Lorsque Donald Trump a été élu pour la première fois à la présidence des États-Unis, le 8 novembre 2016, le monde a cru à un accident de parcours. Désespérés par des élites démocrates éloignées de leurs préoccupations quotidiennes, les Américains avaient — pensions-nous alors — choisi de fermer les yeux sur les mensonges et la violence de celui qui se vantait de «saisir les femmes par la chatte», aveuglés par ce milliardaire faussement popu. Donald Trump pour incarner les idéaux de l’Amérique? L’association semblait inimaginable.
Ce que nous étions loin de prévoir, c’est que l’élection de Trump n’était pas un simple accident. Qu’une digue venait de rompre et que les eaux usées qu’elle contenait jusqu’ici allaient se répandre, bouleversant la manière de faire de la politique à l’échelle internationale. Que la parole «sans filtre» allait devenir la norme. Que ce langage inédit allait être adopté par des personnalités politiques telles que Jair Bolsonaro, Rodrigo Duterte ou, plus proche de nous, Viktor Orbán. Que, plus globalement, les échanges allaient disparaître au profit des invectives, même dans des démocraties aussi vibrantes que la France ou l’Allemagne.
Désormais, les opposants politiques sont systématiquement ridiculisés, violentés. Les débats se résument à des affrontements stériles qui n’abordent plus les questions de fond, totalement absentes de la campagne américaine qui vient de prendre fin avec la réélection triomphante de Trump. Un homme qui a pourtant attisé la haine, qui a accusé son adversaire d’avoir «changé» pour devenir une personne noire, qui a menti pendant toute sa campagne, qui a insulté ses adversaires (il a traité la démocrate Nancy Pelosi de «salope malfaisante, folle et malade») et qui a été condamné cette année pour fraude financière et falsification de documents.
Pourquoi la situation est dangereuse
Ce qui inquiète, au-delà même de son programme politique d’un autre âge, c’est que la nouvelle victoire de Trump, dans le contexte détaillé ci-dessus, est le reflet d’une faillite morale dramatique de la population américaine. Un effondrement susceptible de se globaliser, qui va immanquablement nourrir le cynisme, contribuer à affaiblir encore davantage la confiance des citoyens envers leurs institutions, banaliser l’absence d’éthique et encourager la manipulation politique. Bref, dégrader les valeurs essentielles sur lesquelles reposent nos démocraties.
Le concept de «réarmement moral» a été promu pour la première fois en 1938 par Franklin Buchman, un pasteur américain qui voulait ainsi promouvoir la paix et la réconciliation. Resté sourd à ses appels, le monde a dû faire face à un conflit mondial dévastateur. Un siècle plus tard, ces mêmes États-Unis et les pays qu’ils ont entraînés dans leur obscur sillon devront trouver les ressources pour faire de ce concept jamais appliqué un programme, puis une réalité. Sans quoi une sombre période s’ouvrira devant nous.