Parmi les nombreux couloirs, escaliers et salles du Palais fédéral se cache le bureau du conseiller fédéral Albert Rösti. La pièce est claire et moderne. Les murs sont ornés de photographies de trains et d’autoroutes. Un immense tableau dessine les Alpes bernoises.
La décoration est sophistiquée, mais aussi traditionnelle. Une grande cloche de vache, un trychel, trône dans la pièce, rappelant la richesse du patrimoine suisse. On pourrait croire que c’est un cadeau de son prédécesseur, Ueli Maurer. Cet objet de valeur est en réalité un geste de l’Union démocratique du centre (UDC) de l’Oberland bernois envers leur collège de la Berne fédérale.
Albert Rösti n’a pas froid aux yeux. Sous les regards ébahis des journalistes de Blick, le politicien fait sonner l’énorme cloche. Est-ce que le ministre de l'Énergie utilise ce bruit infernal pour réveiller chaque matin ses fonctionnaires? Peu importe. C’est sûrement le dernier souci de notre invité, pour qui cette première année au gouvernement n’a pas été de tout repos. Le temps du premier bilan est arrivé.
Albert Rösti, comment s’est passé votre premier Noël en tant que conseiller fédéral?
C’était un beau Noël, mais pas tellement différent des années précédentes. Aux yeux de ma famille, je ne suis pas conseiller fédéral, je suis juste Albert Rösti.
Votre famille porte-t-elle un regard critique sur le conseiller fédéral?
Ma fille me dit parfois: c’était vraiment nécessaire de faire ça? (Rires) Et ma femme est aussi une partenaire critique.
Avez-vous déjà regretté d’avoir été élu?
«Regretté», en aucun cas. Mais au cours des premières semaines, je me disais parfois que je venais de me mettre un poids énorme sur les épaules.
Comment ça?
Beaucoup de choses étaient nouvelles. J’ai dû apprendre à travailler avec des nouveaux collaborateurs et prendre connaissance des thèmes du DETEC (ndlr: Département fédéral de l'environnement, des transports, de l'énergie et de la communication). Au début, on manque de contacts, on doit se familiariser avec les dossiers… J’avais parfois l’impression d’être prisonnier de mon bureau. Mais ça valait la peine de persévérer. Mon travail me motive, et j’ai la chance d’avoir beaucoup de contacts avec la population.
Qu’est ce qui vous a le plus surpris quand vous avez pris votre poste?
Comme beaucoup d’autres avant moi, j’avais sous-estimé le rythme. Ce n’est pas que les journées de travail sont plus longues, mais elles sont beaucoup plus denses. Il y a des jours où j’ai 14 réunions d’affilée. Ce qui manque, ce sont les trajets entre deux réunions. Avant, j’avais des rendez-vous à Berne, Zurich, Saint-Gall, Uetendorf. Je pouvais me détendre pendant la route. Ces moments de repos me manquent parfois. Maintenant, presque tout se passe ici, au même endroit.
Cela vous convient?
C’est efficace, mais l’inconvénient, c’est qu’il se passe quelque chose de nouveau toutes les 30 à 60 minutes… Mais 'regretter' d’avoir été élu? Jamais! Être à la tête du DETEC est une chance énorme, un grand privilège. Mais il faut être en forme quand on arrive au bureau le matin.
D’ailleurs, à quelle heure arrivez-vous au bureau le matin?
J’utilise mon joker… Pas si tôt que ça, vers 7h30. Mais je travaille tard le soir.
Comment récupérez-vous après une journée de 14 séances?
La discipline est importante, surtout pour le sommeil. Je veille à dormir sept, voire huit heures par nuit. Je sais que certains disent que ce n’est pas possible en tant que conseiller fédéral. Mais je vois ça différemment. Si je dors huit heures, il me reste encore 16 heures pour travailler. C’est suffisant pour un conseiller fédéral. Sans compter que beaucoup d’autres personnes ont aussi des métiers exigeants et des journées stressantes. Je n’ai aucune raison de me plaindre.
