«Ma foi.» Cette expression très entendue dans la maison Konrad Adenauer de Berlin, quartier général de l'Union chrétienne démocrate (CDU) du très probable futur chancelier Friedrich Merz, résume assez bien l'ambiance au sein du parti qui devrait reprendre les rênes de l'Allemagne. Bière gratuite, chili con carne et DJ-Set ont accompagné la soirée du dimanche 23 février des militants conservateurs venus passer ce moment d'élection dans cette salle de l'ouest-berlinois.
Pour autant, la grande fête que Friedrich Merz avait promise à ses partisans lors de sa brève allocution peu avant 19 heures n'a pas eu lieu. Selon des chiffres officiels, la CDU et son allié de l'Union chrétienne sociale en Bavière (CSU), n'ont glané «que» 28,6% des voix, et ont ainsi échoué ainsi à atteindre l'objectif de 30%.
Pour ne rien arranger aux affaires des conservateurs, le mouvement d'extrême-droite Alternative für Deutschland (AfD) s'est offert une percée historique en récoltant plus de 20% des voix, tandis que le Parti-libéral démocrate (FDP), traditionnel allié de la CDU/CSU, n'est pas parvenu à franchir la barre fatidique des 5%, synonyme d'entrée au Bundestag. Idem pour «l'Alliance Sarah Wagenknecht», mouvement populiste anti-immigration, qui n'entrera pas non plus au Parlement.
Vers une coalition CDU/SPD
Pour Friedrich Merz, qui a exclu toute coalition avec l'AfD, il s'agit donc d'une victoire en demi-teinte: il arrive certes premier, mais il n'a pas de véritable allié sur lequel s'appuyer. Les conservateurs n'ont donc d'autre choix que de former une coalition avec le Parti social-démocrate (SPD) du chancelier sortant Olaf Scholz, qui vient d'essuyer la pire défaite de son histoire récente en ne récoltant que 16,4% des suffrages.
Alors comment se présentent les semaines à venir? Et qu'est-ce que ce résultat signifie pour l'Europe et pour le reste du Monde?
Pays meurtri par des attentats
La formation d'un nouveau gouvernement risque de prendre du temps. Le deux partis de pouvoir historiques vont devoir s'accorder sur un programme et sur des noms. Le chef du SPD, Olaf Scholz, restera chancelier jusqu'à ce que la nouvelle coalition soit approuvée et on peut légitimement penser qu'il fera tout pour retarder son retrait de la vie politique allemande.
Mais Friedrich Merz ne l'entend pas de cette oreille: «Nous devons avoir le plus rapidement possible un gouvernement capable d'agir. Le monde extérieur ne nous attend pas», a-t-il lancé à ses partisans depuis Berlin. Son allié et chef de la CSU Markus Söder a abondé dans le même sens, évoquant la nécessité de doter l'Allemagne d'une «colonne vertébrale» et d'un «leadership fort».
Et il est vrai que le pays va en avoir besoin. Pour la deuxième année consécutive, l'Allemagne a terminé dans le rouge à la fin de l'année dernière, allant même jusqu'à atteindre le dernier rang des pays de l'Union européenne en termes de croissance économique. Le pays sort également meurtri d'une série d'attaques commises par des demandeurs d'asile, la dernière en date, vendredi à Berlin, qui ont plongé le pays dans d'intenses débats sur la question de l'immigration.
Ses alliances passées le poursuivent
Là aussi, Friedrich Merz aura l'obligation de répondre aux préoccupations, sans pour autant s'allier avec l'AfD. Les partis du centre et de la gauche ne lui ont toujours pas pardonné son alliance avec l'extrême-droite pour faire adopter un texte sur l'immigration au Parlement. Les conservateurs doivent-ils franchir ce «mur de feu» et tendre la main à l'AfD et à Alice Weidel? Cette question – à laquelle Friedrich Merz répond clairement «nein» – est en train de diviser le pays comme jadis le mur de Berlin l'a divisé.
Plus encore que ces débats internes, c'est l'attitude de l'Allemagne sur la scène européenne qui sera déterminante. Les Etats-Unis ont, plus ou moins ouvertement, pris leurs distances avec leurs alliés européens. Si Donald Trump parvient, comme il le souhaite, à conclure rapidement un accord de paix en Ukraine favorable à Moscou, Kiev et ses alliés européens se retrouveront au pied du mur. Le Vieux continent doit d'ores et déjà trouver de nouvelles stratégies pour de ne pas devenir un souffre-douleur impuissant des futurs autocrates.
Or, l'Allemagne est de loin la plus grande puissance économique européenne. Elle dispose en outre de la quatrième armée du continent, derrière l'Ukraine, la Pologne et la France. Berlin pèsera donc de tout son poids lorsque l'Europe aura à choisir entre l'abandon de l'Ukraine ou la poursuite de la lutte contre Poutine, sans leurs alliés américains.
L'opinion claire de Merz sur Poutine
Friedrich Merz semble clairement privilégier la deuxième option. Le conservateur a déjà émis le souhait de livrer des missiles de croisière allemands de type Taurus, chose qu'Olaf Scholz avait toujours refusé, par crainte d'une escalade de la guerre. «Poutine ne mettra fin à cette guerre que lorsqu'il aura soit occupé l'ensemble du territoire ukrainien, soit reconnu l'inutilité d'une action militaire supplémentaire», a récemment déclaré Friedrich Merz dans une interview au journal américain «Politico».
Le très probable futur chancelier allemand ne se fait toutefois pas d'illusion: pour répondre à la fois aux exigences de ses électeurs, aux attentes de ses partenaires européens et aux provocations de Moscou, il va falloir jongler avec habilité. Alors, que le spectacle commence.