C’est donc fini. L’expérience Barnier est terminée. En nommant, le 5 septembre, ce politicien vétéran de 73 ans, conservateur et gaulliste, au poste de Premier ministre, Emmanuel Macron misait sur sa capacité de négociateur. Le président français croyait sans doute aussi que Barnier le Savoyard, éloigné des élites parisiennes et fin connaisseur du pays réel, parviendrait à désamorcer la colère du Rassemblement national. Erreur. Le vote de la motion de censure par une coalition de 331 députés - sur 574 sièges pourvus - allant du RN (droite radicale) à La France Insoumise (gauche radicale) a eu raison de cette tentative. Michel Barnier va maintenant présenter sa démission au chef de l’État. ce dernier s'exprimera demain à 20 heures. Il pourrait lui demander de gérer les «affaires courantes», en attendant de lui trouver un remplaçant.
Comment en est-on arrivé là? Et pourquoi la France n’est pas capable d’accoucher de coalitions parlementaires solides, alors qu’il reste encore deux ans et demi de mandat à Emmanuel Macron, réélu en avril 2022?
La réponse tient en trois erreurs. Ces trois fautes sont celles de Michel Barnier. Elles ne signifient pas qu’il s’est trompé. L’homme a aussi sous-estimé la détérioration du climat politique hexagonal. Voici ce qui l’a, in fine, conduit à démissionner.
Erreur n° 1: Barnier a fermé trop de portes
Michel Barnier s’est reposé depuis début septembre sur un socle parlementaire d’environ 215 députés (sur 577) composé du bloc présidentiel et de la droite traditionnelle. Il a choisi, d’emblée, de tenir à l’écart du gouvernement le Rassemblement national et le Nouveau Front Populaire (NFP), la coalition de gauche. Il est vrai, à sa décharge, que le NFP souhaitait obtenir le poste de Premier ministre pour sa candidate, Lucie Castets, en arguant de sa courte victoire aux législatives. Mais Barnier n’a pas non plus fait d’offre sérieuse à ce flanc gauche. Plus grave: il a cru qu’il pouvait négocier sur le budget avec le RN tout en continuant à tenir ce parti à l’écart du gouvernement. Il s’est retrouvé pris en tenaille.
Erreur n° 2: Barnier a payé pour Macron
La Constitution française interdit au président de se représenter pour un troisième mandat, en mai 2027. Emmanuel Macron est donc dos au mur. Mais dans les faits, il reste aux manettes de la vie politique et Michel Barnier n’a pas réussi à exister à côté du chef de l’État. Certes, Barnier a tenu Macron à distance. Le palais présidentiel a cessé d’être le centre du pouvoir. Mais il a manqué au Premier ministre une marge de manœuvre, un programme, le pouvoir de constituer une coalition à sa guise. Macron avait par exemple défini deux lignes rouges. Non au Rassemblement national. Non à La France Insoumise. Ces deux partis viennent de se venger en faisant tomber son gouvernement, une première depuis 1962! Et une situation totalement inédite puisque Barnier se retrouve renversé après avoir engagé la responsabilité de son gouvernement sur le budget, qui est le cœur de l’action publique.
Erreur n° 3: Barnier n’a pas fixé de limites
Michel Barnier faisait aussi peur à Marine Le Pen. La candidate du Rassemblement national, paniquée à l’idée de se voir condamnée à une peine d’inéligibilité dans l’affaire de détournements de fonds publics via l’emploi d’assistants parlementaires européens, avait tout à craindre de la possible réussite de ce politicien conservateur, apprécié des Français. Barnier aurait dû la rassurer sur ce point, en disant clairement qu’il ne serait pas candidat à l’Élysée en 2027. Pourquoi ne l’a-t-il pas fait? Sans doute pour laisser la porte ouverte à la succession de Macron. Michel Barnier, ne l’oublions pas, avait été candidat à la primaire de la droite en 2022. Il avait perdu face à Valérie Pécresse. Avait-il déjà 2027 dans le viseur? Son intervention télévisée de mardi 3 décembre, à la veille du débat sur la motion de censure, montre en tout cas qu’il n’a pas renoncé. Il a au contraire pris date. Ce qui revenait à déclarer de facto la guerre à Marine Le Pen et à Jean-Luc Mélenchon. Alors que tous les deux rêvent d'en découdre au plus vite lors d’une présidentielle anticipée....