Peu d’instances n’ont autant polarisé durant la crise du Covid que la task force scientifique de la Confédération. Au paroxysme des polémiques, certains politiciens de l’UDC auraient voulu la museler ou même l’abolir.
À mesure que la crise a perdu en intensité, la task force a disparu du devant de la scène médiatique. Ses nouvelles analyses ne sont guère reprises par la presse, ses rapports hebdomadaires sont de plus en plus brefs. Son président Martin Ackermann a déjà annoncé son départ. Blick revient sur cinq succès et cinq échecs d’une institution, somme toute, typiquement suisse.
Les succès
La task force avait vu venir la deuxième vague
L’été dernier, alors que le reste du pays croyait déjà la crise derrière nous et que les vacances battaient leur plein, les scientifiques de la task force n’ont pas baissé leur garde. Ils n’ont eu de cesse de rappeler qu’une seconde vague menaçait si les ouvertures étaient trop larges et la population désinvolte. Le mois d’octobre leur a malheureusement donné raison, avec l’augmentation catastrophique des contaminations et, avec un effet retard, celui des hospitalisations et des décès.
Il aura fallu un deuxième confinement pour faire (lentement) inverser la tendance. Si les politiciens et le public avaient écouté la task force, de nombreuses vies auraient pu être sauvées.
Une collégialité toute suisse
Avec sa direction de quatre membres, son conseil consultatif de cinq personnes et 70 chercheurs répartis dans dix groupes spécialisés, la task force est un groupe de travail hétéroclite au sein duquel se sont exprimés, outre des virologues et des médecins, des économistes et des éthiciens.
Cette construction ingénieuse a permis d’inclure dans les recommandations de la task force des considérations économiques et sociaux autant que sanitaires, contrairement à l’Allemagne, dont l’équivalent est dominé par des virologues sans perspective sociétale.
La task force a également inclus des éléments de délibération démocratique tout helvétique dans son fonctionnement, opérant comme un grand Conseil fédéral. Le principe de collégialité au sein de la task force la préserve de défendre des opinions univoques.
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Les faits, les faits, les faits
La task force a fourni ce qui était particulièrement précieux en cette période d’incertitude: des faits, des chiffres et des études. Son évaluation épidémiologique de la situation, publiée chaque semaine, ainsi que ses 86 analyses couvrant tous les aspects de la pandémie, a fourni une solide base aux politiciens et aux administrateurs pour les aiguiller dans leur prise de décision.
La task force a même publié un article sur la position à endosser face aux sceptiques et aux complotistes, plaidant pour une approche détendue de ces personnes qui ont parfois même menacé les scientifiques, et arguant que la tolérance de positions radicales faisait également partie d’une démocratie.
Un principe de milice
La Confédération a obtenu cette expertise gratuitement, tous les membres de la task force ayant travaillé bénévolement. Il faut dire que ces scientifiques, tous employés par des universités, avaient de quoi subsister.
Leur engagement est néanmoins l’expression d’un esprit civique, car ces chercheurs ont mis leurs ambitions personnelles de côté au profit du service public. Si certains ont gagné en visibilité, la plupart des membres de la task force ont surtout recueilli des attaques ad personam et des critiques venimeuses de la part de leurs détracteurs.
Calme face à la tempête
La task force s’est retrouvée dans une situation peu enviable: critiquée par des manifestants, conspuée par des politiciens réclamant haut et fort son abolition et souvent ignorée par les décideurs publics, elle a néanmoins conservé une sobriété scientifique à toute épreuve. Martin Ackermann n’a jamais versé dans la rhétorique émotionnelle ni n’a pointé du doigt des responsables de la crise. Il a toujours respecté le principe, souvent répété par le Conseil fédéral, que la science devait conseiller, la politique décider.
Cela n’a d’ailleurs pas plu à certains membres de la task force plus trublions, ce qui s’est traduit par les départs de Christian Althaus et de Dominique de Quervain. En fin de compte, le style sobre s’est avéré être le bon. Même les scientifiques ne sont pas à l’abri d’erreurs.
