Ça partait pourtant bien: l’été a été long et chaud (lol); et le réchauffement climatique reste l’une des préoccupations principales des Suisses. Et pourtant, les derniers sondages annoncent les Vert·e·s comme grands perdants de l’élection 2023 (jusqu’à -3,5%). La vague verte devrait donc se briser contre la digue de la dure réalité de nos vies de tous les jours.
À mon avis, il y a des assistants parlementaires qui ne dorment pas tranquilles. Il va peut-être falloir les reprendre, ces études en sciences de l’environnement (seul cursus où tu peux avoir un Master en faisant des herbiers).
Cela étant, il est trop risqué de faire de la politique en se basant sur les sondages. Le seul truc moins précis que les sondages, c’est la météo et personne n’oserait miser sur la météo pour faire de la politique… Ah ben si les Vert·e·s.
Parce qu’à part qu’il fait encore plus chaud qu’en 2019, le changement n’est pas dingue. La menace de pénurie énergétique de l’hiver dernier a ramené le nucléaire à la mode et nous n’avons toujours pas de nouvelle loi sur le CO2.
Les Vert·e·s ne savent pas qui iels sont
Sur les autres grandes thématiques? COVID? Aux UDC. L’inflation? Aux socialistes. La neutralité? Aux verts libéraux. La faillite de Credit Suisse? Silence radio. Rien de plus que des timides gémissements à propos de la finance durable (concept aussi crédible que la mayo 0%), sous prétexte qu’au moment du vote sur la loi too big to fail, les Vert·e·s étaient too small to be au parlement.
Alors bien sûr, les Vert·e·s n’ont pas de majorité. Mais la politique suisse, c’est justement l’art de faire bouger les lignes quand on est minoritaires. Quitte à l’ouvrir sur des sujets où on n’est pas légitimes: regardez les PLR avec l’écologie. À ce niveau de récupération, on dirait Tridel (usine de récupération de déchets à Lausanne, comme ça vous avez la référence et pouvez désormais trouver ce gag excellent).
Mais non, les Vert·e·s n’osent pas trop. Peut-être parce qu’ils ne savent pas trop, à commencer par qui ils sont. En effet, les leur·e·s abrite une foule de courants, qui vont des décroissants focalisés sur la biodiversité, aux ingénieurs focalisés sur la transition énergétique. En passant par des «écosociétaux» focalisés sur l’intersectionnalité des luttes (les lessives industrielles «100% blanc» sont-elles plus polluantes que racistes?).
Cette diversité n’est pas toujours une force. Notamment lorsqu’on parle des éoliennes: les ingénieurs seront pour et les décroissants contre, argumentant que cela perturbe les oiseaux et détruit des forêts (à cause de tous les arbres qu’il faut abattre pour les procédures devant les tribunaux).
Des équilibristes plutôt que des climatologues
Et bien sûr, il y a l’épineuse question des militants du climat et de la désobéissance civile. Compliqué pour les parlementaires: on sent qu’ils sont d’accord sur le fond, mais qu’ils ne peuvent pas l’être sur la forme.
À chaque fois que je vois un élu interviewé sur le sujet, je me dis que les Vert·e·s feraient mieux de recruter des équilibristes plutôt que des climatologues. Le problème, c’est qu’ils ne peuvent pas condamner la désobéissance civile, au cas où les grévistes du climat se mettraient à voter pour eux. Et puis après, ils ne votent quand même pas pour eux: sont cons, ces ados.
Pire encore! Les grévistes du climat étaient les seuls — avec l’UDC — à être opposés à la loi sur le CO2. Cela dit, ayons quand même un peu d’empathie pour les militants climatiques: leur charge mentale, c’est toute la Terre (mais ce n’est pas une excuse pour voter n’importe comment). Même hésitation à se désolidariser quand les Jeunes Vert·e·s partent en roue libre sur Twi-X-tter (oui je mets tout en un, histoire de pas devoir m’emmerder avec une parenthèse inutile qui… oh wait.).
(En termes de religion qui dicte le quotidien, ils n’ont pas choisi la plus light pour faire un contre-exemple). Dans la frange institutionnelle du parti, on a dû regretter que les Jeunes Vert·e·s n’aient pas eu congé ce jour-là.
Et pour finir de dresser le portrait d’un parti qui ne sait pas quoi faire du respect des institutions, il y a la réaction «intéressée et amusée» de ses parlementaires face aux faux 20 minutes de Greenpeace. Au fond, tout ça nous montre que les Vert·e·s sont peut-être meilleurs quand il s’agit de nous alarmer que de nous gouverner.
Dans ce contexte et au vu des sondages, fixer publiquement son calendrier pour accéder au Conseil fédéral réussit l’exploit d’être à la fois tardif et présomptueux. Comme Aya Nakamura à la Vaudoise Arena, ça pourrait tomber à l’eau pour un conflit d’agenda ou de branlée dans les urnes.
D’autant plus que les trois sièges verts romands aux Conseil des États sont menacés:
- Dans le canton de Vaud, Adèle Thorens devrait céder sa place au socialiste Pierre-Yves Maillard. Le vert Raphaël Mahaim sera trop court et il le sait (Il a mis ornithologie dans la rubrique hobbies de son site, c’est vous dire s’il est désespéré pour gratter des voix. Même celles de cinq autres ornithophiles du canton).
- À Neuchâtel, Céline Vara est en concurrence avec Baptiste Hurni (mais j’en ai déjà brillamment parlé hier).
- À Genève finalement, le siège de Lisa Mazzone pourrait être mis en danger par une entente de droite. Même si ça devrait le faire: ladite entente n’a pas de programme commun et ressemble plus à un Frankenstein de droite qu’à une alliance crédible.
Et puis Lisa Mazzone a un CV solide et une certaine aura. Elle a aussi habilement su médiatiser l’accueil d’une réfugiée ukrainienne et de ses filles. Beau coup de com’, jusqu’au récit du premier repas, cuisiné par le compagnon suisse-allemand de Lisa Mazzone. Les réfugiées ont eu droit à un gratin de fenouil (certainement avec de la compote de pommes). Comme si elles n’avaient déjà pas assez souffert comme ça…
Attention aux films d'horreur!
Sinon, y a les Vert’Libéraux, qui devraient aussi essuyer une perte de sièges, mais plus soft. Tout est plus soft d’ailleurs avec les Vert’Libéraux. Ils ne souhaitent pas forcément léguer une planète nickel à leurs enfants, mais au moins quelques actions Nestlé, parce que quand même. Ça, c’est pour le volet libéral.
Pour le volet vert, le projet pourrait se limiter à quelques fougères sur le balcon. Mais c’est peut-être trop soft pour relever le défi climatique (leurs seules armes étant un grand sourire, une trottinette électrique, une sacoche en bandoulière et un casque ridicule).
Quoi qu’il en soit, les Vert·e·s sont peut-être en train de payer leur flottement existentiel, ou leur manque d’envergure. Ou alors c’est plus simple que cela. Peut-être que les gens n’aiment juste plus les écolos, parce qu’ils nous préviennent du danger. Et la preuve que ce n’est pas le meilleur rôle, c’est que dans les films d’horreur, ce sont ceux qui meurent en premier.