politique du communisme demeure bien présent. Rejet des étrangers (attisé, il est vrai par les récentes attaques au couteau, dont l’une à Magdebourg, en Thuringe), rapport complètement différent au totalitarisme et à la mémoire du nazisme, et détestation de l’Occident concurrentiel et multiculturel.
Cette fracture allemande doit évidemment nous interpeller, car elle prouve aussi que l’antienne européenne sur la transformation des pays par les investissements, le commerce et la démocratie est loin d’avoir fait ses preuves. Certes, le vote massif pour l’AfD n’est pas antidémocratique. Aussi contesté et contestable soit-il, ce parti aux relents néonazis est une formation politique autorisée et légale, désormais installée à la seconde place sur l’échiquier politique, nettement devant le SPD social-démocrate et les «Grünen» (les Verts).
Refus d’un modèle
Sa prédominance dans l’ex-RDA traduit néanmoins autre chose: le refus d’un modèle d’ouverture, et une frustration culturelle et économique durable, malgré la modernisation considérable des infrastructures et de l’économie, illustrée par les implantations industrielles aussi récentes que coûteuses.
Vladimir Poutine peut être satisfait. La menace qu’il représente pour nos démocraties n’est pas du tout perçue de la même manière dans les Länder de l’Ouest et dans ceux de l’Est. Ce qui donne à la Russie des leviers pour exploiter ses divisions, comme savent le faire ses services secrets dans la pure tradition du KGB soviétique. Idem, paradoxalement, pour les Etats-Unis de 2025 qui, avec Donald Trump à leur tête, n’ont plus rien à voir avec la puissance libératrice de 1945, qui empêcha dans les années 60 l’asphyxie de Berlin-ouest.
L’ex-RDA est la preuve que le projet d’intégration européenne, avec l’élargissement à l’est de 2004, butera toujours sur les ressentiments culturels, idéologiques et politiques que la bureaucratie de Bruxelles sait si mal évaluer et gérer. Le vote pour l’AfD, de ce point de vue, est une nouvelle démonstration de la nécessité, pour l’Union européenne, d’abandonner son jargon libre-échangiste, pacifique, humanitaire et multiculturel. Il faut plus que jamais savoir parler aux peuples. Car dans le cas contraire, Poutine et Trump (avec l’aide d’Elon Musk) le feront à leur manière. Et la vague du ressentiment national-populiste deviendra impossible à endiguer.