Après l'attaque meurtrière du Hamas contre des Israéliens le 7 octobre 2023, des croix gammées sont soudainement apparues sur les murs de bâtiments suisses. Des symboles de haine et d'antisémitisme. La situation ne s'est pas limitée à des inscriptions sur les murs des maisons. A Zurich, un juif orthodoxe a été victime d'une attaque au couteau. Après coup, une question s'est posée: une telle attaque était-elle prévisible?
Lors d'une session spéciale à la mi-avril 2024, une majorité du Conseil national suisse confiera au Conseil fédéral la tâche d'élaborer une base légale pour une interdiction générale des symboles nazis. La manière d'y parvenir n'est pas encore claire. Il en va de même pour les symboles qui doivent être interdits.
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Il est temps de les interdire
Plus de six millions de juifs ont été assassinés durant la Seconde Guerre mondiale sous des symboles tels que la croix gammée, l'aigle du Reich ou les sigles SS. «Plus jamais ça», a-t-on dit et écrit dans les livres d'histoire, les discours politiques et les films. Le Parlement suisse est du même avis: ce rappel doit maintenant – symboliquement parlant – être inscrit dans la loi.
Mais il est plus que temps qu'une interdiction voie le jour, affirment les politiciennes du Centre, du PS et des Vert-e-s, qui s'engagent depuis des années en ce sens. «L'antisémitisme est comme du lisier sous des planches trouées. Si on se tient dessus, il déborde vers le haut», déclare la conseillère aux Etats argovienne du Centre, Marianne Binder-Keller.
L'an dernier, l'antisémitisme perceptible publiquement en Suisse a triplé, comme le montre un rapport publié récemment. On peut par exemple lire «Fuck Jews» avec plusieurs croix grammées sur un trottoir de Küsnacht (ZH). Sur un mur à Bâle: «Expulsez les juifs d'Europe ou la race blanche disparaîtra.» Une rhétorique connue en Europe remontant à une de ses périodes les plus sombres.
Un salut hitlérien de 20 secondes
L'interdiction souhaitée serait un durcissement de la pratique existante. En effet, de tels symboles peuvent déjà être sanctionnés en Suisse en application de la norme pénale antiraciste. Selon l'article «261 bis» du Code pénal, sont interdits tous les actes, par la parole, l'écriture, l'image ou le geste, qui rabaissent des personnes en raison de leur appartenance raciale, ethnique, religieuse ou de leur orientation sexuelle ou qui portent atteinte à leur dignité humaine.
Mais il y a une précision, et celle-ci est au cœur de toute la polémique. Une atteinte à la dignité humaine n'est en effet punissable que si elle s'accompagne de la promotion publique d'une idéologie correspondante. Les tribunaux suisses sont donc confrontés à la question suivante: quelqu'un veut-il propager des idées racistes, dégradantes et discriminatoires? Ou est-il un nazi en privé?
Un exemple illustre la problématique de cette vision. En 2010, des néonazis se sont rassemblés sur la prairie du Grütli et l'un d'entre eux a réalisé un salut hitlérien pendant environ 20 secondes. Le ministère public d'Uri a poursuivi l'homme pour discrimination raciale, mais le Tribunal fédéral a acquitté l'homme. Comme ce dernier a agi parmi ses pairs, c'est-à-dire d'autres nazis, l'accusation de propagation d'une idéologie raciste n'a pas été retenue.
Le principe de tabou contre celui de prévention
L'affaire a également fait des vagues à l'étranger, en particulier en Allemagne. En effet, dans ce pays, une interdiction générale est en vigueur depuis des années sous peine d'une peine de prison pouvant aller jusqu'à trois ans.
Thomas Fischer est expert sur l'application allemande de cette interdiction. Il a été juge et aussi président de la Cour fédérale de justice à Karlsruhe et a écrit une chronique très remarquée dans le «Spiegel». Il y traite de droit et de politique, et toujours de la question de savoir si les lois sont le bon endroit pour résoudre les dysfonctionnements sociaux.
«En Allemagne aussi, on ne peut pas interdire à quelqu'un d'être antisémite en privé, déclare Thomas Fischer. Mais il est punissable de l'exprimer d'une certaine manière.» C'est-à-dire: l'utilisation de signes distinctifs d'organisations anticonstitutionnelles ou terroristes, la diffusion de matériel de propagande anticonstitutionnel ou l'incitation publique à la haine.
La réglementation allemande, selon le juge, suit ainsi un «principe de tabou». A l'inverse de la pratique juridique suisse qui correspond au «principe de prévention». Ou, on pourrait aussi l'appeler ainsi, à un «principe d'empêchement de la propagande».
«Ce n'est pas une politique symbolique»
Mais alors, le passage envisagé du principe de prévention de la propagande à celui de tabou dans la législation suisse est-il judicieux ou est-ce de la pure politique symbolique? La réponse de Thomas Fischer est claire: «Je pense que c'est tout à fait judicieux et que ce n'est pas de la politique symbolique. Ce changement permettrait de tracer une limite claire et formelle, et les tribunaux et les procureurs n'auraient plus à négocier ou à spéculer sur d'éventuelles intentions ou non.»
