Emmanuel Macron a juste atterri à temps à Paris. Revenu d’Arabie saoudite où il se trouvait en voyage officiel, le président français est quasiment rentré dans son pays au moment où le résultat de la motion de censure était annoncé par Yaël Braun Pivet, la présidente de l’Assemblée nationale. 331 députés sur 574 ont voté en faveur. Un choc. Du jamais vu depuis 1962! L’Elysée a aussitôt fait savoir que le chef de l’Etat prendra la parole jeudi 5 décembre à 20 heures, peut-être pour annoncer la nomination d’un nouveau Premier ministre, après la démission obligatoire de Michel Barnier.
Ce choc, toutefois, n’est pas seulement celui de la chute du gouvernement, dans une France sans majorité parlementaire. C’est un choc institutionnel, politique et aussi financier pour Emmanuel Macron, 47 ans. Le président français est à l’origine de cette crise politique. C’est lui, à la surprise quasi-générale, qui a décidé de dissoudre l’Assemblée nationale le 9 juin, après la défaite de son camp aux élections européennes (largement remportées par le Rassemblement national). Et c’est Macron qui est dans le viseur des principaux vainqueurs de cette motion de censure: Marine Le Pen d’un côté, et Jean-Luc Mélenchon de l’autre.
Les deux présidentiables
Le Pen-Mélenchon: pour ces deux anciens candidats à la présidentielle, l’urgence est de remonter sur le ring. Tous deux veulent donc une démission de Macron, et ils espèrent l’obtenir en poussant le pays dans une crise institutionnelle. Comment? D’abord en imposant leurs règles au président. Ce dernier garde bien sûr le droit de nommer le Premier ministre de son choix. Il peut même reconduire Michel Barnier.
Mais à quoi cela peut mener puisque la droite nationale-populiste et le Nouveau Front populaire (la coalition de gauche) sont prêts à revoter ensemble? Macron se retrouve donc avec un choix impossible. Soit il opte pour une coalition avec l’extrême-droite, ce qui contredira tout son engagement européen. Soit il ouvre les portes à la gauche, en acceptant la première revendication de celle-ci: l’abandon de la réforme des retraites de 2023. Deux scénarios qui signifieraient, ni plus ni moins, sa défaite politique définitive.
Pas de troisième mandat
Emmanuel Macron, pour sa part, a toujours dit qu’il ne démissionnerait pas avant la fin de son second mandat, en mai 2027. Il l’a, à chaque fois, justifié par la nécessité d’être le garant des institutions.
Mais cela a-t-il encore un sens alors que son impopularité bat des records, que son parti présidentiel a perdu les dernières législatives, et que les oppositions sont majoritaires à l’Assemblée nationale? Sa légitimité présidentielle n’est-elle pas, en plus, abîmée par le fait que la Constitution lui interdit de se représenter pour un troisième mandat? Le scénario d’un départ et d’une élection présidentielle anticipée ne serait-il pas, au fond, plus démocratique?
Des finances inquiétantes
L’autre raison qui peut pousser Emmanuel Macron à revenir sur sa promesse de ne pas démissionner est la situation du pays. La France est aujourd’hui sans budget pour 2025. Le projet de loi de finances de la sécurité sociale (premier volet du budget) vient d’être rejeté avec le vote de la motion de censure.
Bien sûr, des possibilités constitutionnelles existent pour une reconduction du budget de 2024. Il est aussi imaginable que les députés se remettent au travail et votent finalement un budget d’ici à la fin décembre 2024.
Mais tout cela est au conditionnel. Or les agences de notation financière veillent, même si Standard & Poors a maintenu la note de la France à AA- voici quelques jours. Les taux d’intérêt des obligations françaises à dix ans s’éloignent de plus en plus de ceux de l’Allemagne. La Grèce emprunte aujourd’hui moins cher que la France. Est-ce tenable pour un président défenseur d’une Europe forte, à quelques semaines de l’entrée en fonction de Donald Trump à la présidence des États-Unis et à l’orée d’une possible guerre commerciale?
Prendre les devants
Reste enfin sa postérité. Emmanuel Macron est encore jeune. Il ne veut pas laisser comme image celle d’un président qui donnera les clés de l’Elysée à la droite nationale populiste de Marine Le Pen ou à la gauche radicale de Jean-Luc Mélenchon. Or, plus il attend, et plus la crise politique s’enlise, plus ce risque deviendra difficile à éviter.
A l’inverse, prendre les devants et s’investir pour faire élire un successeur qui conserverait une partie de son héritage peut être une solution. Michel Barnier, le Premier ministre sortant, a parlé mardi soir 3 décembre comme un possible candidat à la présidentielle. Il y a aussi l’ancien chef du gouvernement Edouard Philippe. Bref, Macron aurait peut-être avantage à accélérer le calendrier, en prenant les Français à témoin et en profitant de la crise pour mobiliser l’électorat hostile aux extrêmes.
Ce pari-là présente toutefois une énorme faille: il obligerait Macron à reconnaître sa défaite. Pire: il l’obligerait à capituler, lui qui profita, en 2017, de l’incapacité à se représenter de son prédécesseur, François Hollande. Lequel, redevenu député socialiste, a voté ce mercredi soir la censure du gouvernement!