Pour l’UDC, le moment ne pourrait pas être plus mal choisi: trois semaines avant les élections fédérales, le plus grand parti du pays doit accepter le reproche de ne pas garder suffisamment ses distances avec certains mouvements d’extrême droite.
La semaine dernière, Blick a révélé que la présidente de l’UDC de Winterthour, Maria Wegelin, se servait du groupe Junge Tat pour sa communication médiatique. L’affaire prend désormais de l’ampleur. Une enquête montre que les Jeunes UDC de Thurgovie collaborent également avec le groupuscule d’extrême droite. Pour la section cantonale, le chef de Junge Tat, Manuel C.* a conçu des affiches pour les élections au Conseil national. Et ce n’est pas tout: il est lui-même membre des Jeunes UDC de Thurgovie.
Manuel C., fondateur de Junge Tat, a été renvoyé de la Haute école des arts de Zurich en 2020 parce que lui et ses camarades avaient perturbé un cours en ligne en criant «Heil Hitler». Le parquet l’a condamné pour haine envers les juifs, la police a saisi des armes lors de perquisitions.
Pourquoi donc les Jeunes UDC de Thurgovie engagent-ils un extrémiste de droite connu pour leur campagne électorale? Dans une prise de position écrite, la direction de la section cantonale explique qu’elle fait toujours appel à ses propres membres lorsqu’elle a besoin d’un service. Manuel C. aurait accepté de travailler pour eux en réponse à un appel interne.
La section assure qu’il y a à peine deux mois, lorsque le mandat a été attribué, il ne savait rien des antécédents de Manuel C. Des initiés contestent cette version des faits. «Manuel C. est membre des Jeunes UDC Thurgovie depuis début 2023», avance pour sa part la direction. Elle estime qu’il est impossible de vérifier les antécédents de chaque nouveau membre. Le jeune parti en compte environ 220. «Le comité directeur discutera des faits lors de la prochaine réunion et décidera de la marche à suivre.»
Pas de prise de distance claire
Contrairement au cas de la présidente de l’UDC de Winterthour, qui a également demandé à des membres de Junge Tat de formuler ses slagans de campagne, le mandat de Manuel C. auprès des Jeunes UDC de Thurgovie s’est limité en premier lieu à des travaux graphiques. La section ne se résout toutefois pas à prendre clairement ses distances avec le groupuscule. «Les Jeunes UDC mènent leurs discours politiques de manière objective et tentent de faire valoir leurs revendications dans le cadre d’un processus politique normal.» Ils se distancient des «actions politiquement motivées qui s’écartent de ce processus politique objectif et ordonné», expliquent-ils.
Maria Wegelin a, pour sa part, encore plus de mal à se distancier de l’extrême droite. Dans une interview accordée à la «Neue Zürcher Zeitung», elle a annoncé qu’elle maintenait sa collaboration avec Junge Tat: «Nous avons constaté que nous avions certains points communs.»
Ce nouveau cas soulève la question de la systématicité des liens entre Junge Tat et les membres de l’UDC. Une chose est sûre: les extrémistes de droite cherchent à se rapprocher du parti. Et ce avec un succès croissant. Ces derniers mois, des militants de Junge Tat sont apparus à plusieurs reprises lors de manifestations de l’UDC. Le groupe entretiendrait désormais de bons contacts avec les Jeunes UDC en particulier. Il faut dire que leur rhétorique peut parfois se ressembler.
Par exemple, lorsque les Jeunes UDC d’Argovie écrivent à propos de la crise des réfugiés à Lampedusa, en Italie: «Stopper la migration de remplacement et renvoyer tout le monde!» Cette déclaration fait écho à deux narratifs sur lesquels s’appuie Junge Tat. D’une part, la théorie de la conspiration du remplacement de population, selon laquelle une élite secrète voudrait remplacer la population blanche en Europe par une population de confession musulmane et des migrants venus d’Afrique. Et d’autre part, le concept de la remigration.
Un coup d’œil sur le compte X (anciennement Twitter) des Jeunes UDC suisses montre en outre qu’ils ont relayé ces derniers jours divers posts problématiques des leaders de Junge Tat.
Objectif: rejoindre les cercles UDC
David Trachsel, président des Jeunes UDC Suisse, refuse de se distancier de Junge Tat et de leurs contenus. L’UDC est en bonne voie pour gagner les élections, estime-t-il. Les médias veulent l’empêcher et essaient donc de «placer l’UDC de manière obsessionnelle dans le coin de l’extrême droite». Il ne veut pas commenter les contacts avec le groupe Junge Tat.
La tactique du groupe de Manuel C. semble porter ses fruits. De l’extérieur, ses membres se présentent comme branchés et patriotiques. Leur objectif: se rapprocher des milieux UDC. Cela n’a rien d’anodin.
Le Service de renseignement de la Confédération (SRC) surveille le groupe. Par ailleurs, l’autorité policière européenne Europol a récemment mis en garde contre sa stratégie de communication inédite. Plusieurs procédures pénales sont en cours contre Manuel C. et ses acolytes, notamment pour incitation à la haine, dommages à la propriété et violation de domicile.
La direction de l’UDC continue de garder le silence. Blick a interrogé à plusieurs reprises le président du parti Marco Chiesa, sans réponse.
En revanche, il y a une semaine, Marco Chiesa a posé devant le Palais fédéral avec des militantes du collectif féministe d’extrême droite Nemesis. Celles-ci ont récemment défilé à Berne en compagnie des membres de… Junge Tat.
*Nom connu