Le thème marquant de votre première année de mandat a été la politique énergétique. Solarexpress, Windexpress, énergie hydraulique… beaucoup de choses ont été mises en place, mais les projets n’ont pas avancé concrètement, n'est-ce pas?
Si, nous avons notamment veillé à éviter une pénurie d’électricité grâce à une centrale de réserve. Mais en ce qui concerne le développement de l’approvisionnement en énergie à long terme, nous ne sommes pas encore sur la bonne voie. Cette situation est notamment due aux oppositions et aux retards de projets. Le Mantelerlass, qui définit 16 projets pour lesquels la production d’électricité l’emporte sur la protection du paysage, est donc d’autant plus important. Même les tribunaux ne peuvent plus les contester. Il est possible qu’un référendum soit lancé, mais nous espérons que la population soit prête soutenir ces projets.
Que se passera-t-il si c’est le cas?
Il est vrai qu’en ce qui concerne l’énergie solaire, les constructions sont de plus en plus nombreuses année après année. Mais nous ne devons pas nous faire d’illusions. Pour l’énergie hydraulique en particulier, il reste probablement encore cinq à dix ans avant qu’il y ait davantage de courant. Mais si, dans dix ans, nous avons plus d’énergie hydraulique au Grimsel (VS), au Trift (BE) et au Gornergrat (VS), nous aurons vraiment accompli quelque chose. Si l’on ajoute à cela deux térawattheures de courant solaire alpin et un térawatt de courant éolien, nous aurons les 10% de courant hivernal en plus dont nous avons besoin pour que la population suisse soit sereine pour l’avenir. À l’heure actuelle, c’est mon objectif principal en tant que ministre de l’Énergie.
Mais dans les faits, il y a toujours des oppositions ou des votes locaux…
C’est le jeu de notre démocratie. Il y aura toujours des gens que l’on ne pourra pas convaincre. Mais je suis sûr qu’il y aura suffisamment de projets pour combler la pénurie d’électricité en hiver. Seul l’avenir nous dira si la deuxième étape, à savoir rendre la Suisse neutre en CO2 et produire 45 térawattheures grâce aux énergies renouvelables, aboutira.
Vous avez l’air sceptique.
Quand je vois le nombre d’oppositions qui continuent d’être annoncées par les organisations de protection du paysage et de la nature, je suis sceptique, oui. C’est aussi pour cette raison que j’ai déposé le projet de loi pour l'accélération des procédures au Parlement. Cela permet une planification et une construction plus rapides des grandes installations éoliennes, hydrauliques ou solaires.
Répondez honnêtement: si vous pouviez le décider, feriez-vous construire de nouvelles centrales nucléaires?
Nous ne devrions pas nous disperser dans un débat sur le nucléaire. La question reviendra forcément sur la table l’année prochaine, lorsque l’initiative «Stop au blackout» sera déposée.
Vous ne répondez pas à la question.
Comprenez bien que quelle que soit l’issue du débat, nous aurons quand même besoin de plus d’installations solaires sur les toits, les façades et dans les Alpes. À long terme, j’ai un devoir envers la population: se débarrasser du CO2 provenant du pétrole et du gaz. Pour y parvenir, toutes les technologies doivent être prises en considération.
Le Conseil fédéral va négocier un accord sur l’électricité avec l’Union européenne (UE). Vous avez pourtant déclaré que ce dernier n’était pas nécessaire. Pourquoi négocier quand même aujourd’hui?
J’ai dit que nous n’en avions pas absolument besoin. Mais nous avons intérêt à ce que la Suisse ne soit pas exclue du commerce de l’électricité européen. Les ministres de nos pays voisins m’ont certes dit que ce scénario n’arriverait pas. Mais je préfère que cela soit consigné par écrit dans un accord: avec des promesses orales, on n’est jamais sûr de ce qu’il peut se passer en cas de problème. Mais ce n’est pas tant l’accord avec l’UE qui m’inquiète. C’est sa mise en œuvre dans la politique intérieure. La libéralisation du marché de l’électricité sera un vrai défi.
