Un médicament suscite l'inquiétude en Grande-Bretagne. Au cours des cinq dernières années, près de 3400 décès ont été liés au médicament prégabaline, comme le démontre une enquête du «Sunday Times». Si le nombre de décès était encore de neuf en 2012, il est passé à près de 780 dix ans plus tard, en 2022. Selon le journal, il s'agit de la hausse la plus rapide du nombre de décès liés à un médicament sur le territoire.
A l'origine, la prégabaline a été mise sur le marché pour traiter l'épilepsie. Aujourd'hui, le médicament est aussi prescrit pour soigner l'anxiété et les douleurs nerveuses. La liste des effets secondaires est longue: vertiges, pertes de mémoire, difficultés respiratoires...
Mais l'un d'eux est particulièrement problématique: le médicament déclenche une humeur euphorique et provoque une dépendance grave. Les personnes sous traitement n'arrivent plus à contrôler la prise de cette substance active, et augmentent souvent la dose de leur propre chef. Dans le pire des cas, les patients combinent le médicament avec d'autres produits, et les conséquences sont fatales, voire mortelles. Selon les personnes concernées, le sevrage de la prégabaline est comparable à celui de la morphine: c'est un véritable enfer.
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D'abord l'euphorie, puis la chute libre
L'infirmière Debbi Lou, qui vit près de Manchester, peut en témoigner. Lors d'un accident de voiture, le bas de sa colonne vertébrale a été touché. Lorsque son médecin lui a prescrit de la prégabaline, cette mère d'une fille de six ans ne s'est pas doutée des effets néfastes du médicament. Elle a été agréablement surprise, du moins au début. «Mais au bout d'un mois, le sentiment d'euphorie a disparu et mon anxiété a été décuplée», explique-t-elle au journal.
La femme a donc commencé à augmenter les doses. Des vertiges, de la fatigue et des trous de mémoire s'ensuivirent. Jusqu'au jour où Debbi Lou a même oublié d'aller chercher sa petite fille à l'école. C'en était trop. Mais le sevrage l'a poussée au bord du désespoir. «Tu trembles, tu ne peux pas dormir, tu ne peux pas manger. Vomissement, diarrhée, mais surtout de la peur. Tu as vraiment l'impression que tu vas mourir.»
Plusieurs mois plus tard, l'infirmière est sobre. Elle apporte son soutien à d'autres personnes ayant des problèmes d'alcool et de drogue. Elle porte des accusations contre son médecin, qui ne l'a pas informée des dangers du traitement: «Je lui faisais confiance, et cette confiance a été détruite.»
17 cas suspects en Suisse
En Suisse aussi, la substance active prégabaline est agréée pour traiter l'épilepsie, les douleurs nerveuses et les troubles anxieux. Les chiffres de Swissmedic, l'autorité de surveillance et d'autorisation, montrent toutefois que la prégabaline seule n'entraîne pas une hausse de cas mortels. «Depuis 2005, Swissmedic a reçu au total 17 annonces de suspicion de décès», indique l'autorité à Blick. Les chiffres sont stables: il n'y a ni augmentation du nombre de dépositions, ni anomalie constatée, selon le porte-parole de Swissmedic.
Cependant, les prescriptions de prégabaline ont augmenté. Une étude parue en 2020 et réalisée sur mandat de l'Office fédéral de la santé publique (OFSP) a conclu que non seulement la consommation s'était nettement accrue, mais que le nombre de jours de traitement était aussi en hausse. Par conséquent, les excès aussi augmentent, comme le rapporte le service pharmaceutique «Swissdocu». Le centre antipoison «Tox Info Suisse» enregistre un accroissement des appels d'urgence pour la prégabaline. D'à peine 30 en 2006, il est passé à 229 demandes l'année dernière.
Interrogé sur l'ampleur du risque de dépendance dans notre pays et sur son évolution au cours des dernières années, Addiction Suisse ne peut pas répondre: «Malheureusement, nous ne disposons pas d'informations fiables à ce sujet pour la Suisse.»
«La Suisse est dans une situation privilégiée»
La situation en Suisse est toutefois bien moins dramatique qu'en Grande-Bretagne, comme le confirme Yvonne Gilli, présidente de la Fédération des médecins suisses. Les évolutions internationales se manifestent dans notre pays, mais à moindre mesure, notamment grâce à la situation socio-économique. Yvonne Gilli s'explique: «Sans villes de plusieurs millions d'habitants, avec un système social très bien développé et une expertise dans la prise en charge des addictions, la Suisse est dans une situation privilégiée en comparaison internationale.»
Une étude suédoise publiée en 2019 a conclu que la prise de prégabaline pouvait entraîner un danger accru de suicidalité et de surdosage involontaire. Les participants à l'étude, âgés de 15 à 24 ans, présentaient le risque le plus élevé.
Selon le «Times UK», plus de huit millions de Britanniques se sont vu délivrer une ordonnance pour de la prégabaline rien qu'en 2022. Un an plus tôt, l'institution de santé britannique «National Institute for Health and Care Excellence» avait demandé aux médecins d'améliorer leurs mesures de sécurité lors de la prescription d'analgésiques et de médicaments entraînant une dépendance.
Mais en vain. Malgré les avertissements, les prescriptions continuent d'être en hausse. Certains médecins portent toutefois un regard critique sur cette évolution. L'un d'entre eux choisit des mots clairs: «Prescrire de la prégabaline, c'est comme vendre une voiture sans frein.»