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Flops
Une troisième vague surestimée
La task force a passablement perdu de sa superbe lors des derniers mois, notamment en mettant en garde contre les mesures d’assouplissement prévues par le Conseil fédéral. Dans un document daté du 20 avril, elle prédisait en effet que ces mesures entraîneraient environ 10 000 nouvelles infections par jour.
Selon ses prévisions, la troisième vague aurait été comparable à la deuxième en termes d’intensité et de létalité. Heureusement, les choses se sont passées différemment. Bien que plus d’un an se soit écoulé depuis le déclenchement de la pandémie, les scientifiques ne disposaient pas d’un modèle de progression fiable avant le printemps 2021.
Le confinement comme machine à fric?
La task force a réuni certains des économistes les plus réputés du pays, comme Aymo Brunetti, Jan-Egbert Sturm et Beatrice Weder di Mauro. Cela ne l’a pas empêchée de publier des évaluations hasardeuses: dans un document publié le 19 janvier, le panel d’expert concluait en effet que le confinement, malgré les pertes à court terme qu’il infligeait à l’économie, générerait au final un bénéfice net compris entre 2 et 3,8 milliards de francs. Sauf que la task force est arrivée à cette conclusion en se basant sur des enquêtes d’opinion sur ce que les gens sont généralement prêts à payer pour réduire des risques potentiellement mortels, et non sur des données économiques réelles comme le pouvoir d’achat qui était gagné par les années de vies préservées par le confinement.
Si cette approche est courante dans d’autres services de l’administration, elle a démontré son absurdité ici. Selon ces calculs, un confinement était un vecteur de richesse. Il était juste de restreindre la vie publique afin de reprendre en main la pandémie. Il n’était en revanche pas nécessaire d’édulcorer son impact économique.
Le coût de l’assouplissement
Les économistes ont d’ailleurs réitéré leurs évaluations aventureuses, en estimant le 20 avril que reporter l’ouverture des terrasses d’un mois entraînerait un gain net de 1,7 milliard de francs à terme.
Or nous savons aujourd’hui que l’assouplissement opéré à l’époque était non seulement justifié d’un point de vue épidémiologique, mais qu’il a également permis de protéger l’économie et la société de dommages supplémentaires.
Le financement du traçage par les assurances maladie
Dès le début, le groupe de travail a souligné l’importance de la stratégie TRIQ, c’est-à-dire test, traçage, isolement et quarantaine. Malheureusement, les cantons n’ont pas suivi ces conseils, ce qui a entraîné l’effondrement du traçage des contacts lors de la deuxième vague. Plus personne ne savait comment le virus se propageait.
La solution proposée par la task force était toutefois fantaisiste: le 10 novembre, le groupe dirigé par Marcel Salathé a demandé la création d’une «organisation de tests à l’échelle industrielle». C’est surtout la proposition de son financement qui était originale: les compagnies d’assurances maladie auraient dû compenser les pertes de salaire dues aux quarantaines imposées aux personnes positives ou cas contact. Une telle mesure aurait sans nul doute fait exploser les primes maladies.
Une innovation sans futur, un expert qui se trompe
Marcel Salathé est justement à l’origine du dernier flop de la task force. Le professeur de l’EPFL a pourtant développé en un temps record une application de traçage irréprochable en termes de protection des données qui a même attiré l’attention internationale. Il s’est également mis à disposition comme figure publicitaire pour son invention. Toutefois, l’application n’a finalement joué qu’un rôle marginal dans la lutte contre la pandémie.
Marcel Salathé a souvent critiqué l’administration lorsqu’elle ne répondait pas à ses suggestions, mais il a lui-même brillé par ses erreurs de jugement: «Les choses se présentent vraiment, vraiment bien en ce moment», a-t-il déclaré fin septembre. Peu de temps après, la deuxième vague a inondé la Suisse. Il a quitté la task force à la fin du mois de février.