Pourquoi? Après tout, être dans le service universel comme aujourd’hui reste possible pour tout le monde.
Mais l’UE exige que chacun puisse sortir de l'approvisionnement de base et acheter son électricité sur le marché libre. Cela pourrait avoir des conséquences désastreuses. Imaginez que la plupart des ménages se tournent vers le marché libre parce que l’électricité y est moins chère. Comme après le début de la guerre en Ukraine, les prix augmenteraient soudainement de manière vertigineuse. Faire passer la libéralisation du marché de l’électricité au Parlement ne sera pas si facile: tous les partis émettent certaines réserves.
Comment comptez-vous vous y prendre?
Des mesures d’accompagnement seront nécessaires. Sur le plan de la politique intérieure, la libéralisation ne convaincra la majorité que si l’on peut répondre aux préoccupations liées au prix beaucoup trop élevé de l’électricité.
Changeons de sujet. Votre projet d’abattage du loup semble se retourner contre vous. Des voix s’élèvent pour que la Commission de gestion examine l’ordonnance. Le jeu en valait-il vraiment la chandelle?
Oui, absolument. Si nous avons un prédateur dans ce pays qui suscite des craintes, si les agriculteurs craignent pour leur bétail, alors le ministre de l’Environnement doit agir — qu’il soit soutenu ou non. La population de loups augmente de manière exponentielle. Si nous n’agissions pas, le problème s’aggraverait encore. Et c’est valable même si Blick se positionne contre et prétend que je veux abattre 70% des loups… ce qui est d’ailleurs complètement faux!
Vous êtes allé à la limite de ce qui est légalement possible pour faire passer l’ordonnance sur le tir du loup.
Les tribunaux vont examiner si les conditions d’une régulation sont remplies, car des associations environnementales ont déposé un recours contre cette décision. Je suis confiant dans le fait que tout est légal. La procédure s’est déroulée en parfaite démocratie. Entre-temps, le Parlement a adopté une nouvelle loi sur la chasse qui prévoit des régulations préventives du loup, contre laquelle aucun référendum n’a été lancé. La loi est donc applicable.
En parfaite démocratie? Vous n’avez même pas organisé de consultation ordinaire.
Nous avons entendu toutes les parties concernées, mais dans un délai plus court que d’habitude, pour éviter de rater deux périodes de chasse. Pendant ce temps, les loups auraient continué de se reproduire et il y aurait eu encore plus de dégâts sur les troupeaux de moutons et de chèvres. Le loup n’aurait été que moins bien accepté par la population.
Faisons un saut en 2024. Votre deuxième année de mandat ne s’annonce pas plus de tout repos. Trois campagnes de votation vous attendent: le Mantelerlass, l’extension des autoroutes et l’initiative sur la biodiversité.
Ces trois votations sont mes priorités absolues. Hormis cela, l’électricité reste une préoccupation majeure. Les mesures décidées par le Parlement doivent être appliquées. Et les projets d’extension concrets, réalisés.
Avez-vous l’intention d’aller sur le terrain pour défendre ces propositions?
Non. Pour chaque projet, c’est aux responsables de convaincre. Cela serait certainement contre-productif que j’aille en Valais et que je dise aux gens qu’ils doivent construire une installation solaire alpine. Mais si des projets d’extension ont besoin de soutien, notamment lorsqu’il faut négocier des compromis, je le ferai volontiers.
Le Forum économique mondial (FEM) fait-il partie de votre agenda?
Oui. Le programme exact n’a pas encore été fixé, mais j’ai l’ambition de rencontrer d’autres ministres de l’Énergie et des Transports.
Pensez-vous que votre homologue allemand Robert Habeck connaît désormais votre nom? Il y a un an, il vous appelait encore «Röstli».
Vous me rappelez des mauvais souvenirs! C’était ma deuxième semaine en tant que conseiller fédéral, j'avais le sentiment qu'on m'attendait au tournant et j'ai vraiment veillé à ne faire aucun faux pas. Mais tout le monde n’a retenu que le lapsus de Monsieur Habeck…