Il y a deux manières de lire le vote de la motion de censure contre le gouvernement français de Michel Barnier, votée mercredi 4 décembre par 331 députés sur 574, soit une large majorité. La première consiste à prendre acte d’une nouvelle époque supposée être parlementaire.
Par ce vote, l’Assemblée nationale vient donc de signifier au président de la République que rien ne peut se faire sans elle. Et qu’il lui faut, par conséquent, trouver une formule gouvernementale adaptée aux réalités politiques du moment, soit en intégrant une partie de la gauche, soit en ouvrant les portes de l’exercice du pouvoir au Rassemblement national.
La morale de l’échec de Michel Barnier tient donc, dans ces conditions, au refus obstiné de celui d’élargir sa coalition. Un gouvernement minoritaire, face à une Assemblée nationale divisée en trois blocs hostiles, n’est ni tenable, ni durable.
Un fossé problématique
La seconde façon de lire cette chute du gouvernement, ce qui ne s’était jamais produit depuis 1962, est de constater le fossé problématique entre le jeu parlementaire et le pays réel.
Oui, c’est vrai, une majorité d’électeurs ont désavoué Emmanuel Macron lors des législatives du 30 juin et 7 juillet qu’il avait lui-même provoquées par sa dissolution surprise de l’Assemblée. Oui, c’est encore vrai, son impopularité chronique et l’impossibilité de se représenter pour une troisième mandat, placent le chef de l’Etat dans une position presque impossible.
Mais il est faux, en revanche, d’affirmer que les Français approuvent la crise institutionnelle qui vient de s’ouvrir. Et il est tout aussi faux de prétendre que les électeurs ne voulaient pas du budget préparé par le Premier ministre sortant, coincé par la nécessité de remettre de l’ordre dans les finances publiques.
En colère
Une partie de la société est en colère. Le Rassemblement national a le vent en poupe. La gauche radicale tient de plus en plus les «quartiers». Et après? Michel Barnier, gaulliste conservateur, bénéficiait ces derniers jours d’une belle popularité.
L’homme était même parvenu, lors de ses déplacements, à rétablir le dialogue. Sa stature de vétéran de l’action publique, et le respect qu’il inspirait à l’international, étaient souvent citées positivement par les Français interrogés sur son gouvernement, et sur sa manière de faire de la politique.
Ce qui s’est passé à l’Assemblée nationale, sous couvert d'impasse budgétaire, n’est pas un affrontement politique classique autour de programmes et d’une vision du pays. C’est un règlement de comptes qui a balayé un gouvernement trop ignorant de l’obligation de composer avec la gauche modérée. Et bien trop convaincu qu’à la fin, la raison pouvait encore l’emporter.
Rejouer le match
La France présidée par Emmanuel Macron est, en 2024, un pays représenté par une classe politique qui, s’estimant flouée et bafouée par le locataire de l’Elysée pourtant réélu démocratiquement en 2022, cherche sans cesse à rejouer le match. Or le pire est que le chef de l’Etat, garant des institutions, a allumé le feu avec sa dissolution hâtive, décidée comme on joue au poker.
Le résultat? Les réalités financières, économiques et internationales, celles qui façonnent le quotidien du pays réel, y sont devenues inaudibles. De quoi décourager tout candidat et tout responsable persuadé qu’en politique, dans un monde où les démocraties sont sans cesse plus fragilisées, le courage de la lucidité vaut mieux que la passion mortifère des illusions.