Des décisions à l'aveugle
L'appel à économiser l'énergie est-il efficace? Berne ne peut pas le savoir

La Confédération ne dispose pas de données sur la consommation d'énergie en temps réel, contrairement à l'Allemagne. Les mesures peuvent prendre plusieurs mois à parvenir à l'office concerné. Comment prendre des décisions adéquates dans ces conditions?
Publié: 18.09.2022 à 05:59 heures
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Dernière mise à jour: 18.09.2022 à 08:15 heures
Berne doit naviguer à l'aveugle: en Suisse il n'est pour l'instant pas possible de suivre en temps réel la consommation d'énergie.
Fabian Eberhard

La Suisse doit faire des économies: «L’énergie est rare, ne la gaspillons pas», a averti la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga. Guy Parmelin lui a emboîté le pas: «Chaque kilowattheure compte.»

La Confédération mise sur le volontariat, du moins pour l’instant. Elle dépense plus de dix millions de francs pour diffuser son message. Si les appels n’ont pas d’effet ou pas un effet suffisant, des interdictions sont à craindre. Les autorités vérifieront en permanence «si la campagne a été reçue par l’économie et la population», a souligné Simonetta Sommaruga.

Oui, mais il y a un hic: la Confédération n’a pas suffisamment de données. Les recherches de Blick le démontrent: Berne ne sait pas combien d’électricité et de gaz la Suisse consomme en temps réel. Il n’est donc pas possible de déterminer avec certitude si la campagne publicitaire porte ses fruits.

Des mois d’attente

Partir à la recherche de chiffres sur la consommation d’énergie des derniers mois s’apparente à un conundrum. La Confédération redirige vers les fournisseurs et les exploitants, ceux-ci renvoient la balle à Berne.

Une chose est sûre: les centaines de gestionnaires du réseau de distribution d’électricité en Suisse relèvent les principales données au moins une fois par jour. D’un point de vue technique, un suivi en temps réel de la consommation d’électricité et de gaz est donc possible.

Enfin, en théorie. En réalité, ces données ne parviennent à la Confédération que des mois plus tard. Le secteur de l’électricité les transmet à la société nationale Swissgrid au plus tôt le dixième jour ouvrable du mois suivant. De là, les chiffres sont envoyés à l’Office fédéral de l’énergie (OFEN), mais ce processus prend du temps. Concrètement, cela signifie que la Confédération ne sait pas combien d’électricité a été consommée au mois de juin de cette année. L’OFEN ne dispose d’informations fiables que jusqu’en mai.

La situation est encore plus précaire du côté du gaz. Pour le Conseil fédéral, il faudrait en consommer 15% de moins pendant le semestre d’hiver. Mais il n’a aucun moyen de vérifier si la Suisse s’approche de cet objectif. Les données ne remontent jusqu’à Berne qu’une fois par an.

Transmission manuelle

Nos voisins allemands montrent qu’il est possible de faire autrement. Là-bas, la population peut suivre la consommation d’énergie du pays presque en temps réel. Les portails en ligne de «Der Spiegel» et de «Die Zeit», par exemple, mettent en ligne des tableaux indiquant aux utilisateurs et utilisatrices la consommation de gaz au jour le jour. Il y a même des catégories spécifiques différenciant les industries et les ménages privés. Les données actuelles montrent que l’Allemagne consomme nettement moins de gaz que les années précédentes. La campagne d’économies d’énergie porte ses fruits.

Alors comment expliquer que cela n’est pas possible en Suisse? «La collecte statistique des données est complexe et prend du temps, aussi bien chez les fournisseurs qu’au niveau de la vérification et de la compilation par les statisticiens de la Confédération», détaille Marianne Zünd, porte-parole de l’OFEN. Dans le secteur de l’électricité notamment, de nombreuses entreprises locales d’approvisionnement en énergie doivent transmettre leurs mesures manuellement, un système automatique n’ayant jamais été mis en place.

Au vu de la menace de pénurie, cela doit changer, affirme Markus Flatt de la société de conseil en énergie EVU Partners. Il est urgent de s’assurer que les données des gestionnaires du réseau de distribution soient transmises rapidement. «Il faudrait que la Confédération reçoive les données de consommation pour la Suisse une fois par semaine», assène-t-il. Ce n’est qu’ainsi qu’il sera possible d’observer à court terme l’évolution de la consommation. «La Confédération et le secteur de l’électricité en ont le devoir.»

Bientôt un système de monitoring?

Berne reconnaît qu’il y a un problème. La Confédération planche sur un système de monitoring qui devrait être opérationnel d’ici la fin de l’année. Les données du secteur de l’énergie y seront intégrées. Selon Marianne Zünd, de nombreuses considérations sont à prendre en compte, notamment au niveau des bases légales existantes. La loi sur la statistique fédérale, par exemple, limite la collecte de données par la Confédération selon certains critères.

Au final, le suivi en temps réel devrait se baser partiellement sur des estimations. La Confédération prévoit d’extrapoler la consommation d’électricité à l’aide de modèles. «Cela permettra d’estimer la demande nationale en électricité et d’observer l’efficacité des mesures d’économie d’électricité», avance Marianne Zünd,

Dans l’espoir d’obtenir malgré tout des données précises, Blick s’est adressé directement aux fournisseurs d’électricité. «Nous ne disposons pas nous-mêmes de statistiques sur la consommation actuelle d’électricité de la population suisse. Nous vous recommandons de vous adresser à l’Office fédéral de l’énergie», explique Alpiq. Réponse similaire du côté d’Axpo: «Le mieux est de vous renseigner auprès de Swissgrid ou de l’Office fédéral de l’énergie.»

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