L'Allemagne a la loi la plus stricte de toute l'Europe. Le juge allemand explique cette situation par des raisons historiques. «Il fallait à tout prix empêcher en Allemagne, après la fin de la Seconde Guerre mondiale, la résurgence de cellules germinales de l'appareil national-socialiste», précise-t-il. On a donc commencé par interdire toutes les organisations nazies. Puis, dans un deuxième temps, leurs signes distinctifs, c'est-à-dire les drapeaux, les insignes, les pièces d'uniforme, les slogans et les salutations.
Aujourd'hui, 162 associations sont interdites en Allemagne. Parmi elles, des associations d'extrême droite. Mais aussi celles d'autres domaines dits de phénomène, comme par exemple l'islamisme ou l'extrémisme étranger.
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Le diable se cache dans les détails
La mise en œuvre est l'une des grandes questions derrière une éventuelle nouvelle norme pénale suisse. Notamment parce que le Conseil des Etats va encore plus loin que le Conseil national dans sa demande d'interdiction des signes discriminatoires. La chambre haute veut non seulement interdire les symboles nazis, mais aussi les symboles extrémistes ou faisant l'apologie de la violence dans l'ensemble.
Il faudrait alors déterminer si le Z, utilisé comme emblème par la Russie dans la guerre en Ukraine, est problématique. Ou encore si la flèche vers le haut (rune de Tiwaz), le signe distinctif du mouvement d'extrême droite Junge Tat l'est aussi. Cette extension rend donc les choses encore plus compliquées.
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Le «88» est-il encore autorisé?
Celui qui traverse un village à 80 km/h en Suisse le sait: c'est contraire à la loi. Sur le terrain des symboles nationaux-socialistes, les certitudes sont plus fragiles.
En effet, rares sont ceux qui discuteront de la signification de la croix gammée, du sigle SS et de l'aigle impérial. Mais qu'en est-il du 88, utilisé dans les milieux d'extrême droite comme code pour «Heil Hitler» en raison de la huitième lettre de l'alphabet, le H? Tout le monde est-il au courant?
Le principe de précision s'applique aux modifications du droit pénal. En d'autres termes, cela signifie que les citoyens doivent comprendre facilement ce qui est interdit et ce qui ne l'est pas pour qu'ils puissent ensuite se comporter en conséquence. La nouvelle norme doit donc être formulée de manière à être claire.
Critique de la pratique
Une possibilité pour mieux délimiter l'interdiction serait de dresser une liste noire des symboles punissables. Ce type de catalogue serait envisageable selon Damir Skenderovic, professeur d'histoire contemporaine à l'Université de Fribourg, interviewé par la SRF. «Beaucoup de recherches sont menées dans ce domaine. Ces travaux préliminaires pourraient être utilisés dans le cas d'une éventuelle interdiction de tels symboles en Suisse», précise-t-il.
Une brochure d'information de l'Office fédéral de protection de la Constitution laisse toutefois entrevoir la complexité d'une telle liste: ell est longue comme le bras. Et elle comprend, outre les codes évidents comme les croix gammées et les sigles SS, des mèmes, des armoiries et des gestes.
Afin d'examiner la faisabilité d'une liste noire, l'Office fédéral de la justice suisse s'est entretenu avec des juges, des procureurs et des forces de police. Les réactions ont été critiques, voire négatives. Des questions pratiques ont par exemple été soulevées. Les fonctionnaires de police devraient-ils à l'avenir avoir de telles listes sur eux lors des manifestations afin de pouvoir reconnaître les symboles potentiellement punissables? On ne sait pas non plus qui décidera des symboles à inscrire sur cette «liste taboue».
La conseillère aux Etats du Centre Marianne Binder-Keller espère que le Conseil national pourra se mettre d'accord, lors de la session spéciale. Elle prône pour une interdiction en deux étapes: «Les symboles nazis clairs et clairement reconnaissables doivent enfin être interdits. Ensuite, nous pourrons volontiers discuter d'autres interdictions.»
Les symboles nazis ne sont pas une opinion
Dans les détails, certaines questions restent donc en suspens. L'ancien juge fédéral allemand Thomas Fischer explique également que la pratique juridique d'un pays ne peut pas être transposée telle quelle dans un autre pays. Mais alors quel sera le résultat d'une interdiction des symboles extrémistes, en particulier nazis?
Fondamentalement, encore une fois, maintenant que l'on considère l'importance sociopolitique du débat: quel est le résultat d'une interdiction des symboles extrémistes, en particulier, ceux nazis?
Thomas Fischer explique: «Nous constatons depuis des années un déplacement de ce qui est prétendument acceptable, qui s'étend parfois très loin dans les espaces de discours d'extrême droite.» En Allemagne, on le voit en partie dans les symboles de certaines parties de l'AfD. Il y est question de «transformation ethnique» ou de la vision du national-socialisme comme «une fiente d'oiseau» dans l'histoire allemande. «Il faut éviter que l'ensemble de la population ait l'impression que les symboles nazis sont des signes légitimes d'une opinion discutable parmi d'autres», conclut Thomas Fischer.