C’était le 30 août 2021. Le Zurichois Roger «Nzoy» Wilhelm se rend à Genève. Il n’est jamais rentré chez lui. Il a été abattu par un policier de la Police Région Morges, à la gare de celle-ci. L’officier a fait feu alors que l’homme, armé d’un couteau de 26 centimètres de long, se ruait vers lui et son coéquipier. Le policier a pressé trois fois la détente avant que Roger Nzoy ne tombe au sol.
Des vidéos ont documenté l’incident mortel. Elles montrent aussi les moments qui ont suivi les coups de feu: pendant quatre minutes, l’homme blessé par balle n’est pas réanimé. On lui passe les menottes. Roger Nzoy succombe à ses blessures sur place.
Le profilage ethnique, un problème en Suisse aussi?
Le cas a déclenché un débat sur le racisme en Suisse. Roger Nzoy était noir. A-t-il été victime de «profilage ethnique»? Les policiers auraient-ils fait feu si l'homme n’avait pas été noir? Ces dix derniers jours, des experts du Conseil des droits de l’homme de l’ONU (The UN Working Group of Experts on People of African Descent) se sont penchés sur cette question et sur d’autres cas helvétiques. Du 17 au 26 janvier 2022, ils ont été invités en Suisse pour examiner la situation des droits de l’homme des personnes d’ascendance africaine en Suisse.
Ce mercredi, ils présenteront les résultats de leurs recherches et soumettront des propositions d'améliorations. Prendront la parole l’Américaine Dominique Day, présidente de la délégation de l’ONU, et Catherine S. Namakula, professeure de droits de l’homme et de justice pénale à l’université de Bloemfontein en Afrique du Sud. Pendant dix jours, elles et d’autres députés de la délégation ont rencontré les autorités suisses, les forces de l'ordre, mais aussi des politiciens ainsi que des activistes.
Evelyn Wilhelm, la sœur de Roger Nzoy, a également discuté avec des représentants de l’ONU pour parler du cas de son frère. Blick l’a accompagnée lors de son voyage en train jusqu’à Genève, où elle s’est exprimée devant la délégation.
Les six derniers mois ont été un combat pour la sœur du défunt. Elle a encore du mal à réaliser ce qui lui arrive. Pour elle, la question ne fait pas de doute: «S’il avait été blanc, cela n’aurait pas dégénéré de la sorte. Il serait encore en vie». Selon plusieurs témoins, Roger Nzoy, un chrétien fervent, priait sur les quais de Morges. Il était visiblement bouleversé, quelques minutes avant sa mort, et voulait se calmer en priant. Pour l’infirmière de profession, il est clair que «dès le début, le cas est une illustration parfaite de profilage ethnique. Quand on voit un homme noir en train de prier, on se dit tout de suite: 'C’est un terroriste!'»
«Il se faisait contrôler sans raison apparente»
Avant l’incident de Morges, son frère Roger Nzoy se faisait déjà contrôler de manière incessante, nous dit-elle. Et ce «sans raison apparente». C’est pourquoi il portait toujours son passeport suisse dans la poche de son pantalon, afin de pouvoir prouver rapidement son identité. Cela ne s’est pas produit fin août 2021. Un détail taraude Evelyn Wilhelm: «Lorsque la police a appelé le centre d’appels d’urgence, ils ont souligné que mon frère était un homme noir. Pourtant, il y aurait eu tellement de détails plus importants à mentionner».
Interrogée par le magazine en ligne «Republik», la Police Région Morges a nié que la couleur de peau de Roger Nzoy ait joué un rôle. En réponse à une demande récente de notre part, elle a refusé de s’exprimer sur l’affaire, car il s’agit d’une procédure en cours. Les autorités ont confirmé que le tireur continue de travailler comme policier régional à Morges.
Pour Evelyn Wilhelm, c’est une perte douloureuse. Son frère était actif dans l’église réformée Streetchurch à Zurich, aimait faire de la musique avec des amis, aurait commencé un nouveau travail comme infirmier pour personnes âgées en novembre de l’année dernière. «Roger Nzoy était un homme qui avait le cœur à la bonne place. Ma mère est morte d’un cancer il y a huit ans, c’est lui qui s’est occupé d’elle à la maison, lors de ses dernières heures. Tous les samedis, il allait faire les courses avec elle, raconte-t-elle. Cela aurait été terrible si elle avait dû assister à cela! Il l’aimait beaucoup. Ils sont maintenant à nouveau réunis.»