Il faut toujours se méfier des mots, surtout lorsque la guerre et les horreurs surviennent. Reporters sans Frontières (RSF) n’a que le pouvoir d’informer, d’alerter, de sensibiliser et de dénoncer. La «plainte» que l’organisation vient à nouveau de déposer le 31 octobre à la Cour Pénale Internationale (CPI) de La Haye pour crimes de guerre commis contre des journalistes palestiniens à Gaza, n’a en effet, malgré le terme employé, pas de dimension juridique directe.
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C’est au seul procureur de la CPI, le Britannique Karim Khan, de décider ou non d’instruire une plainte puis d’inculper telle ou telle personne ou organisation. Reste le symbole.
RSF estime en revanche disposer d’éléments suffisants pour démontrer la volonté de tuer des représentants des médias dans l’exercice de leur métier. Le dossier transmis à la CPI détaille les cas de neuf journalistes tués depuis l’assaut du Hamas le 7 octobre, et de deux blessés. Sont aussi mentionnés la destruction intentionnelle des locaux de plus de 50 médias à Gaza. 34 journalistes ont été tués depuis le début du conflit, dont au moins 12 ont trouvé la mort en informant: 10 à Gaza, un en Israël et un au Liban.
Rien d’étonnant
Ces chiffres n’ont malheureusement rien d’étonnant. Et c’est là que nous devons tous nous insurger. Dans notre monde moderne saturé d’images et de vidéos si faciles à transférer d’un écran à l’autre, les ultimes journalistes présents sur le terrain sont évidemment une cible.
Aux côtés de RSF, la Campagne pour l’emblème de la presse (PEC) basée à Genève l’a redit le 2 novembre, en exigeant que des enquêtes indépendantes fassent la lumière et que l’ONU mette en place une commission d’enquête. Son accusation est impitoyable: «Oui, des crimes de guerre et un massacre sans précédent des médias ont lieu à Gaza en raison du fait que les hostilités se déroulent dans une zone densément peuplée.»
En première ligne
Les journalistes concernés sont pour la plupart palestiniens. Ils informent depuis des années la population de Gaza. Ils sont souvent – étaient, pour ceux qui sont morts – les yeux et les oreilles des agences de presse internationales. Ils sont seuls, coupés du reste du monde et tentent pourtant de continuer à informer, alors que les envoyés spéciaux de tous les autres médias sont cantonnés à l’extérieur du territoire assiégé par l’armée israélienne.
Courage. Respect. Engagement. Ces hommes et femmes restent en première ligne pour dire ce qui n’est plus visible. Leurs gilets pare-balles qui ne les protègent plus, puisqu’ils meurent sous les bombardements, incarnent le seul espoir qu’ont les deux millions de Gazaouis, en plus de leurs vidéos personnelles, de faire encore connaître leur tragédie.
Ciblage de la presse
Il est clair que le Hamas tenait d’une main de fer ce territoire avant le 7 octobre. Il est clair qu’informer à Gaza n’a jamais été une chose facile. Il est évident, aussi, que dans toutes les guerres, des reporters succombent. C’est le ciblage de la presse par un État démocratique comme Israël qui doit nous faire réfléchir.
Il dit, au-delà du droit à se défendre, la volonté de détruire le Hamas à huis clos, et d’enfermer deux millions de Palestiniens dans la nuit de la censure et de l’oubli. Il dit la volonté de priver un peuple du droit à exister aux yeux du monde, et d’exposer ses souffrances.
Tuer des journalistes, c’est nous rendre aveugle sur les massacres. Or l’aveuglement est toujours, en temps de guerre totale, le compagnon des pires atrocités.